« Le diagramme de Gantt permet de visualiser un projet, un peu comme un storyboard »

Le rôle d’un manager ressemble parfois à celui d’un marionnettiste à fil, qui doit utiliser tous ses doigts afin de mouvoir son personnage de manière harmonieuse. En gestion de projet, c’est la même chose : la coordination est essentielle pour respecter les délais et réaliser des tâches distinctes mais interdépendantes en simultané. Le diagramme de Gantt constitue alors une aide précieuse. En permettant de visualiser en un coup d’œil l’ensemble d’un projet complexe, cet outil rend l’organisation des tâches plus simple et plus efficace. Olivier Rebiere, co-auteur du guide Maîtriser le diagramme de Gantt, nous donne les clés pour comprendre son fonctionnement et apprendre à l’utiliser.

Qu’est-ce qu’un diagramme de Gantt ?

Un diagramme, c’est la représentation visuelle d’un concept, d’une idée ou de données. Le diagramme de Gantt porte le nom de son inventeur, Henry Gantt, un ingénieur américain qui vécut à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, à un moment où l’essor de l’industrialisation rend nécessaire une planification et une gestion plus efficace des projets. Il aurait adapté le modèle d’un autre ingénieur, le polonais Karol Adamiecki.

Avec le diagramme de Gantt, « l’idée est de donner une dimension temporelle – graphique – aux listes de tâches nécessaires à l’exécution d’un projet complexe », selon Olivier Rebiere. Il facilite donc aussi bien la planification que le suivi d’un projet multi-tâches, tout en prévenant les retards et les goulots d’étranglement. De ce fait, le diagramme de Gantt est souvent utilisé par les *project managers¨, les chefs d’équipe ou toute personne chargée de superviser la réalisation d’un grand nombre de tâches en simultané (entrepreneurs, freelances, étudiants, etc.).

Comment fonctionne un diagramme de Gantt ?

Lorsqu’on regarde un diagramme de Gantt, celui-ci peut paraître difficile à décoder. En réalité, c’est très simple (et c’est le but) ! Le squelette d’un diagramme de Gantt est composé de 2 éléments clés :

1. la liste des tâches associées à un projet,
2. le temps estimé pour leur réalisation (ou la deadline imposée).

Le diagramme de Gantt permet de planifier un projet de A à Z et de visualiser facilement les différentes strates qui le composent. Pour Olivier Rebiere, c’est un peu comme une recette de tarte aux pommes : « Il s’agit avant tout d’une suite d’instructions à respecter dans l’ordre afin d’obtenir un résultat attendu… et délicieux si tout est suivi correctement ! Gantt nous propose donc de ranger ces instructions ou tâches les unes sous les autres, dans une colonne à gauche puis de “dessiner” à droite de cette liste des barres horizontales temporelles qui s’étirent selon la durée de leur exécution. Au fur et à mesure de la lecture des tâches, on tire ainsi des barres horizontales les unes sous les autres et de gauche à droite, selon l’écoulement du temps. Un peu comme sur une partition musicale ». Une fois que les barres horizontales ont été positionnées, on relie certaines d’entre elles par une flèche pour indiquer leur relation de dépendance : « Faut-il éplucher les pommes avant de les peler ? Bien sûr que oui, mais il faut le représenter graphiquement », indique Olivier Rebiere. Autrement dit, ces flèches servent à relier les tâches qui ne peuvent pas être réalisées sans une autre (exemple : il faut créer la maquette d’un site Web avant de s’attaquer au design).

À la fin de l’exercice de conception, le diagramme de Gantt apparaît comme une accumulation d’escaliers descendants, aux marches plus ou moins longues, selon une frise chronologique, aboutissant toutes sur un objectif précis. La succession des tâches et leur imbrication les unes par rapport aux autres se distinguent alors tout à fait clairement. De même que l’ensemble des objectifs singuliers qui, tous ensemble, permettent la concrétisation du projet complexe final : une maison, une autoroute, ou une tarte aux pommes.

Quels avantages par rapport à d’autres outils de gestion de projet ?

Utiliser le diagramme de Gantt revêt de nombreux avantages. À commencer par son aspect visuel : « Ce qui peut paraître très minutieux voire rébarbatif à l’œil devient rapidement interprétable, compréhensible, implémentable. On peut visualiser le déroulé d’un projet, un peu comme une BD ou un storyboard. Cela fait gagner un temps impensable et aide à s’organiser efficacement », soutient Olivier Rebiere. Le diagramme de Gantt est à un projet ce que le sommaire est à un livre : il donne un aperçu rapide de sa structure et des sous-parties qui le composent. Ou pour ceux qui préfèrent les analogies militaires, c’est comme un plan de bataille qui permet au général (le manager) d’organiser l’avancement de ses troupes sans entraves.

