Discrimination : qu’est-ce que l’inclusion et comment faire mieux ?
24 juin 2020
7min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
Caroline Chavier est spécialiste du recrutement dans la Tech (elle a été recruteuse dans plusieurs entreprises et startups). Depuis plusieurs années, elle œuvre à faire progresser la diversité et l’inclusion dans cet univers. C’est pourquoi elle a lancé Paris Women in Machine Learning and Data Science avec Natalie Cernecka, Chloé-Agathe Azencott et Marie Sacksick. Elle prend la parole régulièrement sur ces sujets (comme lors d’un TEDx talk, en 2020), et dirige aujourd’hui une entreprise pour aider les recruteurs et managers à faire mieux en matière de diversité.
Comment vous êtes-vous intéressée au sujet de la diversité et de l’inclusion en ressources humaines ?
Caroline Chavier : En tant qu’étudiante, j’ai d’abord été sensibilisée aux différences entre les cultures. Étudiante à Sciences-Po, j’ai été sur le campus du Havre où l’on s’intéresse tout particulièrement à l’Asie. En troisième année, je suis partie au Japon. Puis, j’ai fait le master RH de Sciences-Po (Master organisation et management des ressources humaines). J’ai commencé ma carrière en RH au développement des talents chez Chanel, mais après, je me suis spécialisée en recrutement tech. J’ai découvert que j’adorais recruter des ingénieur.e.s, qui sont des personnes a priori enthousiastes face au changement. Mes trois années chez Criteo, où je recrutais des développeurs / développeuses spécialistes du machine learning, puis mon expérience chez Agorize, une plateforme d’open innovation, ont été décisives.
J’ai fondé la communauté Paris Women in Machine Learning and Data Science en 2017 après avoir constaté à quel point les femmes manquaient de role models dans le monde de la tech (et plus spécifiquement en machine learning). Nos meetups sont en anglais parce que nous voulons aussi accueillir des personnes non francophones, élargir la communauté le plus possible. Par ailleurs, j’ai fondé mon entreprise, The Allyance, sur cette idée aussi : aider les entreprises à recruter dans la diversité.
Pourquoi ai-je fait de la diversité mon grand cheval de bataille ? Pour plusieurs raisons, parmi lesquelles :
- Mon parcours scolaire en ZEP, où j’ai fait toute ma scolarité, qui m’a sensibilisée à la diversité sociale.
- Mon expérience de recruteuse dans l’IT : dans le machine learning, j’étais au téléphone avec 9 hommes sur 10 candidat.e.s. Pourtant, il y avait des femmes dans les conférences. Plutôt que de rester les bras croisés, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Je me suis fixé comme objectif de donner plus de visibilité aux femmes, les inviter à constituer des réseaux, et les aider à rester dans la tech (pas seulement à être recrutées).
- Mon orientation sexuelle m’a sensibiliséé à l’inclusion des personnes LGBTQ en entreprise. On pourrait penser que cela n’a pas d’influence, mais cela n’est hélas pas vrai. Dans tout ce qui est informel et ce qui concerne la mobilité, il y a beaucoup de progrès à faire en matière d’inclusion !
On parle parfois de diversité et d’inclusion comme si ces termes étaient interchangeables. Pourtant ce sont deux concepts différents. Pouvez-vous nous en donner une définition et nous dire quelle est la différence entre ces deux termes ?
Le terme le plus facile à définir, c’est celui d’inclusion. On peut le définir par la négative : c’est le fait que personne ne se sente exclu.e du groupe. C’est le fait que chacun.e se sente vraiment soi au travail, à l’aise dans son environnement et pleinement performant.e (libre de déployer toutes ses capacités au travail).
La diversité, c’est plus difficile, car il existe de nombreux critères de diversité. Quand on s’intéresse à tout ce qui « présente des caractères de nature ou de qualité différente », il faut regarder les différences intellectuelles, physiques, d’âge, d’origine, de sexe… Il y a les diversités visibles et invisibles : certains handicaps ne se voient pas, par exemple.
Nous sommes tous biaisés : nous avons donc tendance à nous entourer de gens qui nous ressemblent. C’est un défi considérable d’avoir plus de personnes différentes les unes des autres dans une entreprise.
Pour résumer la différence entre la diversité et le l’inclusion je dirais que la diversité est un sujet de recrutement, tandis que l’inclusion est un sujet de management, de RH et de culture. La diversité, c’est avoir des gens différents de soi. L’inclusion, c’est pouvoir travailler avec des gens différents de soi. On peut avoir la diversité sans l’inclusion, hélas. Les deux choses sont stratégiques pour les entreprises.
« La diversité est un sujet de recrutement, tandis que l’inclusion est un sujet de management, de RH et de culture. »
Caroline Chavier
Que font les entreprises qui recrutent avec succès des personnes diverses ?
Il y a d’abord un sujet de communication, notamment de communication écrite. C’est par là qu’on peut commencer quand on veut faire mieux. L’écriture inclusive (ou le choix de l’anglais qui est une langue plus inclusive) permet d’envoyer des bons signaux. Il y a aussi le choix des mots. Certains mots ne « parlent » pas à certaines catégories de population.
La communication se fait aussi par le choix des images que l’on utilise pour illustrer sa communication écrite. Je recommande d’utiliser des images qui montrent une certaine diversité d’équipe. Pour commencer, on peut utiliser des banques d’images, comme celle que l’on trouve sur le site Better Allies, par exemple. Pour recruter des personnes diverses, il faut donner à voir de la diversité ! Il s’agit donc aussi de faire en sorte que les interviewers / intervieweuses pendant le recrutement sont diverses. Ce sont ces personnes qui donnent à voir l’entreprise aux candidat.e.s.
