Le deuil en entreprise : comment surmonter cette épreuve ?

08 janv. 2020

8min

Le deuil en entreprise : comment surmonter cette épreuve ?
auteur.e
Cécile Nadaï

Fondatrice de Dea Dia

« Un accident de la vie, ça prend toujours de cours. Personne ne savait quoi faire », raconte Ciara dans notre podcast« Celle qui avait perdu son collègue »

De fait, le deuil en entreprise est une chose à laquelle on pense rarement avant d’y être confronté. Pourtant, les drames peuvent bel et bien toucher le monde du travail et, lorsque c’est le cas, il est essentiel d’affronter cette situation particulière avec bienveillance et empathie. Avec l’aide de Vanessa Lauraire, psychologue du travail et psychohérapeute, nous tenterons d’expliquer cette épreuve et voir comment la traverser au mieux.

Même au travail, le deuil est toujours une épreuve personnelle

Il convient de rappeler qu’un deuil dans notre vie professionnelle est aussi important qu’un deuil qui surviendrait dans notre vie privée. « On distingue souvent vie privée et vie professionnelle, or un deuil est un deuil. Qu’il survienne dans la vie personnelle ou au travail, il aura des conséquences psychologiques. », explique Vanessa Lauraire.

En revanche, selon les circonstances du deuil, notre réaction sera totalement différente. Les causes du décès ou encore le niveau de proximité avec la personne disparue sont autant de composantes qui font que chacun vivra cette situation de façon différente et personnelle. Dans tous les cas, il est essentiel de prendre le temps nécessaire pour surmonter cette épreuve, car faire le deuil demande du temps et ce temps peut venir se heurter à la temporalité de l’entreprise.

« On distingue souvent vie privée et vie professionnelle, or un deuil est un deuil. » Vanessa Lauraire, psychologue du travail

Comment surmonte-t-on un deuil ?

Le deuil est un processus. Pour y faire face ou aider des personnes à le surmonter, il est important de le comprendre, d’en connaître les différentes étapes et leurs émotions associées. Cela aide à prendre conscience que ce que nous ressentons est normal, qu’il y a une fin mais aussi de comprendre ce que peut vivre un collègue et de mieux discerner où il en est dans son propre processus de deuil.

Les cinq phases du deuil

Le processus de deuil se divise en cinq phases qui ont été théorisées dans les années 1960 par Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre et psychologue américaine.

  • Le choc/déni : lorsque le drame survient ou que tombe la mauvaise nouvelle, l’esprit n’est pas prêt à l’admettre, cette rupture de la normalité semble impossible.
  • La colère : après le déni, la colère apparaît, qu’elle soit tournée vers soi-même, vers des personnes jugées responsables, vers la personne disparue, celle qui la remplace ou même contre la Terre entière.
  • La négociation : on tente ensuite de négocier avec la réalité pour reprendre espoir et donner du sens à ce qui n’en a pas, en se tournant par exemple vers la spiritualité.
  • La tristesse : une étape particulièrement douloureuse, plus ou moins longue, mais nécessaire pour passer à l’acceptation.
  • L’acceptation : peu à peu, on accepte la réalité, on se sent prêt à reprendre le cours de sa vie. La tristesse n’a pas nécessairement disparu, mais elle n’empêche plus de vivre et d’envisager son avenir.

Un processus non normé

S’il est important de connaître ces grandes étapes pour mieux appréhender cette épreuve, il faut garder à l’esprit qu’elles ne sont pas figées. Chacun son rythme, chacun son ressenti. Le processus de guérison peut prendre quelques mois ou des années.

La plupart du temps, on traverse ces phases sans même en avoir conscience. Certains les traversent dans cet ordre-là, pour d’autres, elles ne s’enchaînent pas de manière linéaire. Par ailleurs, certaines phases durent plus que d’autres et il peut y avoir des retours en arrière : on pensait aller mieux et la tristesse nous tombe à nouveau dessus. « Chacun traverse ces phases de façon très personnelle, pas en même temps et pas au même rythme. Il faut donc savoir les reconnaître, chez soi et chez les autres, sans se juger soi ni juger les autres. Accepter son propre rythme, naturel, et laisser les autres vivre le leur », conseille Vanessa Lauraire.

