Feedback intelligence : quand le terrain éclaire vos décisions stratégiques

07 juin 2023

4min

Feedback intelligence : quand le terrain éclaire vos décisions stratégiques
auteur.e
Paulina Jonquères d'Oriola

Journalist & Content Manager

contributeur.e.s

Alors que les entreprises ont de plus en plus tendance à collecter de la data tout azimut, une autre approche se centre sur le terrain : la feedback intelligence. Quels sont les avantages et limites du concept ? Et comment le mettre en place efficacement ? Décryptage avec nos experts Betsy Parayil-Pezard et Luc Bretones.

Qu’est-ce que la feedback intelligence ?

Inspirée de la business intelligence, la feedback intelligence est un terme peu connu en France. Pourtant, la pratique n’est pas nouvelle selon Betsy Parayil-Pezard, CEO de Connection Leadership et experte en transformation des entreprises. « Elle consiste à écouter en continu le terrain pour ensuite utiliser ces données et prendre des décisions quant à la transformation ou le pilotage de l’entreprise », explique-t-elle. Une pratique plutôt observée du côté des clients jusqu’à présent, afin de disposer des données en temps réel pour fluidifier le processus décisionnel.

Mais aujourd’hui, en vertu du principe de symétrie des attentions, on commence à l’utiliser aussi auprès des collaborateurs. La feedback intelligence permet ainsi de sonder ses propres équipes, tant pour des questions stratégiques sur l’évolution de l’entreprise, que sur des sujets RH. De manière très concrète, elle peut passer par des appels clients, des sondages, des questionnaires ou encore des systèmes de notation.

Revenir à l’essentiel

À l’heure actuelle, il est facile de collecter des données chiffrées. C’est le type de feedback rationnel que l’on retrouve le plus souvent en entreprise, jusqu’à frôler l’overdose. « Je vois beaucoup d’entreprises qui constatent chaque année les mêmes tendances sur leurs tableurs, mais cette abondance de données peut être nocive et empêcher la véritable analyse, puis prise de décisions », regrette Luc Bretones, fondateur de NextGen et expert des nouvelles gouvernances. Partisan d’une certaine forme de minimalisme, il perçoit justement la feedback intelligence comme un rempart à cette culture de la data chiffrée.

Une approche qui résonne chez Laura Martinet, associée au développement de LEAP - The Business Model Game, un jeu dédié au développement de business modèles : « Nous ne voulons pas dédier notre temps à construire et analyser le tableur Excel parfait, ni créer un besoin de toutes pièces. C’est pourquoi nous nous centrons sur l’approche de la feedback intelligence pour développer notre produit en consacrant notre énergie à la construction d’une relation de confiance avec les clients. » Cela signifie des heures passées en rendez-vous pour avoir un retour d’expérience, partant du principe que le client a toujours raison. Une démarche d’essai/erreur qui convient parfaitement à cette TPE.

Supprimer les filtres

« Les dirigeants ne comprennent rien à notre quotidien ! » Voilà le genre de griefs que l’on entend souvent dans les organisations. La feedback intelligence serait-elle la solution pour permettre aux dirigeants de se reconnecter avec le terrain ? « Il est vrai que les dirigeants passent peu de temps dans les usines, boutiques, centres logistiques. L’intérêt de la méthode est effectivement de se rapprocher des collaborateurs pour détecter les dissonances, piloter l’activité et améliorer le processus décisionnel de l’entreprise », analyse Betsy Parayil-Pezard.

Et il en va de même avec les clients. Luc Bretones se souvient ainsi avoir organisé des sessions d’appels téléphoniques avec des clients lorsqu’il était en poste chez Orange. Il réunissait les membres du comité de direction et chacun essayait de contacter une quinzaine de clients. Au final, près de 150 retours clients étaient collectés en une soirée. « Cela nous permettait à la fin d’avoir une vision claire de ce qui pouvait clocher, sans avoir de filtre préalable », rapporte-t-il.

