Entreprise toxique : pourquoi partir ne suffit pas à s'en remettre
04 janv. 2024
5min
Les comptes Instagram @balancetastartup et @balancetonagency en sont la preuve : les expériences toxiques en entreprise sont, tristement, loin d’être exceptionnelles. Cela dit, se distancier physiquement en changeant de service ou en prenant la porte ne suffit pas toujours à panser ses blessures. Comment intégrer ces expériences, qui brûlent parfois longtemps, à son bagage et continuer à naviguer sur le marché du travail ? Décryptage.
Que l’on parle d’amour, d’amitié ou de travail, n’importe quelle relation toxique peut avoir des conséquences désastreuses sur celui ou celle qui la subit. « Toutes les expériences de stress aigu ou chronique sont délétères pour la santé mentale, confirme Christophe Nguyen, psychologue du travail spécialisé dans les risques psychosociaux. Souvent insidieuses, ces situations créent des brèches dans l’estime de soi de la personne, en particulier quand elle ne bénéficie pas de certains facteurs de protection. » Selon le temps d’exposition, ces attitudes peuvent découler sur l’apparition de troubles mentaux : burn-out, dépression, stress post-traumatique… Mais comment alors, lorsqu’on a été victime d’une telle expérience, peut-on parvenir à remonter la pente ? De quelle façon retrouver à nouveau la foi envers une nouvelle entreprise ?
Une expérience toxique et ses dégâts à long terme
« Dès mon entretien d’embauche, j’ai senti une aura bizarre autour de la directrice de création qui allait devenir ma boss. Elle était impressionnante, je me sentais toute petite à côté d’elle et surtout, les autres salariés avaient l’air d’avoir peur d’elle. Tous voulaient savoir comment s’était passé mon entretien », retrace Lola, 28 ans. Très vite embauchée dans l’agence parisienne, la jeune directrice de création ne sait alors pas qu’elle s’apprête à subir un management autoritaire, intimidant et lunatique, à la Miranda Priestly dans Le Diable s’habille en Prada. Ce n’est qu’un mois après avoir pris ses nouvelles fonctions que Lola rencontre réellement sa N+1, à son retour de congés. « Quand elle est rentrée, elle ne m’a pas dit bonjour, ni souhaité la bienvenue. Je faisais le dos rond pour lui plaire : quand elle me valorisait j’avais l’impression d’être la meilleure, puis le lendemain elle m’assassinait. Le climat qu’elle projetait dans la boîte me tétanisait tellement que j’ai commencé à développer une phobie sociale. Rapidement, mon travail a commencé à impacter ma vie privée : je pleurais beaucoup, je devenais détestable avec mon entourage proche… »
Un burn-out et une thérapie plus tard, Lola porte encore les séquelles d’une relation toxique qui a lentement, mais sûrement sapé sa confiance en elle. Depuis formée à un nouveau métier qu’elle exerce en indépendante, elle ne repense que rarement à cette période : « Dans un premier temps j’ai été très fragilisée, j’ai passé plusieurs mois au chômage et j’ai beaucoup dormi car j’étais épuisée. Quand je repense à tout ça, c’est comme si j’avais vécu la même journée pendant deux ans. Mon cerveau a fait un raccourci pour mettre tout ça à la poubelle. » Des comportements que le spécialiste Christophe Nguyen connaît hélas trop bien : « Une telle expérience peut laisser une véritable empreinte, sous forme de souvenirs qui vont faire effraction dans le conscient de la personne et créer des pensées automatiques stressantes ou des activations anxieuses lors de moments d’exposition à des situations évocatrices. » Quitter l’entreprise ou le manager toxique est alors loin d’être suffisant pour guérir de ce traumatisme. Dans un nouvel environnement de travail, ces blessures peuvent se traduire par un manque de confiance dans son entreprise, un manque d’investissement dans son travail ou encore des stratégies d’évitement vis-à-vis de certaines situations et/ou individus.
