Les quotas, ça marche ? Les 5 leçons de la loi Copé-Zimmermann
27 janv. 2021
7min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
C’est en pleine crise sanitaire, alors que partout dans le monde, les femmes professionnelles sont frappées de plein fouet par la crise économique — on parle de Shecession — que l’on fête, cette année, en France, les 10 ans de la loi Copé-Zimmermann, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance.
Quand on regarde aujourd’hui la situation des femmes en entreprise, et leur représentation dans les structures dirigeantes (publiques et privées), on ne peut s’empêcher de voir des paradoxes et des évolutions contradictoires. Il y a à la fois certains progrès remarquables, et des choses qui semblent ne pas changer, voire régresser.
Parmi les progrès les plus spectaculaires observés depuis 2011, on peut citer la place qui est faite aux débats sur le partage du pouvoir et l’égalité femmes-hommes. Le simple fait de compter les femmes et les hommes n’est plus aussi tabou qu’il y a une décennie. À cet égard, l’Index de l’égalité professionnelle (issu d’une loi votée en 2018) a beaucoup joué pour faire avancer la cause de la transparence.
L’idée des quotas, encore jugée infamante par une majorité de féministes il y a une génération, est mieux acceptée dans la société et les entreprises. On n’y voit plus forcément une « injustice » faite à la méritocratie, mais plutôt un procédé temporaire, pragmatique pour faire avancer les choses plus vite. On a aussi assez de recul pour voir les effets rapides qu’ont eus les quotas là où ils ont été mis en place.
Pourtant, on ne peut s’empêcher aussi de voir tout ce qui ne change pas. La mixité des conseils d’administration n’a pas eu d’effet magique sur la représentation des femmes parmi les dirigeant·e·s des entreprises. Ainsi, il y a toujours aussi peu de femmes « pédégères » en France. En somme, le pouvoir et le capital économiques ne semblent pas mieux partagés qu’il y a dix ans.
Les inégalités de revenus, la fréquence des contrats de travail à temps partiel chez les femmes, le partage inégal des corvées domestiques au sein des foyers, les violences domestiques… tout cela semble même prendre de l’ampleur à la faveur de la crise actuelle, comme pour nous rappeler encore et toujours la pertinence de cette citation de Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »
En guise de petit bilan, voici les 5 leçons que l’on peut tirer de ces 10 ans de loi Copé-Zimmermann pour en célébrer l’anniversaire.
1. Les quotas, ça fonctionne.
Quand Nicolas Sarkozy était Président et que la loi dite Copé-Zimmermann (ce nom vient de deux députés UMP qui l’ont portée, Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann) a été votée, le 27 janvier 2011, on comptait moins de 10% de femmes aux conseils d’administration des grandes entreprises cotées en France. Pour « rechercher une représentation équilibrée des femmes et des hommes », la loi Copé-Zimmermann prévoit que la proportion des administrateurs de chaque sexe ne peut être inférieure à 40% dans ces sociétés.
En seulement quelques années, les conseils d’administration et de surveillance se féminisent plus rapidement que prévu. De 23,7% en 2012, on passe à 34% en 2015, et presque 44% aujourd’hui. La France est désormais championne en la matière : elle affiche la plus forte proportion de femmes membres de conseils d’administration des plus grandes entreprises cotées en bourse dans toute l’Union européenne (c’est bon d’être numéro 1 !), devant l’Italie et la Suède (36%), la Finlande (35%) et l’Allemagne (34%). Et les entreprises « bonnes élèves » qui font mieux encore que la moyenne se multiplient (Engie, BNP Paribas, Danone…).
L’un des premiers pays à avoir passé une mesure similaire, c’était la Norvège, en 2003. Force est de constater que depuis cette époque, on a assez de recul pour connaître l’efficacité des quotas. Du coup, l’opposition au principe même des quotas se fait moins violente qu’il y a une génération, quand certaines féministes, à l’image d’Elisabeth Badinter, affirmaient que défendre les quotas, c’était faire « fausse route »…
2. La mixité des conseils d’administration n’a pas d’effet magique sur les autres instances dirigeantes.
On n’observe aucun « effet de ruissellement » sur les autres structures dirigeantes. Les quotas marchent uniquement là où ils existent. Dans les comités de direction ou parmi les PDG des entreprises cotées, la mixité reste médiocre. Le succès de la loi Copé-Zimmermann masque donc de grandes disparités. En bref, là où il y a des simples « objectifs » plutôt que des quotas, les choses bougent très lentement.
On ne compte que 18,2% de femmes dans les comités exécutifs au sein des entreprises du CAC 40 (ce qui est tout de même mieux qu’il y a 10 ans), et zéro femme parmi les PDG des 60 plus grandes entreprises françaises en 2020. C’est pour cela qu’un rapport remarqué du Haut Conseil à l’Egalité (HCE) entre les femmes et les hommes sur « l’accès des femmes aux responsabilités » de 2019 préconise un recours aux quotas pour les comités exécutifs et de direction des sociétés cotées.