Renouer avec son intuition

L’autre bénéfice de la feedback intelligence est de permettre de renouer avec son intuition et l’écoute des signaux faibles. « La réalité n’existe pas, elle n’est constituée que de perception. Or, je suis convaincu que lorsque l’on fait appel à l’intuition dans la mise en place de l’intelligence collective, on se trompe rarement », soutient Luc Bretones. Cela signifie par exemple se connecter aux petites alertes pour éviter les grosses erreurs. C’est aussi donner de la valeur au témoignage. Car c’est souvent dans celui-ci que l’on trouve davantage de profondeur pour analyser des données chiffrées qui à elles-seules ne fournissent pas tous les indicateurs nécessaires à la prise de décision.

Une manière de penser qui fait une nouvelle fois écho à la pratique de Laura Martinet : « Nous sommes très connectés à notre intuition. Nous n’avons pas besoin d’être sécurisés par des chiffres, c’est avant tout le feedback qui nous nourrit ».

Un outil efficace sous conditions

Une bonne dose de confiance

Vous l’aurez compris, l’intérêt de la feedback intelligence est de récolter de la donnée authentique. Cela peut, par exemple, passer par un réseau d’informateurs au sein de l’entreprise, par des clients premium, ou tout simplement l’organisation régulière de cafés avec le CEO pour lui faire rencontrer des collaborateurs de tout niveau hiérarchique. Mais peu importe la méthode, là n’est pas l’essentiel : « Pour que cela fonctionne, il faut qu’il y ait une véritable sécurité psychologique chez les personnes qui émettent ces feedbacks. Donc soit les feedbacks sont anonymes, soit on met en place les conditions réelles de cette sécurité psychologique », souligne Luc Bretones. Car le but n’est pas de faire dire aux collaborateurs que tout va bien dans le meilleur des mondes !

Pour que la feedback intelligence marche réellement, « la culture du feedback doit transpirer dans toute la boîte », pointe Raphaël Maisonnier, CEO de Fasterclass. Et cela commence déjà par une incarnation de cette culture par le fondateur lui-même, afin de donner la liberté à chacun·e de la pratiquer au sein de l’entreprise. Il n’est donc pas tellement question d’outil, mais plutôt d’état d’esprit et surtout de formation des collaborateurs au feedback. « L’objectif est réellement de ne pas casser la spontanéité de la démarche », renchérit Raphaël.

Savoir poser les bonnes questions

L’autre condition sine qua none pour mettre en place la feedback intelligence au sein de son entreprise, c’est aussi d’apprendre à poser les bonnes questions. « Je pense qu’il est intéressant d’aller sur le terrain émotionnel pour vraiment comprendre ce qui se passe au sein d’une équipe. Les dirigeant·es ont l’impression de connaître leur entreprise alors que souvent il leur manque une partie de l’image », affirme Betsy Parayil-Pezard.

Souvent, il suffit de poser une ou deux questions ouvertes, puis de pratiquer l’écoute active pour récolter toutes les informations nécessaires. « On obtient les meilleures informations quand on entre vraiment dans la conversation », ajoute Luc Bretones. Car ce que les gens attendent, c’est de l’écoute et de la reconnaissance… surtout pas qu’on leur serve une nouvelle fois le plan stratégique de l’entreprise !

Agir en conséquence

Dernier point et non des moindres : écouter, c’est bien. Mais loin d’être suffisant. « Pour l’engagement des collaborateurs, il n’y a rien de pire que de solliciter les gens pour leur demander leur avis, puis de ne rien en faire », alerte Betsy Parayil-Pezard. L’objectif de la feedback intelligence est de prendre les bonnes décisions, puis d’agir. Et d’ajouter : « La data ne prend pas de décisions… c’est aux dirigeants de décider et d’allouer des ressources à la hauteur des attentes. »

Cela suppose donc d’avoir une gouvernance suffisamment agile pour pouvoir être réactif. La bonne marche à suivre ? Assurer un suivi suite à la collecte de l’information, et surtout, traiter la racine du problème. « Cela peut prendre du temps, c’est certainement la limite de la feedback intelligence par rapport à la data classique. Mais cela nous offre plus de liberté, et nous place davantage dans une posture d’humilité basée sur l’écoute », conclut Laura Martinet.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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