4 conseils pour se relever d’une expérience toxique
Conseil n°1 : prendre du temps pour soi
Avant de se plonger directement dans un nouveau job et de facto dans de nouvelles relations professionnelles ascendantes, il est important de prendre le temps de panser ses blessures et de réaliser un travail introspectif. Et ce, afin de détecter ce qui a été déplaisant, blessant ou encore rabaissant dans sa précédente expérience. « À l’instar d’une rupture amoureuse, il est difficile de se remettre en couple directement juste après avoir souffert d’une relation toxique, au risque de porter ce bagage-là dans notre future entreprise. Plutôt que de foncer dans une nouvelle relation, il faut prendre du temps pour se reconstruire, voyager, lire, faire des choses qui nous nourrissent. Ce temps est l’occasion de comprendre sa douleur et de rééquilibrer des émotions qui ont été complètement chamboulées », avance la spécialiste RH Roseline Laloupe. Ce travail personnel peut évidemment se réaliser avec l’aide d’un professionnel de santé, en thérapie. Un appui qui s’avère précieux pour objectiver les situations, les interpréter et repartir sur des bases saines. « Parler avec un tiers peut aider à rebondir sur des situations difficiles, notamment pour éviter que ces situations deviennent l’unique boussole de nos choix professionnels », analyse également Christophe Nguyen.
Conseil n°2 : se renseigner sur son futur environnement de travail dès le recrutement
Dès le processus de recrutement, il est parfaitement acceptable de questionner son ou ses interlocuteur(s) sur le management mis en place au sein de l’équipe, sur la culture d’entreprise ou encore sur la place accordée à la santé au travail. « L’entreprise a-t-elle fait son analyse des risques socio-professionnels ? Existe-t-il une hotline pour les employés ? Dans quels cadres les salariés peuvent-ils confier leurs problèmes ? », énumère Roseline Laloupe. Pour l’experte, il est plus judicieux de poser des questions permettant de se projeter au maximum, plutôt que de décrire ses mauvaises expériences. Malheureusement, aujourd’hui encore, être transparent sur ses faiblesses et ses zones de vulnérabilité est rarement la meilleure stratégie pour se positionner sur le marché du travail. Mieux vaut donc chercher à délimiter les contours de son futur environnement de travail, afin de s’assurer qu’il sera en adéquation avec ses attentes.
Conseil n°3 : être attentif aux signaux forts et faibles une fois en place
Une poignée d’années en arrière, Isabelle, architecte, travaillait au côté d’un manager réputé pour son manque d’empathie et son irrespect du Code du travail, sous couvert de sympathie. Accompagnée de ses proches et d’une psychologue, la jeune femme est parvenue à s’extirper de l’agence et porte désormais une grande attention à son environnement de travail. « Pendant une période d’essai, je suis particulièrement attentive à tous les sujets qui ont été problématiques pour moi afin que ça ne se reproduise plus. Cette expérience m’a prouvé l’importance de la communication, de l’attention et de l’écoute portées au salarié. Autant de choses qui sont le boulot des patrons. Dans les prochains tafs que je serais amenée à faire dans ma vie, je détecterai directement les red flags caractéristiques du boss toxique », pointe-t-elle. Ce travail de sondage passe aussi par une approche des salariés présents dans l’entreprise : pour décrire l’ambiance interne à un service et le type de relations qu’entretient un manager avec ses équipes, rien de mieux que les personnes concernées au quotidien. « Il peut y avoir du micro-management au sein d’une entreprise : un manager peut avoir un management participatif pendant qu’un autre sera plutôt autoritaire, et ceci est difficile à déceler à travers le discours de la structure, d’où l’importance de sonder les salariés », avise la spécialiste RH.
Conseil n°4 : évoluer avec son bagage émotionnel
Nécessaire avant de se lancer auprès d’une nouvelle entreprise, le parcours d’introspection peut aussi être l’occasion de nourrir d’autres projets ou idées ayant pris une place plus importante après cette expérience. Cela fait partie de la résilience. « Il est normal d’être marqué par des expériences négatives et positives dans la vie : ce qui est important, c’est ce qu’on en fait », pose Christophe Nguyen. En ce qui concerne Isabelle, ses années difficiles avec son boss ont participé à forger sa conscience politique et son désir de défendre les droits salariaux. « J’ai fait ce parcours d’affirmation de moi-même à cause d’un événement malheureux. Mais ça m’a permis de prendre la parole à la place des autres et de mettre en place des choses pour éviter que ces expériences ne deviennent la norme. C’est un délire de devoir travailler sur soi à cause de son boss ! Mais finalement, sans le savoir il a fait éclore en moi une force de revendication salariale qui existait peut-être déjà, mais qui est devenue hyper importante. »
Certains prénoms ont été modifiés.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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