IA au travail : 6 mythes revus et corrigés par la science

12 mars 2025

6min

IA au travail : 6 mythes revus et corrigés par la science
auteur.e
Mélissa Darré

Lead editor @Welcome to the Jungle

contributeur.e

L'intelligence artificielle bouleverse le monde des ressources humaines, suscitant autant d'espoirs que de craintes. Entre fantasmes dignes de la science-fiction et réalités du terrain, difficile de démêler le vrai du faux. Décryptage de six idées reçues, avec cas concrets et études à l'appui.

Depuis l’arrivée en fanfare de ChatGPT, les (fausses) croyances autour de l’intelligence artificielle ont refait surface. Si certains y voient un formidable levier de productivité, d’autres craignent, en revanche, le fameux remplacement de l’homme par la machine. Une chose est sûre néanmoins, la pratique prend de l’ampleur : en 2024, 79 % des recruteurs utilisent désormais des outils d’IA générative dans le cadre de leurs activités pro. Soit le double de l’année précédente.
Rédaction d’offres d’emploi, de messages d’approche, de posts à destination des réseaux sociaux, ou encore préparation de questions spécifiques en vue de l’entretien, les usages ne manquent pas. Pourtant, certains doutes ou inquiétudes persistent. Alors, invoquons l’approche scientifique pour endiguer les fantasmes autour de l’IA.

Idée reçue n°1 : « L’IA va remplacer tous les recruteurs »

Niveau de parano : ou comment confondre automatisation et apocalypse professionnelle.

Ce qu’en dit (vraiment) la science : « Les robots vont nous piquer notre job ! » Cette crainte, aussi vieille que l’automatisation, trouve un nouvel écho avec l’IA. Pourtant, selon une étude du World Economic Forum de 2023, si cette dernière va effectivement transformer 44 % des fonctions RH, elle ne devrait remplacer que 2 % des postes dans ce secteur d’ici 2027. En revanche, elle créera de nouveaux métiers, nécessitant le développement de compétences inédites.

La réalité du terrain : l’IA se positionne plus comme un assistant que comme un remplaçant. Elle automatise les tâches chronophages et répétitives (sourcing, tri de CV, pré-sélection…) permettant aux recruteurs de se concentrer sur l’essentiel : l’analyse approfondie des candidatures, la conduite d’entretiens qualitatifs ou encore le développement de la marque employeur.

Notre conseil pour en tirer parti dans votre boîte : commencez par sélectionner une tâche parmi les plus chronophages de votre équipe, automatisez-la et mesurez le temps gagné. En confiant le screening initial de ses candidats au chatbot Mya, L’Oréal a ainsi libéré un temps précieux à ses recruteurs. Voyez plutôt : si ces derniers mettent environ 45 minutes à sélectionner les CV, programmer, puis mener un entretien de pré-sélection, il ne faut à Mya que 4 minutes pour mener à bien ce processus.

Idée reçue n°2 : « L’IA discrimine forcément dans le recrutement »

Niveau de parano : hum, hum… Les humains sont-ils vraiment meilleurs en la matière… ?

Ce qu’en dit (vraiment) la science : si les premiers algorithmes de recrutement ont effectivement montré des biais -comme celui d’Amazon en 2018 qui défavorisait les candidatures féminines-, la situation a bien évolué. Selon l’étude de LinkedIn « L’avenir du recrutement 2024 », l’IA a multiplié par 10,3 le nombre de talents disponibles, en explorant des critères souvent mis de côté au cœur des approches traditionnelles, grâce à un recrutement axé sur les compétences. De plus, 67 % des entreprises qui ont effectué des contrôles stricts sur leurs algorithmes constatent une amélioration de la diversité de leurs recrutements, selon le rapport McKinsey « The State of AI in 2023 ».

La réalité du terrain : l’IA peut être un formidable outil d’équité, à condition d’être vigilant. Dit autrement, cela implique, pour les entreprises qui y ont recours, de mettre en place certains garde-fous, comme le recours à des données d’entraînement diversifiées et le maintien d’une supervision humaine.

Notre conseil pour en tirer parti dans votre boîte : établissez une liste de critères objectifs pour vos recrutements à l’aide d’une charte éthique, avant même de déployer l’IA. Puis, assurez des processus de contrôle réguliers des algorithmes pour garantir le respect de ces critères. C’est le cas notamment d’Unilever qui a développé son propre système d’IA lui permettant de masquer automatiquement les informations sensibles, telles que l’âge, le genre ou encore l’origine sur les CV.

Idée reçue n°3 : « L’IA n’est pas assez humaine pour les RH »

Niveau de parano : parce qu’il n’y a pas photo, gérer des tableaux Excel, c’est le summum de l’humanité !

Ce qu’en dit (vraiment) la science : le rapport « State of AI in Talent Acquisition 2023 » de Talent Board révèle que 82 % des candidats préfèrent interagir avec un chatbot pour les questions initiales et les informations basiques. La raison ? Les principaux intéressés apprécient sa disponibilité 24h/7jours et son absence de jugement quant aux interrogations posées. Surprise donc : l’IA peut créer un espace de dialogue plus neutre et moins intimidant qu’un recruteur en chair et en os !

La réalité du terrain : l’IA excelle dans la collecte objective d’informations et les interactions standardisées, créant paradoxalement un espace plus confortable pour certains candidats. Et laissant, de surcroît, aux professionnels RH le soin d’apporter l’empathie et la compréhension contextuelle nécessaires dans le reste du processus.

