Grossophobie au travail : « Je suis vu comme le “petit gros rigolo” du service »
18 avr. 2023
5min
DEAR MARIE - Orientation sexuelle, religion, handicap… Les discriminations en tout genre sont malheureusement monnaie courante au sein des entreprises. Parce qu’il est temps de leur indiquer la porte de sortie, notre coach de survie et experte du Lab Marie Dasylva répond à vos problématiques du quotidien, en vous dévoilant les clés indispensables à votre défense, pour la préservation de votre santé mentale et votre bien-être en entreprise. Autant de conseils à destination des témoins ou victimes de discrimination pour vous permettre de prendre toute la place que méritent vos compétences !
Antoine¹ ou la culpabilité face à la grossophobie
Bonjour Marie,
Je rencontre depuis quelque temps un problème dans ma carrière pour lequel j’aurais besoin de ton aide. J’ai 29 ans aujourd’hui et cela fait maintenant cinq ans que je travaille pour une entreprise dans l’industrie textile, en tant que chef de produit. Il s’agit de mon premier emploi, et lorsque je suis arrivé dans cette structure, je ne savais pas forcément comment m’intégrer parmi l’équipe existante. Pour cela, j’ai finalement opté pour l’autodérision en jouant sur l’une de mes caractéristiques physiques : c’est ainsi que je suis devenu, petit à petit, « le petit gros rigolo » du service.
Au début, ce « statut » ne m’embêtait pas. Après tout, j’en étais à l’initiative en faisant des blagues sur moi-même qui faisaient rire mes collègues. Sauf qu’au fur et à mesure du temps, ces derniers se sont aussi autorisés à en faire à leur tour du type « En fait, tu avais un jumeau et tu l’as mangé, c’est ça ? » ou « Il y a juste assez pour te faire un pull » en regardant les rideaux d’une salle de réunion. Et là, par contre, j’avoue que ça me blesse, beaucoup. Sauf que je ne sais plus comment réagir. Comment faire marche arrière dans cette situation que j’ai créé en partie par mon comportement ? Je me vois difficilement les blâmer, et davantage j’ai peur de leur avouer que venant d’eux, ça me rend triste.
Au-delà de ce problème, j’ai le sentiment que cette étiquette que je me suis collé me freine dans ma carrière. On ne me prend pas vraiment au sérieux et j’ai du mal à faire valoir mes envies d’évolution au sein de l’entreprise. Les postes de top management que je vise semblent réservés aux personnes jugées sérieuses par ma hiérarchie, et non au « petit gros rigolo » que je suis. Quand j’en parle autour de moi, mon manager et mes collègues me répondent le plus souvent que je vais m’ennuyer et que ça risque de ne pas me plaire. J’ai beau rétorquer que non, que j’ai aussi le sens des responsabilités et que je sais être sérieux quand les circonstances l’exigent, on ne me croit pas. As-tu des astuces à me donner pour parvenir à renverser la situation et ainsi me permettre de briguer le poste de mes rêves, s’il te plaît ?
Allô Marie bobo
Cher Antoine,
Dès ton arrivée dans l’entreprise, tu es passé en mode survie et je tiens d’emblée à te dire une chose : ce n’est en rien de ta faute, ce n’est pas une erreur de ta part, ne te culpabilise pas. Voici quelques clés essentielles pour t’aider à remettre tes collègues sur le chemin du respect et ta hiérarchie sur celui de tes ambitions.
L’épineuse question de l’humour en entreprise
On ne peut pas faire sans l’humour en entreprise. Ce n’est d’autant pas souhaitable qu’il s’agit d’un mécanisme naturel lorsqu’on se retrouve en communauté. Simplement, l’humour s’accompagne de limites. Tout comme la liberté d’expression s’arrête là où commence celle des autres, avec l’humour, apparaît le risque que la ou les personne(s) en face desquelles vous vous exprimez ne trouvent pas vos vannes drôles. Mais surtout, n’en déplaise à certain·es, on peut être drôle sans être sexiste, raciste, grossophobe… et j’en passe.
