Nos cinq semaines de congés payés ? Le fruit d'un long combat social. Flash-back
30 juil. 2020
9min
Journaliste - Welcome to the Jungle
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Journaliste @Welcome to the jungle
« Pour près d’un Français sur deux, l’année se décompose en deux périodes bien distinctes : l’attente des vacances et les vacances », voici ce qu’écrivait l’administrateur à l’INSEE Claude Goguel en préambule de son étude Les vacances des Français en 1967. Plus d’un demi-siècle plus tard, 60% des Français comptent partir en vacances cet été et ce malgré la crise sanitaire du coronavirus. C’est tout de même un peu moins qu’en 2018, où ils étaient 66 %. Mais si les congés payés sont un moyen pour les salariés de décompresser, ils n’ont pas toujours existé et ont été le fruit d’un combat politique et syndicaliste. Alors que vous soyez déjà confortablement installé sur votre transat à écouter le chant des cigales ou encore cadenassé à votre chaise de bureau quelques semaines, nous avons décidé de vous rappeler les grandes dates qui ont marqué l’histoire des congés payés en France… Bonne lecture !
1853 - Alors que seule la bourgeoisie s’offrait un repos estival, les fonctionnaires obtiennent les premiers congés payés
« Ayant appris qu’il y avait, à Cabourg, un hôtel, le plus confortable de toute la côte, j’y suis allé. Depuis que je suis ici, je peux me lever et sortir tous les jours, ce qui ne m’était pas arrivé depuis six ans », dans sa lettre à Madame de Caraman-Chimay datée de 1907, Marcel Proust conte les bienfaits de l’air marin de la côte normande en été. L’auteur y est si bien qu’il revient sept années de suite, toujours à la belle saison. Non, ce n’est pas un mythe : avant les congés payés et leur généralisation à tous les corps de métier, seule la grande bourgeoisie s’octroie des jours de repos. À cette époque, les plus riches s’inspirent des traditions aristocratiques qui voulaient que les familles nobles quittent la ville aux premières lueurs de l’été pour ne pas souffrir de la chaleur, pendant que la France rurale, elle, travaille aux champs.
Pourtant dans certains secteurs, les congés payés sont apparus dès la fin du XIXe siècle en France. Le 9 novembre 1853, un décret de Napoléon III donne pour la première fois le droit à un congé rémunéré de quinze jours aux fonctionnaires d’État. Une petite révolution qui coïncide avec la création des premières stations balnéaires normandes (Cabourg, Houlgate, puis Deauville). En 1900, les salariés du métro parisien obtiennent à leur tour 10 jours de repos. La mesure est élargie aux salariés des entreprises électriques en 1905 et puis à ceux des usines à gaz l’année suivante. Sentant le bon filon, c’est aussi à cette époque que Michelin lance ses premiers guides.
1925 - L’homme politique, Antoine Durafour, tente de populariser les congés payés, en vain
Dans les années 1920, les syndicats réclament une revalorisation des salaires et une réduction du temps de travail quotidien… Les congés payés ne sont pas vraiment à l’ordre du jour. C’est Antoine Durafour, député radical-socialiste de la Loire alors ministre du Travail qui ouvre le débat en France, en soulignant que de nombreuses professions disposent déjà de congés payés. Selon cet ancien avocat, qui a rejoint la politique pour défendre les droits des travailleurs, cette situation est injuste et injustifiable. Afin que les ouvriers disposent à leur tour de vacances, il écrit un projet de loi visant à généraliser deux semaines de congés payés pour les salariés de plus de deux ans d’ancienneté. Pour soutenir sa démarche, Durafour insiste : un tel dispositif va améliorer la santé des travailleurs… et leur productivité. Malgré son panache, il ne convainc pas.
Pendant plusieurs années, le projet passe entre les mains de différentes commissions… jusqu’en 1931. Le 2 juillet, il est finalement mis à l’ordre du jour par la chambre des députés. Face aux arguments économiques, Louis Gros, député de la SFIO, souligne l’impact positif de cette mesure dans les pays frontaliers de la France, notamment en Allemagne et en Italie, qui l’ont mis en place au début du siècle. Le texte est voté par une large majorité à la chambre des députés, mais débouté par la chambre de commerce. Le texte tombera dans les oubliettes… jusqu’en 1936.
1936 – Le Front populaire vote la généralisation des congés payés !
Le 3 mai 1936, le Front Populaire arrive au pouvoir. Nommé président du Conseil, Léon Blum sait qu’il doit agir vite, très vite pour appliquer le programme du Front Populaire et calmer les mouvements sociaux. Parmi les sujets brûlants du moment, on retrouve la semaine de 40 heures et les accords de branche. Et les congés payés ? Si ces derniers ne font pas partie des promesses du Front Populaire, leur revendication ne cesse de prendre de l’ampleur.