Notre conseil pour en tirer parti dans votre boîte : créez une « personnalité » cohérente pour votre IA, afin de clairement distinguer quand les candidats interagissent avec elle vs. un être humain. Ainsi, AXA France a mis en place Joby, un chatbot qui offre une meilleure expérience candidat, grâce à un accompagnement fluide et individualisé, à travers notamment la compréhension de leurs besoins et le partage d’informations essentielles sur le groupe (déroulement du processus, contours du poste, culture d’entreprise…).

Idée reçue n°4 : « L’IA est infaillible dans la sélection des candidats »

Niveau de parano : attention spoiler : elle n’a pas encore gagné au loto !

Ce qu’en dit (vraiment) la science : l’idée selon laquelle les algorithmes ne se trompent jamais et prennent de meilleures décisions que les humains mérite d’être clairement nuancée. Une étude publiée sur ResearchGate de 2024 révèle que les systèmes d’IA en recrutement ont un taux de précision moyen de 82 % dans la présélection des candidats. Impressionnant, mais pas infaillible. Quid des 18 % restants ? C’est là que l’expertise humaine fait toute la différence.

La réalité du terrain : si l’IA est un merveilleux outil d’aide à la décision, elle n’a rien d’un oracle ! Particulièrement performante sur l’évaluation de critères objectifs (compétences techniques, expérience…), elle rencontre plus de difficultés en matière de soft skills ou de potentiel d’évolution. En bref, les meilleurs résultats sont obtenus quand elle est utilisée en complément du jugement humain. Sans compter que 71 % des candidats eux-mêmes n’accepteraient pas que leur candidature soit uniquement examinée et évaluée par une IA, d’après le baromètre de l’expérience candidat de 2024 mené par l’IFOP.

Notre conseil pour en tirer parti dans votre boîte : définissez clairement les limites de votre IA, tout en soumettant les décisions importantes à une validation humaine. IBM a développé des outils pour optimiser ses processus de recrutement, en aidant au tri et à l’analyse des CV des candidats. Pour autant, si les recruteurs bénéficient d’un gain de temps notable pour se concentrer sur les candidatures les plus pertinentes, il leur revient toujours de les sélectionner en dernier lieu.

Idée reçue n°5 : « Seules les grandes entreprises peuvent utiliser l’IA en RH »

Niveau de parano : David contre Goliath, version 2.0.

Ce qu’en dit (vraiment) la science : d’après une étude BPIFrance de 2023, 31 % des TPE et PME utilisent déjà l’IA générative pour de la rédaction de contenus (68 %) et de la recherche ou analyse de données (57 %). Mieux ? 88 % des organisations augmentent leurs investissements en la matière et 72% des départements RH rapportent un ROI positif sur leurs projets d’automatisation. Une progression spectaculaire qui témoigne d’une appropriation globale, au-delà des seules grandes entreprises.

La réalité du terrain : l’émergence de solutions « plug and play » accessibles et de modèles économiques flexibles démocratise l’IA pour toutes les tailles d’entreprise.

Notre conseil pour en tirer parti dans votre boîte : avancez pas à pas, en commençant par vous approprier une solution SaaS existante, plutôt que de développer votre propre logiciel interne. C’est ainsi que la scale-up Alan a procédé pour faciliter le quotidien de ses collaborateurs. L’assistant IA « People Oncall » intégré à Slack répond à plus de 160 questions par mois, soit environ 40 % des demandes reçues par son équipe RH (remboursement transport, tickets restaurant, épargne salariale…). Une automatisation précieuse qui fournit des réponses claires et circonstanciées, à partir de la base de connaissances de l’entreprise.

Idée reçue n°6 : « L’IA va déshumaniser les RH »

Niveau de parano : comme quand l’email a tué la communication…

Ce qu’en dit (vraiment) la science : le temps n’est pas encore venu où la technologie va remplacer les relations humaines et transformer les RH en processus purement mécanique. Selon l’enquête « Global Workforce of the Future 2024 », 48 % des salariés utilisent désormais l’IA générative dans leurs missions quotidiennes (contre 31 % en 2023). Une pratique qui offre aux professionnels concernés un gain de productivité d’une heure par jour en moyenne. Rien que ça !

La réalité du terrain : bien utilisée, l’IA est un catalyseur de relations humaines. Pour les équipes RH, le temps gagné sur des tâches chronophages représente autant de disponibilité supplémentaire pour des missions à plus forte valeur ajoutée, à commencer par les interactions humaines directes. Paradoxal ? Pas tant que ça : en automatisant l’administratif, l’IA libère du temps pour l’humain.

Notre conseil pour en tirer parti dans votre boîte : pour chaque processus automatisé, il vous appartient de réinvestir le temps gagné dans une initiative centrée sur l’humain. Grâce à l’automatisation de votre reporting RH, pourquoi ne pas envisager le lancement d’un programme de mentoring ?

En matière de ressources humaines, l’IA n’est ni une menace, ni une solution miracle. Seulement un outil dont la valeur dépend de son utilisation. La clé de son succès ? Certainement, la faculté de trouver un juste équilibre entre technologie et humain.

Article rédigé par Mélissa Darré et édité par Matthieu Amaré, photo par Thomas Decamps.

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