Les stratégies d’évitement

On peut être amené à mettre en place des stratégies pour se défendre de la douleur : en se persuadant que l’épreuve ne nous atteint pas et que l’on ne souffre pas. L’objectif majeur de ces stratégies, souvent inconscientes, est d’éviter d’affronter ses émotions. Dans le contexte professionnel, cela peut avoir d’autres causes, par exemple la peur d’être vu comme quelqu’un de faible ou de pas assez performant. Cela peut amener à refouler ses émotions, à ne pas exprimer sa peine ou ses difficultés. « Il est important de prendre conscience de son mal être, le nier n’arrange jamais rien. Cela peut avoir des répercussions sur la concentration au travail. La personne sera moins efficace et à la douleur initiale peut alors s’ajouter celle d’une culpabilité du travail moins bien effectué, voire mal fait ou pas fait. Avant toute chose, il apparait donc important de savoir s’écouter. » prévient Vanessa Lauraire.

Ceci sans compter que ces issues ne sont pas viables à long terme. La souffrance trouvera toujours un moyen de s’exprimer. « Ce conditionnement psychologique faillira à un moment donné, se traduisant possiblement par une décompensation, une maladie… » ajoute la psychologue.

« Il est important de prendre conscience de son mal être, le nier n’arrange jamais rien. » Vanessa Lauraire

Les blocages à ne pas négliger

Au cours du processus de deuil, des blocages peuvent intervenir. Certains s’enferment dans la dépression, d’autres ne parviennent pas à sortir de la colère. Ils peuvent même se persuader qu’elle est utile parce qu’elle leur évite de souffrir et leur donne de l’énergie, mais elle est en réalité un obstacle à leur guérison. « Certaines personnes restent longtemps dans la colère. Cela peut avoir diverses conséquences : comportements autodestructeurs, addictions, isolement, agressivité… », avertit Vanessa Lauraire.

Quand on voit un collaborateur qui semble durablement en colère suite à un deuil, on peut donc essayer de lui parler afin de lui faire comprendre qu’il n’est pas seul, qu’il est compris.
« Souvent, c’est l’entourage qui nous fait remarquer que l’on ne va pas bien. Cette remarque constitue une première étape pour s’interroger sur son état de santé et prendre conscience de son besoin d’être aidé. Tout processus de guérison commence par le fait de voir et son problème, puis de le comprendre pour enfin le transformer et le dépasser », ajoute la psychologue.

« Tout processus de guérison commence par le fait de voir et son problème, puis de le comprendre pour enfin le transformer et le dépasser. » Vanessa Lauraire

Que peut faire l’entreprise pour aider les salariés ?

Dans ce genre de situation, la loi ne prévoit pas de congés spécifiques pour les employés ayant perdu un collègue. Il n’existe pas non plus de protocole établi à respecter par l’entreprise. Chaque structure mettra en place les mesures qui lui sembleront nécessaires pour accompagner et aider les équipes à surmonter cette épreuve, afin qu’elles se sentent soutenues et comprises

L’organisation doit pouvoir mesurer l’impact de l’événement sur les collaborateurs, de façon collective et individuelle. Or, ce n’est pas toujours le cas. Dans le podcast Le Bureau #26, Ciara raconte par exemple que son entreprise, prise au dépourvu, n’a pas réagi comme elle l’aurait souhaité. « On était dans un grand groupe quand même, on pensait qu’il pourrait y avoir une cellule de crise mise en place. Mais non… »

Lorsque c’est le cas, chaque salarié peut aller voir son supérieur direct, pour lui faire part d’une incompréhension, d’un étonnement à propos de ce que l’entreprise met (ou ne met justement pas) en place à la suite du drame… « Par exemple tout salarié doit pouvoir solliciter un rendez-vous avec le service de la médecine du travail et ainsi trouver un espace secure, au sein duquel il peut s’exprimer librement et en confiance. » suggère Vanessa Lauraire.

Comment prendre soin de soi ?

