Index égalité H/F : pourquoi les entreprises doivent aller plus loin
02 juil. 2020
3min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
On ne progresse que si l’on mesure. De ce point de vue, l’index d’égalité professionnelle imposé par la loi Pénicaud aux grandes entreprises en 2019, et aux plus petites entreprises (entre 50 et 250 salarié.e.s) depuis le 1er mars 2020, va dans le bon sens. On les oblige enfin à mesurer l’écart de rémunération femmes-hommes, l’écart de répartition des augmentations individuelles et des promotions, le nombre de salariées augmentées à leur retour de congé maternité, et la parité parmi les 10 plus hautes rémunérations.
La loi Pénicaud est ambitieuse. S’il n’est pas encore prévu de name and shame (littéralement « nommer et couvrir de honte »), c’est-à-dire mettre au pilori les entreprises mauvaises élèves en la matière, le fait qu’elles soient obligées de créer de nouveaux indicateurs pour mesurer ce qui ne l’était pas jusqu’ici est déjà une révolution. Les employeurs/employeuses de bonne foi qui « ne savaient pas » qu’il existait des écarts de rémunération à poste égal sont nombreux/nombreuses. Le principe de l’universalité était autrefois si sacré qu’il empêchait la création de ces indicateurs qui permettent de comparer les femmes et les hommes.
« À travail égal, salaire égal » : le principe est inscrit dans la loi depuis des décennies (déjà en 1972, il avait fait l’objet d’une loi !), mais n’a jamais été réellement appliqué. Il reste encore un petit écart inexpliqué (environ 3% à travail égal. Grâce à la loi Pénicaud, on peut avoir bon espoir que ces écarts-là vont se raréfier et devenir impossibles à assumer pour une entreprise.
Malheureusement, le principe « à travail égal, salaire égal » ne règle qu’une infime partie du décalage de revenus entre les femmes et les hommes. En effet, les femmes gagnent en moyenne 12% de moins que les hommes en France (ce chiffre est supérieur à 22% chez nos voisins allemands). La raison n’est pas qu’elles sont moins payées à travail égal, mais plutôt qu’elles ne font pas le même travail que les hommes.
Par exemple, les femmes sont beaucoup plus nombreuses à occuper des emplois à temps partiel (82% de ces emplois sont occupés en France par des femmes). Elles ont plus souvent des carrières accidentées, avec des périodes sans travail (notamment pour s’occuper d’un enfant en bas âge). Elles occupent davantage d’emplois peu qualifiés et peu rémunérés (comme les emplois d’aide à domicile ou de soin à la personne). Elles « valident » moins de trimestres cotisés que leurs homologues masculins. Elles font l’essentiel du travail non rémunéré à domicile. L’effet cumulatif de ces multiples problèmes est considérable. Le résultat, c’est que plus on avance en âge, plus l’écart de rémunération se creuse entre les femmes et les hommes, non sans impact sur la situation au moment de partir à la retraite. Selon la Drees, le montant moyen des pensions de retraite perçues par les femmes représente 71% seulement du montant des pensions masculines.
Cet écart de richesse qui s’explique par les différences de choix de carrières entre les femmes et les hommes ne choque pas tout le monde. Nombreux sont ceux qui considèrent que les femmes ont « choisi » de faire tel ou tel métier, de travailler à temps partiel ou de s’arrêter de travailler pour s’occuper d’un enfant. Mais en réalité, ces « choix » sont déterminés par la piètre répartition des tâches familiales liées à l’éducation des enfants et la gestion du foyer, par des contraintes culturelles et par tous les phénomènes sociologiques qui poussent les femmes vers certains métiers et les hommes vers d’autres.
Les entreprises ont une responsabilité immense : elles façonnent « l’architecture du choix » le cadre dans lequel les femmes orientent leur carrière.
Tant que l’on restera prisonnier de cette idée que ces choix sont libres, on ne réglera pas le problème des inégalités dans sa globalité. Or les entreprises ont une responsabilité immense. Elles façonnent « l’architecture du choix » le cadre dans lequel les femmes orientent leur carrière. Façonner cette architecture de manière à permettre de meilleurs choix, cela signifie offrir un bon équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, lutter contre le présentéisme, permettre le télétravail sans restrictions à tous/toutes les employé.e.s, encourager les hommes à prendre un congé parental, voire leur offrir un congé parental plus long, offrir des solutions de garde d’enfant, ou encore prôner une organisation du travail flexible (pour tous les employé.e.s).
Ces éléments qui façonnent nos choix ne sont pas pris en compte par la loi. Heureusement, certaines évolutions récentes vont dans le bon sens : le télétravail progresse (les grèves puis le coronavirus ont joué un rôle positif en la matière) et le congé second parent devient un sujet de marque employeur.
Il est possible que la transparence sur les chiffres devienne aussi un élément différenciant de marque employeur : les bons élèves mettront en avant leurs résultats, obligeant les plus mauvais à progresser rapidement pour ne pas voir leur image se dégrader. Mais pour rester dans la course et être en mesure de recruter tous les talents, les entreprises devront faire mieux encore. L’enjeu est énorme : il s’agit de créer un environnement de travail égalitaire où tous les talents pourront donner le meilleur d’eux/elles mêmes.
Inspirez-vous davantage sur : Laetitia Vitaud
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