3 signes positifs de voir vos talents chassés par la concurrence

08 nov. 2022

5min

3 signes positifs de voir vos talents chassés par la concurrence
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Un talent vous confie avoir été approché par un chasseur de tête ? Outrage ! Une autre d’être régulièrement relancée par l’un de vos concurrents ? Affront ! À moins que comme toute chose, vous n’optiez (avec sobriété bien entendu) pour regarder la bouteille à moitié pleine plutôt qu’à moitié vide. Notre experte du Lab Laetitia Vitaud vous dévoile pourquoi le fait que vos talents soient approchés par d’autres se révèle finalement être une excellente nouvelle !

Vous dépensez des ressources considérables pour recruter et former vos salarié·es, et vous voyez, par conséquent, d’un très mauvais œil le fait que les chasseurs de têtes et les concurrents tentent sans cesse de débaucher vos talents ? Comme des sangsues, ils voudraient profiter de votre travail en récoltant ce que vous avez semé ? C’est déjà bien assez difficile de recruter et de manager, alors s’il faut en plus composer avec des passagers clandestins, c’en est trop !

Ce raisonnement est tout à fait compréhensible. Mais il y a, en réalité, de nombreuses raisons de se réjouir du fait qu’on vienne chasser vos recrues. À bien des égards, le fait qu’elles suscitent la convoitise des autres employeurs est une validation de l’ensemble de vos politiques RH, de la qualité de votre recrutement et surtout du fait que le travail qu’on fait chez vous est formateur et valorisant pour les personnes qui le font. Il n’existe pas de meilleur signal concernant la puissance de votre marque-employeur.

Travailler chez vous, ce « diplôme prestigieux »

Le fait que l’on chasse vos salarié·es montre que l’on valorise la qualité de votre recrutement. Votre sélection est en soi un critère positif pour les autres employeurs. Comme Google ou McKinsey, votre sélectivité est connue sur le marché et constitue en tant que telle un élément d’attractivité : les candidat·es sont attiré·es par le signal prestigieux que représente le nom de votre organisation sur un CV. Il indique aux candidat·es que miser sur vous, c’est faire grandir leur employabilité future.

Mais la sélectivité du recrutement ne fait pas tout. C’est souvent le travail en lui-même que les employeurs et les candidat·es valorisent le plus, soit parce qu’il est à la frontière de l’innovation technologique et que l’on relève des défis intellectuels et professionnels, soit que la rigueur des méthodes ou la collaboration avec d’autres personnes talentueuses constituent une « école » professionnelle. Cela fait d’une expérience dans votre organisation une sorte d’ « académie ».

« En restant “désirables” pour d’autres employeurs, ils ont le sentiment d’avoir le contrôle sur leur carrière. »

C’est plus ou moins en ces termes que l’ancienne DRH de Netflix, Patty McCord, présente son ancien employeur dans son livre Powerful: Building a Culture of Freedom and Responsibility (2017) : « Ils ont un très bon CV parce qu’ils ont travaillé pour vous. » On y conseille explicitement aux salarié·es de passer régulièrement des entretiens dans d’autres organisations pour s’assurer que leur salaire est bien au niveau du marché. Les anciens de Netflix sont réputés pour avoir des carrières florissantes quand ils quittent l’entreprise. En restant « désirables » pour d’autres employeurs, ils ont le sentiment d’avoir le contrôle sur leur carrière. Ainsi, ils se sentent plus en confiance au travail : ils ont « confiance pour dire plus de choses, prendre plus de risques, entreprendre plus de choses et endosser plus de responsabilités », explique Patty McCord dans son ouvrage. Et elle ajoute : « Imaginez seulement si vous aviez une organisation pleine de gens qui savent qu’ils ont du pouvoir ».

Le réseau de vos collaborateurs historiques est puissant

Parfois, ce ne sont pas tant les compétences professionnelles en tant que telles qui sont valorisées mais plutôt le réseau développé pendant les années passées dans l’organisation. À l’image de la « Paypal mafia » dont on parle depuis 20 ans -et dont Elon Musk est l’un des plus célèbres (et controversés) représentants -, de nombreuses entreprises de la Silicon Valley mettent en avant la puissance du réseau des fondateurs et premiers salariés dont l’héritage professionnel est réputé prestigieux. Il s’agit de puissants réseaux en lien avec le pouvoir politique et économique.