1. Ne pas se juger

La manière dont on va vivre et faire face au décès d’un collègue dépend de multiples facteurs : la relation qu’on entretenait avec la personne, les circonstances de sa disparition, notre situation personnelle et professionnelle au moment du décès, notre personnalité, etc. Il est donc naturel de vivre son deuil d’une manière toute personnelle. Ne cherchez pas à vous comparer aux autres, ne vous demandez pas si vous êtes normal. Chacun vit les choses à sa façon. Si vous sentez que vous avez besoin de prendre quelques jours, ne vous forcez pas à retourner travailler. A contrario, si vous êtes supposé prendre trois jours de congés mais que vous vous sentez mal en restant chez vous, vous pouvez tout à fait retourner travailler si vous sentez que cela vous fera du bien. Il n’y a pas de règles. En revanche, si vous vous sentez mal ou en difficulté, il est important d’aller consulter des professionnels qui sauront vous accompagner, vous conseiller, vous orienter si besoin.

2. Demander ou accepter de l’aide

En cas de choc ou de grande souffrance, n’hésitez pas à vous faire aider. Vous pouvez par exemple vous adresser à votre supérieur hiérarchique pour envisager ensemble ce qui peut-être mis en place : aménagement du temps de travail, bilan psychologique, mise en place de groupes de parole. Si une cellule d’écoute est mise en place, chaque salarié peut décider d’y faire appel ou pas selon ses besoins. Vous pouvez également choisir de faire appel à un professionnel extérieur à l’entreprise. Pour Vanessa Lauraire, « l’essentiel est de se sentir en sécurité pour exprimer ce qu’on ressent. Cela ne sert à rien de s’obliger à aller participer à un groupe de parole si on ne s’y sent pas bien, d’aller parler à un professionnel avec qui on ne se sent pas à l’aise. Il faut trouver la formule qui nous convient. »

Demander de l’aide est d’autant plus important si vous souffrez de troubles du sommeil, de perte d’appétit ou d’une difficulté à vous concentrer. Ces symptômes du deuil doivent être pris en considération, d’autant que la fatigue peut accentuer des sentiments comme la colère ou la tristesse. Il est important de les repérer pour pouvoir y remédier.

3. Prendre son temps

Ne vous culpabilisez pas d’avoir besoin de temps. Si on ne prend pas le temps nécessaire pour faire son deuil, on risque de ralentir le processus. On ne peut donc pas vous fixer de délai pour aller mieux. C’est à l’entreprise de s’adapter au temps du deuil. Pour Vanessa Lauraire, « Le temps de l’organisation et de la gestion n’est pas celui du temps « de crise ». Le deuil ne se chiffre pas »

Comment aider un collègue à surmonter un deuil ?

Soutenir un collègue en détresse est un véritable travail d’équipe. Le processus de deuil est souvent long et douloureux. Vous ne pourrez pas éviter à votre collègue de souffrir suite à la perte d’un être cher, ou même d’accélérer son processus de deuil. En revanche, vous pouvez l’assurer d’un soutien, d’une présence, lui proposer votre écoute, vous montrer disponible quand il vous sollicite, tenter d’ouvrir un dialogue avec bienveillance, sans chercher à lui imposer vos solutions, et ce même si elles ont fonctionné pour vous, car c’est très subjectif. « Il vaut mieux éviter de fournir des conseils ou des solutions toutes faites. Ce n’est pas parce que cela nous a fait du bien que telle méthode s’avère opportune pour l’autre. Simplement partager son expérience et la témoigner à l’autre. », insiste Vanessa Lauraire.

« Il vaut mieux éviter de projeter ses besoins ou ses solutions sur l’autre. » Vanessa Lauraire

S’il vous semble qu’un collègue est en souffrance et a besoin d’aide mais que rien n’est mis en place par votre entreprise pour le soutenir, vous pouvez en faire part à votre supérieur hiérarchique. Selon Vanessa Lauraire, « En général, les entreprises réagissent et s’impliquent. Elles n’ont aucun intérêt à avoir des salariés qui aillent mal. Il existe de toute façon une obligation de santé et sécurité des salariés pour l’employeur. ».

Vous ne pourrez pas effacer la douleur de votre collègue. Néanmoins, en lui témoignant soutien et empathie, il se sentira entendu et considéré. Vous lui ferez comprendre qu’il peut prendre tout le temps nécessaire à sa guérison sans crainte d’être jugé ou mis de côté. Cela peut sembler anecdotique au vu du drame qu’il traverse, cela participer pourtant au travail de deuil et à la reconstruction..

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Photo d’illustration by WTTJ

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