Forcé de composer avec cette nouvelle exigence, le projet de loi instaurant les congés payés est rédigé en urgence dans la nuit du 8 au 9 juin 1936. Le 9 juin, Léon Blum présente le texte à la Chambre du conseil et deux jours plus tard, la loi est votée par la Chambre des députés. Quid de son contenu ? Avec cette loi, les congés payés deviennent obligatoires pour toute personne ayant un contrat de travail (peu importe son âge, son sexe et sa nationalité). Pour ceux qui ont plus d’un an d’ancienneté, le repos annuel est fixé à 15 jours par an, dont 12 jours ouvrables. Quant aux travailleurs qui ont entre 6 mois et un an d’ancienneté, la durée des congés ne s’élève qu’à une semaine, dont 6 jours ouvrables.
Dès l’année 1936, pas moins de 600 000 Français partent en vacances grâce aux billets de train à prix réduits, et près de 2 millions l’année suivante. Mais il faut relativiser ces chiffres, l’esprit des vacances ne s’est pas tout de suite imposé dans l’esprit des Français. Au début, les congés payés : « C’est l’occasion (pour les ouvriers) de donner le coup de main et d’aider leurs proches, notamment dans les champs.[…] Le véritable mouvement démarre avec les trois millions (de billets vendus) en 1948, plus de quatre en 1949, plus de cinq en 1951 », rappelle l’historien André Rauch. Jusqu’alors réservé à la bourgeoisie, le tourisme s’ouvre aux classes populaires : c’est le début de ce que l’on appellera plus tard la “société de loisirs”.
1956 - La troisième semaines de congés payés chez Renault pousse le gouvernement à légiférer
Pour connaître l’origine de la troisième semaine de congés payés, il est nécessaire de remonter dans le temps… jusqu’au matin du 16 septembre 1955. Alors que la situation est très tendue dans leurs usines de Nantes et de Saint-Nazaire (grèves, émeutes, etc.), la direction de la Régie nationale des usines Renault et les syndicats signent l’accord du 15 septembre 1955. Si certains doivent se demander pourquoi l’accord du 15 septembre a été voté un 16 septembre, en toute franchise nous ignorons… Alors, nous allons plutôt nous concentrer sur son contenu. Selon Cyrille Sardais, docteur en sciences de gestion et professeur adjoint de management à HEC Montréal : « Il s’agit là de l’un des accords d’entreprise les plus importants de l’histoire de l’après-guerre en France, tant par le contenu des mesures en jeu que par leur impact sur la société toute entière. » En plus d’augmenter les salaires, l’accord inaugure la troisième semaine de congés payés pour les salariés de Renault.
Quelques mois plus tard, le socialiste Guy Mollet investi président du conseil par une majorité de Front Républicain, met à l’ordre du jour la généralisation de cette mesure pour donner « aux travailleurs une détente annuelle, dont ils ont besoin. » Le 28 février 1956, l’Assemblée nationale vote la loi à l’unanimité. Les syndicats applaudissent et le 27 mars, la troisième semaine de congés payés est promulguée.
1969 - Mai 68 ralentit le vote de la quatrième semaine de congés payés
Comme toujours dans l’histoire, il y a les idées reçues et la réalité des faits. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, la quatrième semaine de congés payés n’est pas un héritage direct des accords de Grenelle (négociation collective entre syndicats et organisations patronales menée à l’initiative du gouvernement en mai 1968, ndlr), mais bien une session de rattrapage qui doit mettre les salariés sur un même pied d’égalité. Une fois encore, c’est Renault qui ouvert la brèche en instaurant une quatrième semaine de congés payés pour ses salariés dès 1962, sans en aviser le gouvernement. À l’époque Pierre Dreyfus, le patron de la firme, n’avait soit-disant pas réussi à le joindre à temps !
En réaction, le Conseil national du patronat français, l’ancêtre du Medef, signe un accord en 1965 pour l’étendre aux salariés des grandes entreprises françaises. Mais après un rejet des PME, le gouvernement n’a d’autre choix que de passer par une loi pour éviter de créer un fossé entre les travailleurs. Celle-ci sera votée le 2 mai 1968. Cependant, les « événements de mai 68 » ralentissent le processus en entraînant une dissolution de l’Assemblée nationale et retarde sa publication au 17 mai 1969. À l’époque, Léon Gingembre, délégué général de la Confédération des PME, décrit une mesure qui « constitue un handicap pour leur compétitivité à l’égard de leurs concurrents étrangers. » Avec les quatre semaines de congés payés, la France se situe au deuxième rang mondial des pays les plus généreux en la matière, juste derrière Cuba !