3. Les débats sur la parité ont beaucoup évolué.
Il y a 10 ans, on entendait souvent l’idée que le manque de candidates qualifiées est ce qui explique le fossé entre le nombre de femmes et d’hommes dans les instances dirigeantes. Une enquête menée en 2016 par le Cabinet Spencer Stuart auprès de 4 000 dirigeant·e·s a révélé que les dirigeants masculins de plus de 55 ans avaient tendance à mettre en avant le manque de candidates qualifiées comme la raison principale, tandis que les dirigeant·e·s féminines et les plus jeunes considéraient que la faible mixité s’expliquait par la force des réseaux de pouvoir largement masculins (qui choisissent assez naturellement des personnes qu’ils connaissent et/ou qui leur ressemblent).
Depuis 10 ans, les sciences comportementales ont converti le grand public et les décideurs / décideuses à l’idée que nous sommes biaisé·e·s. Le best-seller de Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge, a été publié en France en 2012, quelques années avant l’obtention du Prix Nobel d’économie par Richard Thaler (en 2017). On parle davantage des biais cognitifs et on remet plus souvent en question l’existence de la « méritocratie » (dont se gargarisent encore celles / ceux qui s’opposent encore aux quotas). Plusieurs travaux académiques ont récemment montré que « la méritocratie n’atteint pas ses promesses. »
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En somme, on s’intéresse davantage aux phénomènes sociaux qui se cachent derrière la faible mixité des instances de pouvoir. Et on affiche une plus grande volonté de valoriser les talents dans leur diversité. Si les progrès réels ne sont pas toujours au rendez-vous dans les entreprises, en revanche, les discours affichés sur la mixité, la diversité et l’inclusion sont là.
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4. Il faut aller plus loin que les quotas dans les CA pour faire avancer l’égalité professionnelle.
Pendant des années, on a parlé de la loi Copé-Zimmermann comme d’une étape et débattu des mesures à mettre en place pour faire progresser l’égalité professionnelle dans toutes ses dimensions (voir, par exemple, ce rapport de l’Institut Montaigne de 2019). L’an dernier, et cette année, à l’occasion du dixième anniversaire de la loi du 27 janvier 2011, on discute sérieusement à Bercy de l’extension des quotas qui s’appliquent dans les conseils d’administration à toutes les instances dirigeantes des entreprises. « Il faut se rendre à l’évidence : sans quotas, pas de résultat », entend-on à Bercy.
Ces dernières années, on s’est doté de nouveaux outils pour faire avancer la mixité. Ainsi, depuis 2018, l’Index de l’égalité femmes-hommes oblige les entreprises (d’abord les grandes, puis les moins grandes) à mettre en place de nouveaux indicateurs pour faire la transparence sur les inégalités. Sous la forme d’une note sur 100, l’index considère plusieurs critères pour évaluer les inégalités de genre en entreprise : la rémunération, les augmentations, les promotions, les retours de congés maternité…
« *Chaque année, les entreprises françaises de plus de 50 salariés devront publier sur Internet le score obtenu à l’index d’égalité femmes-hommes. S’il est inférieur à 75 sur 100, elles auront trois ans pour se mettre en conformité. Dans le cas contraire, elles seront sanctionnées financièrement jusqu’à 1% de leur masse salariale. »
5. On parle de plus en plus de diversité au-delà du seul sujet de la parité femmes-hommes.
Aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’année 2020 a déclenché une controverse sur le fait que les progrès en matière de diversité au sein des conseils d’administration ont été beaucoup plus rapides pour les femmes blanches que pour celles issues de minorités. Par exemple, un rapport de 2020 a révélé qu’à la suite de l’adoption par la Californie de la loi SB 826, qui impose la parité dans les conseils d’administration, une majorité écrasante (près de 80%) des sièges occupés par des femmes le sont par des femmes blanches. Au Royaume-Uni, une analyse des administrateurs du FTSE réalisée en 2019 a révélé que 100 % des administrateurs féminins du FTSE 100 étaient blancs, tout comme 97 % des administrateurs féminins du FTSE 250…
À la différence des Etats-Unis ou du Royaume-Uni, on est limité en France par l’impossibilité de collecter des statistiques sur l’ensemble des critères de la diversité. C’est pourquoi on se contente souvent de ramener le sujet de la « diversité » à celui de la parité femmes-hommes. S’intéresser à l’origine ethnique, à l’orientation sexuelle, ou à la religion, par exemple, cela reste encore souvent tabou en France.
Pour autant, des voix commencent à se faire entendre sur ces sujets-là aussi. Partout en Europe, l’année 2020 a vu fleurir des mouvements à l’image du mouvement Black Lives Matter. Les manifestations contre les violences policières ont fait parler du « racisme institutionnel » qui existe aussi dans les entreprises. Mais on parle davantage de l’intégration des personnes en situation de handicap, ou encore du sujet de l’âgisme en entreprise.
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En conclusion, célébrer les 10 ans de la loi Copé-Zimmermann, loi historique sur la représentation des femmes et des hommes dans les conseils d’administration des entreprises, c’est aussi une bonne occasion de faire le point sur le partage du pouvoir économique en France. On peut dire que la société et les entreprises ont fait du chemin en une décennie… mais nous sommes encore très loin du compte.
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