L’étape des entretiens est essentielle. C’est pourquoi il est important de former les recruteurs / recruteuses aux biais inconscients. Mais bien sûr, la seule prise de conscience ne suffit pas. (ndlr : Connaissez-vous le biais de compensation morale ?). Les entreprises qui ont réussi à progresser ont toutes pris des engagements clairs.
Les entreprises peuvent se faire accompagner dans la recherche de solutions concrètes. C’est un chantier difficile qui chamboule les habitus culturels et moraux. Rien ne dit qu’on doit s’y attaquer seul.e. En tout cas, il faut le faire, car les entreprises les plus diverses sont beaucoup plus solides et puissantes économiquement. Non seulement la crise ne devrait pas ralentir les efforts des entreprises en matière de diversité, elle les rend encore plus nécessaires. On s’en sortira mieux si on a plus de diversité.
Si on devait faire une liste d’étapes à suivre pour faire progresser son entreprise, quelles seraient ces étapes ?
- Définir le problème : où en est l’entreprise ? Quel est le problème qu’on veut résoudre ? Ensuite, on peut se tourner vers des spécialistes (consultant.e.s, associations…) qui savent faire.
- S’attaquer à la communication au sein de l’entreprise : cela concerne également le code de conduite lors des réunions (écouter tout le monde, amplifier la voix des femmes…).
- Former les interviewers / intervieweuses et managers aux biais cognitifs et aux méthodes pour les neutraliser.
- Réformer l’évaluation de la performance : les hommes ont des progressions plus linéaires que les femmes. Souvent, les femmes atteignent le sommet de leur carrière au moment où elles risquent de s’extraire pour cause de maternité. Or les politiques RH devraient pouvoir anticiper cela, et éviter que cela ne pénalise les femmes.
- Prendre en compte la [question de la parentalité](https://www.welcometothejungle.com/fr/tags/decision-makers-inclusion-diversity), c’est essentiel. L’allongement du congé second parent pourrait faire une grande différence. Il y a d’autres idées intéressantes à trouver dans le Gender Agreement du Galion Project.
- Mettre fin au harcèlement, c’est indispensable si on veut plus de diversité et d’inclusion. Or on n’est pas très bon en RH sur le sujet. On n’a pas forcément l’information, et quand on l’a, on ne sait pas la traiter. Souvent, ce sont les agresseurs qui restent et les victimes qui partent de l’entreprise, alors que ça devrait être l’inverse ! Il y a encore un vrai tabou sur la question. Il faudra en sortir.
Avant tout, pour une bonne politique de diversité, il faut qu’il y ait une volonté au sommet de la hiérarchie. Si cette volonté n’y est pas, cela ne marchera pas. Je peux donner un exemple : le CEO de Salesforce, Marc Benioff, est très engagé sur les sujets diversité. Il ne participe jamais à une réunion où il n’y a pas de diversité parmi les participant.e.s. Les gens se sont rapidement adapté.e.s.
Mais ce type de réflexion ne peut pas se passer des employé.e.s eux/elles-mêmes et leurs ressources. C’est avec leur aide qu’on y arrive. C’est eux/elles qui font la culture de l’entreprise.
On entend souvent des expert.es de ces sujets dire que finalement, il n’y a que la contrainte qui marche. Que pensez-vous des quotas ?
Au début de ma carrière, je ne comprenais pas l’utilité des quotas et je n’y étais pas favorable. C’est une mathématicienne du nom de Nicole El karoui qui m’a ouvert les yeux sur les quotas lorsqu’elle m’a expliqué que dans sa discipline, cela fait 50 ans qu’on essaye de faire confiance au « bon sens » mais qu’on ne progresse pas. Quand j’entends des femmes qui ont une expérience de plusieurs décennies, je trouve cela convaincant.
La loi Copé-Zimmermann (loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance) nous a rendu.e.s meilleur.e.s en France : il y a nettement plus de mixité dans les conseils d’administration. Ça marche, les quotas !
Mais j’aime bien parler avant tout d’objectifs d’entreprise car je trouve cela plus positif qu’une contrainte extérieure à laquelle on n’adhère pas. Se fixer des objectifs, faire un défi des sujets de diversité, c’est une opportunité dont toutes les entreprises peuvent s’emparer s’en attendre qu’on les y oblige.
En France, quand on parle de diversité, on en a une définition plus étroite qu’aux Etats-Unis. La culture française valorise l’universalité et empêche la collecte de certaines données. Que peut-on faire dans ce contexte ?
« On ne peut pas progresser sur ce qu’on ne mesure pas »
C’est vrai qu’on n’a pas assez de données en France sur les diversités. On ne peut pas parler de couleur de peau, par exemple. Or on ne peut pas progresser sur ce que l’on ne mesure pas.
Mais il y a des choses que l’on peut mesurer. L’âge et le genre, en particulier. Le monde de la Tech est discriminatoire du point de vue de l’âge. Or rien n’empêche de collecter des données sur ces deux éléments. Il faut bien commencer quelque part, de préférence là où l’on peut mesurer les choses.
Pour toutes les diversités qui ne se voient pas, et celles où la collecte des données est empêchée, on peut se tourner vers les sondages anonymes et volontaires. Ça permet de prendre le pouls et d’avoir plus de visibilité. Il faudra rester très vigilant sur l’anonymisation des données, bien entendu. On peut aussi participer à des événements et embaucher une ou plusieurs personnes dédiées à ces sujets.
Cela peut être une bonne idée de travailler avec un.e avocat.e car tout ce que l’on met en place pour la diversité peut être vu comme « discriminatoire ». C’est à double tranchant.
En France, on ne s’est pas encore vraiment attaqué au sujet de la discrimination. Aujourd’hui, ça revient dans l’actualité.
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