Par ailleurs, selon Olivier, « créer un tel diagramme nous oblige à “penser à la Gantt”, à former notre cerveau à réfléchir d’une certaine manière, plus systématique. Cela permet également de communiquer clairement et spécifiquement au sein du projet ». Le bénéfice est donc d’ordre managérial : non seulement le diagramme de Gantt facilite l’organisation du projet, mais il simplifie également sa compréhension chez les collaborateurs.

Enfin, n’oublions pas la dimension humaine d’un tel outil : « Qui doit effectuer quelle tâche, et quand, combien de temps ? Quelle autre tâche de quel autre collaborateur dépend directement ou pas de cette tâche qui la précède nécessairement ? Les meilleurs logiciels permettent ainsi de vérifier la charge de travail affectée à telle ou telle personne, de constater une surcharge momentanée ou l’inverse », explique Olivier Rebiere. D’ailleurs, lorsqu’on
doit faire face à un problème momentané, qu’il ait une cause humaine ou technique (accident, retard de livraison…), le diagramme de Gantt offre la possibilité de réorganiser toutes les tâches, toutes les ressources humaines.

Quel logiciel utiliser pour créer un diagramme de Gantt ?

À l’origine, le diagramme de Gantt était réalisé de façon manuelle, sur papier, ce qui représentait un travail chronophage. Surtout, à chaque changement dans le projet, il fallait tout recommencer de zéro. Heureusement, l’arrivée de l’informatique a changé la donne, offrant la possibilité de créer rapidement un diagramme de Gantt en ligne, et surtout de le modifier à tout moment sans effacer le travail original.

Aujourd’hui, il existe même des logiciels dédiés à la création et la gestion d’un diagramme de Gantt : « Je conseille tout d’abord de commencer avec un logiciel open-source et offline comme GanttProject qui est simple d’utilisation et utilisable sur toutes les plateformes : Windows, Mac et Linux. Je le présente en détail dans mon livre et la formation sur Udemy », recommande Olivier Rebiere.

Voici quelques logiciels gratuits ou « open source » qui permettent de réaliser un management de projet tout à fait correct :

• OpenProject
• LibrePlan
• TaskJuggler

Plusieurs logiciels commerciaux sont également à disposition des porteurs de projets. Les plus célèbres sont :

• Oracle Primavera
• Microsoft Project
• MindView

Ces programmes offrent des fonctionnalités plus avancées mais sont également plus complexes à prendre en main. À noter qu’ils sont généralement en anglais, il faut donc maîtriser un minimum la langue de Shakespeare.

Comment créer un diagramme de Gantt ? Exemple en 10 étapes

Et si on passait à la pratique ? Le meilleur moyen d’apprendre à réaliser un diagramme de Gantt, c’est… d’en créer un ! Et c’est ce que nous allons faire, en nous mettant dans la peau (fictive) d’un producteur de cinéma, qui a décidé d’utiliser un diagramme de Gantt pour organiser la conception de son prochain long-métrage.

Par où commencer ? Voici 10 étapes que vous pouvez suivre afin de réaliser votre diagramme de Gantt.

1. Identifier les tâches du projet : énumérez toutes les tâches nécessaires pour atteindre l’objectif du projet. Assurez-vous de décomposer le projet en plusieurs « sous-projets » et tâches individuelles, dès lors que celles-ci peuvent être séparées des autres.
2. Séquence des tâches : identifiez l’ordre logique dans lequel ces tâches doivent être accomplies. Certaines tâches peuvent dépendre d’autres, tandis que le reste d’entre elles peuvent être réalisées simultanément.
3. Estimation de la durée : pour chaque tâche, évaluez la durée nécessaire pour la compléter. Il est important d’être réaliste dans vos estimations.
4. Création d’une liste des ressources : identifiez les personnes, les outils, les équipements ou les matériaux nécessaires pour chaque tâche.
5. Établir des dépendances : déterminez les dépendances entre les tâches. Certaines doivent être accomplies avant que d’autres ne commencent.
6. Création du diagramme de Gantt : utilisez un logiciel de gestion de projet ou un outil dédié pour créer le diagramme de Gantt. Vous pouvez vous aider de la liste de logiciels proposée par Olivier Rebiere dans la partie précédente.
7. Ajout des tâches : ajoutez chaque tâche sur le diagramme de Gantt en utilisant des barres horizontales pour représenter la durée de chaque tâche. Les tâches dépendantes doivent être positionnées en conséquence.
8. Assignation des ressources : associez chaque tâche aux ressources nécessaires, en indiquant qui est responsable de chacune d’entre elles.
9. Suivi et gestion du projet : une fois que le diagramme de Gantt est créé, il doit être mis à jour régulièrement pour refléter l’avancement réel du projet. Vous pouvez utiliser différentes couleurs ou marques pour indiquer les tâches achevées.
10. Communication du plan : partagez le diagramme de Gantt avec les membres de l’équipe et les parties prenantes pour assurer une compréhension commune du plan du projet.