Les ancien·es de ces organisations sont si bien connecté·es qu’on peut les comparer à ces ancien·nes chef·fes d’État et ministres que l’on chasse pour leur influence et leurs connections politiques pour venir faire du lobbying (ce qui entâche souvent la réputation des personnalités politiques concernées, comme dans le cas de l’ancien chancelier allemand, Gerhard Schröder, qui a vendu la puissance de son réseau à des acteurs russes proches de Poutine). Du coup, grâce à la promesse de réseau et d’influence, ces organisations peuvent même se permettre de proposer des salaires inférieurs aux prix du marché (ce qui fait peser le soupçon du trafic d’influence…).

La plupart du temps, dans les organisations qui recrutent des ingénieurs et autres profils valorisés et réputés rares, c’est le réseau des pairs qui est convoité avant tout : ces personnes connaissent d’autres talents « comme eux/elles » et peuvent aider leur nouvel employeur à en recruter d’autres. Ils sont des moteurs de cooptation. On peut en déduire qu’il est important pour toutes les organisations de cultiver le réseau de leurs alumni pour en augmenter la puissance : plus les liens avec les ancienn·nes sont forts, plus l’effet de réseau sera puissant et pourra devenir un argument de recrutement.

Vos salariés ne vous appartiennent pas, mais il leur appartient de rester à vos côtés

La réaction courante des employeurs face au risque de débauchage est une réaction de possessivité. Mais elle est déplacée et délétère. Les travailleurs n’appartiennent pas à l’organisation pour laquelle ils travaillent ! Le fait qu’ils se sentent libres de partir et estiment avoir de nombreuses alternatives représentent pour eux/elles une forme d’empouvoirement bien plus bénéfique à leur employeur. En effet, ce sentiment de pouvoir les aide à valider et justifier leur choix de rester.

Le sentiment de loyauté est empêché par l’enfermement. Ce n’est pas parce que vous aurez enchaîné votre salarié·e qu’il/elle vous sera loyal·e et sera engagé·e ! Reid Hoffman (le fondateur de LinkedIn), Ben Casnocha et Chris Yeh expliquent dans leur ouvrage The Alliance: Managing Talent in the Networked Age qu’une nouvelle « alliance » devrait être nouée entre l’employeur et les salarié·es de manière à faire d’eux/elles des agents libres qui grandissent et deviennent plus puissants grâce à leur expérience. Pour ces auteurs, il s’agit d’appréhender les salarié·es « comme des alliés et non comme des membres de la famille ». Les salarié·es font le maximum au travail. En contrepartie, leur employeur les aide à faire grandir leur carrière sur le long terme, sans nécessairement faire comme s’ils resteront dans l’organisation pour toujours.

« En somme, le fait que l’on vienne chasser vos recrues est non seulement un signe de la puissance de votre marque-employeur mais cela produit aussi un engagement plus fort de vos salarié·es. »

C’est ainsi que l’on peut comprendre la logique qu’il y a derrière le fait d’offrir des primes aux salarié·es qui quittent leur entreprise avant la fin de leur période d’essai (oui, cela existe !). La pratique a été imaginée par Zappos, une start-up de vente de chaussures fondée en 2009 par le légendaire Tony Hsieh (et rachetée plus tard par Amazon). Après une immersion d’une semaine, Zappos proposait une prime de départ aux nouvelles recrues : « Si vous démissionnez aujourd’hui, nous vous rétribuerons pour les heures de travail effectuées et nous vous offrons de surcroît une prime de 1 000 dollars. » Le raisonnement est le suivant : si vous êtes séduit·e par ce cadeau après une semaine de travail, c’est que votre engagement et votre intérêt pour cet employeur sont faibles. Autant le savoir tout de suite et ne pas vous garder ! Par ailleurs, pour ceux/celles qui refusent l’offre, le « sacrifice » ajoute une charge émotionnelle qui augmente le sentiment de loyauté.

Les salarié·es convoité·es par d’autres employeurs qui choisissent de rester chez vous se convainquent que leur choix est le bon et s’engagent davantage dans leur travail. En somme, le fait que l’on vienne chasser vos recrues est non seulement un signe de la puissance de votre marque-employeur mais cela produit aussi un engagement plus fort de vos salarié·es.

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Article édité par Mélissa Darré, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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