Mais avant de poursuivre, il faut rapidement revenir aux fondements de la grossophobie, et de ce qu’ils impliquent dans notre rapport à autrui. Quand on est la seule personne grosse dans une pièce, les personnes minces attendent de nous que l’on performe, en les faisant rire par exemple, quasiment en guise d’excuse : « Je suis gros.se je le sais, mais ne t’inquiète pas, je me soigne. » En usant de l’humour, tu as donc logiquement cherché à te protéger. L’autodérision est une astuce de survie, lorsque l’on est sujet à discrimination. L’humour dépréciatif, dans un espace où on se trouve en minorité, est un moyen parmi d’autres de prendre en charge sa propre oppression.
Cela ne t’enlève pas, pour autant, le droit de poser tes limites auprès de tes collègues, en leur expliquant que venant d’eux, qui ne sont pas concernés par la grossophobie, cela te blesse. Je ne suis pas de l’école « On peut rire de tout », mais plutôt de celle « Rit-on de moi ou avec moi ? » Ici, tes collègues ont pris ton mécanisme de défense comme une porte ouverte pour rire de toi, et non plus avec toi. La question à se poser donc, lorsque l’on souhaite faire usage de l’humour sur son lieu de travail (et à vrai dire, partout ailleurs également), c’est vraiment : riez-vous avec les personnes concernées par votre blague, ou riez-vous de celles-ci ? Avez-vous conscience des limites de la personne en face de vous, et quand elle les exprime, est-ce bien accueilli ?
Poser ses limites en milieu professionnel
Je pense qu’il est intéressant de se poser quelques questions. Tu aimes ton travail, mais est-ce que ton travail t’aime ? Si la réponse est non, tu prends le risque d’hypothéquer tes ressources personnelles et ta confiance en toi. D’où l’importance également de poser tes limites auprès de tes collègues si tu le peux.
Tu es actuellement dans une stabilité déstabilisante à ce poste, dans cette entreprise : tu es en CDI, tu reçois un salaire tous les mois, mais ta santé mentale et ta capacité à te projeter dans le futur sont déstabilisées. Une personne minorisée doit accepter que le changement fait partie de son plan de carrière, on change bien plus d’environnement que la normale. Le plan B doit faire partie de nos stratégies ! Il faut préserver notre capacité à chercher notre bonheur et notre bien-être.
Les étapes pour bien rester sont les mêmes que celles pour bien partir en entreprise : l’une d’entre elles consiste à verbaliser tes besoins et tes limites, et d’accepter les réponses reçues. Si tu poses tes limites auprès de tes collègues, et que ceux-ci les comprennent et les respectent, tu es en train de bien rester. Si au contraire, ils continuent à les outrepasser, que tu en fais le constat et que tu mets en place ton plan B, alors tu es en train de bien partir. Je te dirais d’être ferme, et de ne pas laisser durer cette conversation. Dis leur que tu souhaites être le seul à pouvoir parler de ton propre corps, et que ça n’est pas une porte ouverte pour qu’ils fassent de même. Explique leur qu’en respectant tes limites, ils assurent la bonne entente au sein de votre équipe.
Remettre la carrière au centre des négociations
Sur la question de ta carrière, je te conseille également de remettre tes ambitions au centre de la conversation et de la négociation. Quand on te dit « Tu es trop drôle, tu risques de t’ennuyer à ce poste, il est trop sérieux », explique-leur que tu es multitâche : tu peux faire des blagues à 8h30 et délivrer à midi.
Sois ferme et clair, et renonce à ton envie de validation. L’amour des dominants coûte très cher, parce que cela implique que tu t’amputes d’une partie de toi-même pour être accepté. Si tu es gros·se, il faut expliquer aux personnes minces que tu es au régime. Si tu es une femme, il faudrait expliquer aux hommes que tu n’es pas « ce genre de féministe ». Si tu es noir·e, tu dois expliquer que tu es politiquement modéré·e. Et in fine, tu ne recevras même pas d’amour, mais une validation à contre-courant de toi-même et de tout ce que tu te souhaites.
Reste donc fidèle à qui tu es, et à ce que tu te souhaites pour l’avenir. Demande un rendez-vous formel auprès de ta hiérarchie, avance-leur les chiffres de ta réussite pour qu’ils ne puissent pas t’opposer un quelconque humour, et ainsi entraver ton ascension.
J’espère que ces conseils te seront utiles, et te permettront d’obtenir tout le respect comme le poste que tu mérites amplement.
¹ :Le prénom a été modifié
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps
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