Maintenant que vous connaissez les étapes de création d’un diagramme de Gantt, mettons-nous à l’ouvrage. Pour la réalisation du long-métrage commandé par le producteur de cinéma, voici les différentes tâches identifiées, qui ont été classées selon leur ordre de réalisation :

• écriture du scénario ;
• casting ;
• réalisation du storyboard (c’est-à-dire la structuration de l’enchaînement des scènes sur papier) ;
• tournage ;
• postproduction (qui comprend le montage, le mixage et l’étalonnage) ;
• campagne de promotion du film.

Nous sommes en octobre, et le film doit sortir en décembre de l’année suivante, car c’est un film de Noël. Ce qui laisse 14 mois pour concevoir le film. Voici les délais estimés pour la réalisation de chacune des tâches :

• écriture du scénario : 2 mois ;
• casting : 1 mois ;
• storyboard : 2 mois ;
• tournage : 4 mois ;
• postproduction : 1 mois et demi ;
• campagne de promotion du film : 1 mois.

Concernant les ressources allouées à chaque tâche, qu’elles soient humaines (scénaristes, équipes de tournage, acteurs, techniciens…) ou matérielles (décors, studio, équipements…), elles sont nombreuses et complexes, nous avons donc préféré les laisser de côté pour cet exemple. Le listage des ressources reste néanmoins indispensable si vous créez votre propre diagramme de Gantt.

Passons maintenant aux choses sérieuses ! Pour créer notre diagramme de Gantt, nous avons utilisé le logiciel libre GanttProject. Voici le résultat :

On peut voir la répartition des différentes étapes de création du film, de sa genèse (rédaction du scénario) à sa promotion. Les relations de dépendance entre les tâches sont représentées par des flèches. Ce diagramme de Gantt devra être partagé avec toutes les équipes impliquées dans la conception du film et pourra être modifié tout au long du projet pour s’adapter aux changements (exemple : retard dans le tournage).

Diagramme de Gantt : quelles limites ?

Le diagramme de Gantt ne représente pas une solution miracle, et il n’est pas exempt de limitations : « Il peut être mal adapté pour prendre une décision dans l’urgence. Il faut alors faire appel à d’autres outils, comme tout simplement le bon sens et l’avis des acteurs sur le terrain. C’est un excellent outil de planification stratégique et tactique, mais il ne faut pas non plus ne jurer que par lui », avertit Olivier Rebiere.

Par ailleurs, le diagramme de Gantt s’avère moins pertinent pour certains projets. En effet, l’outil est davantage adapté aux projets linéaires qu’aux projets itératifs ou agiles, dont les relations d’interdépendance sont plus emmêlées et la temporalité plus difficile à établir. De même, pour les projets les plus complexes, un diagramme de Gantt peut rapidement devenir encombré et difficile à interpréter.

Enfin, Olivier Rebier insiste sur le fait que « le diagramme de Gantt doit être bien tenu à jour. Si les informations ne sont pas actualisées régulièrement, il perd sa valeur prédictive (que dois-je décider ?) et historique (qu’avons-nous accompli jusqu’ici ?). ll faut donc s’obliger à le revoir, le renseigner, sinon il perd sa valeur
managériale ». Selon lui, il faut essayer d’utiliser ce diagramme avec l’esprit ouvert, sans a-priori. Dans un monde où les logiciels en ligne sont légion, où la collaboration sur des environnements intégrés permet visioconférences et échanges de façon quasi-instantanée, le diagramme de Gantt a le mérite d’offrir
une « big picture », d’élargir la perspective, d’offrir du concret, du visible, à tous les participants un peu isolés devant leur écran ou dans leur atelier. Il permet d’unifier des impressions parcellaires. Que ce soit un chantier d’autoroute, la production et les phases de test d’un nouveau médicament, ou préparer une tarte aux pommes, le diagramme de Gantt est unique dans ce qu’il apporte à qui veut bien l’utiliser !

Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