1982 - Une cinquième semaine et des chèques vacances pour favoriser le tourisme
Après la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981, le gouvernement de Pierre Mauroy prend une série de mesures sociales. Le 25 février 1982, une ordonnance instaure la semaine de 39 heures et la cinquième semaine de congés payés aux Français, soit trente jours ouvrables. Ce n’est pas tout : le gouvernement institue huit jours fériés payés par an. Si les salariés n’ont jamais eu autant de temps libre, le gouvernement souhaite qu’il profite à l’industrie du tourisme, en plein essor en France. Ce secteur est d’ailleurs si important que François Mitterrand lui dédie un ministère : le ministère du temps libre. Avant de disparaître en 1983, l’un des héritages les plus marquants de l’action du ministère reste la création des chèques-vacances, qui aident financièrement les salariés à payer leurs déplacements et leurs logements de villégiature.
L’obtention de la cinquième semaine de congés payés sonne aussi la fin de la mécanique syndicale du « toujours plus ». Aucune confédération ne revendique une sixième semaine, préférant alors concentrer son combat sur les 35 heures. De nos jours, en dehors de certains secteurs où les congés sont bien plus nombreux - presse, enseignement et certains services de l’État - la règle est inchangée. Et si les congés payés ne font plus la Une depuis quarante ans, les traces de ce combat social restent ancrées dans notre histoire populaire : selon un sondage paru en novembre 1999, 41% des Français estimaient les congés payés avaient été « le fait de société du siècle », juste après le droit de vote des femmes.
2000 - Les 35 heures donnent naissance aux RTT
Sujet d’affrontement politique historique entre la droite et la gauche, la semaine de 35 heures est finalement votée par le gouvernement de Lionel Jospin avec les lois Aubry de 1998 et 2000. Une mini révolution s’opère alors au sein des entreprises qui doivent totalement repenser leurs modes d’organisation. Adoptée en premier lieu dans les grandes entreprises, cette loi s’impose au 1er janvier 2002 dans toutes les structures, y compris celles de moins de 20 salariés. Rapidement, plusieurs façons d’adopter cette nouvelle durée du travail émergent, dont la possibilité de rester à une semaine de 39 heures, en bénéficiant de jours de RTT - acronyme de réduction du temps de travail - pour compenser. Ces nouveaux jours “off” sont considérés comme des congés en plus pour les salariés, qui peuvent en accumuler jusqu’à 10 par an !
Si l’idée des 35 heures était de partager le temps de travail pour favoriser la création d’emplois, elle a aussi été pensée pour apporter plus de temps libre et améliorer ainsi la vie familiale. Un pari a priori réussi puisqu’un an après sa mise en place, près de deux salariés sur trois affirmaient que la réduction du temps de travail avait amélioré leurs conditions de vie. Et parmi les actifs parents de jeunes enfants, 60% déclaraient mieux concilier travail et vie de famille. Régulièrement décriée, la semaine de 35h, cette “exception française”, reste la durée légale de référence.
2020 - Des congés payés chamboulés par la crise de la Covid-19
À situation exceptionnelle, dispositions exceptionnelles : pour la première fois cette année, les droits des congés payés reculent en France. Pour faire face aux difficultés liées à l’épidémie de la Covid-19, le gouvernement a mis en place des mesures d’urgence et assoupli par la même occasion les règles des congés payés, de la durée du travail ou encore des RTT, dans son ordonnance du 25 mars 2020.
Après un accord d’entreprise ou de branche, le texte permet aux employeurs d’imposer aux salariés la prise de congés payés ou de déplacer des congés déjà posés, pour un maximum de six jours, sans avoir à respecter le délai de préavis d’un mois. L’employeur peut également, sans l’accord des salariés, fractionner les congés payés ou suspendre le droit à un congé simultané pour les couples qui travaillent dans la même structure. Jusqu’à dix jours de RTT peuvent aussi être imposés ou déplacés avec un préavis minimum d’un jour. Dans ce cas précis, l’accord préalable n’est même pas requis !
Selon le gouvernement, ces mesures doivent « permettre aux entreprises et aux salariés d’adapter les conditions de travail pour faciliter la continuité de l’activité. » Pas de panique cependant, ces dérogations au droit du travail sont pour l’instant limitées dans le temps : jusqu’au 31 décembre 2020 ! Et si les syndicats s’inquiètent déjà d’un possible recul de cet acquis social, le repos annuel est loin d’être remis en cause. Les Français sont d’ailleurs toujours à la recherche d’un meilleur équilibre vie pro-vie perso. Celui-ci passera-t-il par la généralisation de la semaine de quatre jours, de la journée de cinq heures, ou des vacances illimitées déjà à l’essai dans quelques entreprises ? Seul l’avenir nous le dira… mais on est sur le coup !
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