CDD masqué, harcèlement, exploitation : que faire en cas de stage abusif ?

07 oct. 2021

6min

CDD masqué, harcèlement, exploitation : que faire en cas de stage abusif ?
auteur.e
Elise Assibat

Journaliste - Welcome to the Jungle

CDD déguisé, exploitation, surmenage, harcèlement… Ce ne sont pas les histoires qui manquent lorsqu’il est question de mauvaises expériences en stage. Alors comment reconnaître une situation anormale ? Et que faire pour en sortir ? Décryptage.

Après “balance ta start up”, “balance ton employeur”, “balance ton cabinet” et bien d’autres encore, c’est “balance ton stage” qui a fait son apparition sur la toile en septembre 2020. Un compte Instagram aux dizaines de milliers d’abonnés, dédié à la libération de la parole des étudiants et dont le but continue d’être de dénoncer et sensibiliser contre les abus en entreprise. Et pour cause, nombreux sont ceux à y avoir été confrontés au cours de leur cursus. Nous avons tendu le micro à certains de ces étudiants afin qu’ils puissent témoigner de leur expérience et invité Amandine Rodrigues, responsable des stages au pôle orientation et de la professionnalisation à l’Université de Paris à nous livrer ses conseils pour faire face à ces abus.

Exploitation bénévole, harcèlement moral, surmenage… Quand le stage tourne mal

Aurélien(1), étudiant en école de commerce, a effectué son dernier stage au sein d’une start-up en pleine croissance. « Ça n’a duré deux mois alors, bien évidemment, je n’ai pas été payé, précise ce dernier. C’était vraiment un stage “bénévole”, histoire de valider mon année. » En effet, la loi en France spécifie l’obligation de gratifier ses stagiaires à partir de deux mois et un jour. Même chose pour Lucie, étudiante en histoire de l’art qui a exercé son tout premier stage dans une galerie d’art l’été dernier, pendant deux mois et pas un jour de plus. Or, cette configuration, malheureusement banale, s’accompagne dans leurs cas d’une charge de travail différente de ce qui était initialement annoncé. Aussi, après avoir passé plusieurs entretiens tout ce qu’il y a de plus sérieux, Aurélien déchante rapidement. « J’ai vite compris que j’étais là pour faire absolument tout ce qui pouvait arranger la boîte - manutention, stand de dégustation dans la rue, présence aux salons - et pas du tout pour le lancement de la stratégie marketing qu’on m’avait vendu au moment de signer ma convention. » Si l’étudiant s’accommode comme il peut sans rechigner, il perd néanmoins toute motivation à s’investir réellement pour l’entreprise. « Cette expérience décevante en tout point m’a fait comprendre que tout travail mérite un salaire, tout simplement, conclut Aurélien. Et à partir de ce moment-là, j’ai su que je ne me ferai plus jamais marcher sur les pieds. »

Lucie, quant à elle, a fait face à une expérience douloureuse de harcèlement moral avec un tuteur abusif. « Au lieu de l’assister auprès des artistes dont il était l’interluteur prévilégié, je m’occupais de ses achats personnels, du ménage, de la vaisselle, je le voyais utiliser mon téléphone portable pour harceler les clients qui ne lui répondaient plus… Les débordements étaient incessants, il devenait rapidement incontrôlable et m’insultait souvent de tous les noms. » Après avoir longuement hésité à s’en aller pour de bon, elle décide finalement de poursuivre son stage jusqu’au bout mais en informe malgré tout son enseignant référent de l’époque. « Pour que d’autres stagiaires ne subissent pas le même sort et que ces abus cessent enfin », confie-t-elle.

Raphaël, lui, est étudiant à l’université. Il y a maintenant deux mois, il a mis fin à son alternance en finance un an plus tôt que les deux années réglementaires après avoir frôlé le burn out. « Au début de cette expérience je me suis dit que “ok, c’est dur, mais c’est normal.” Mais en en parlant avec des gens de l’extérieur, j’ai compris que c’était - en réalité - problématique. Avec du recul, je me rends compte que dès les premiers jours quelque chose n’allait pas. Par exemple, la question des horaires n’a jamais été abordée en entretien, et ma tutrice jouait sur ce flou pour me faire travailler bien au-delà du cadre légal. » Après une année de surmenage intensif et d’heures supp’ à n’en plus finir, Raphaël manque de s’écrouler et rompt son contrat grâce à l’aide de son université. C’est aujourd’hui le seul de sa classe à ne pas avoir d’alternance, et ses professeurs lui ont aménagé un rythme plus tranquille pour qu’il puisse se reposer tout en validant son master. Des expériences d’autant plus regrettables qu’elles impactent souvent fortement la future vie professionnelle de ces étudiants. Si Aurélien et Lucie ne comptent pas remettre les pieds de sitôt dans des structures proches de leur ancien stage, Raphaël envisage à terme de changer complètement de voie.

5 conseils pour y faire face

Entre l’envie de faire ses preuves et la peur de ne pas oser dire non, la position de stagiaire peut s’avérer délicate. Alors, comment répondre à une situation qui nous échappe ? Et comment l’éviter ? Amandine Rodrigues, responsable des stages au pôle orientation et de la professionnalisation à l’Université de Paris, nous livre ses conseils.

1. Repérer des signes annonciateurs

Pas la peine de passer l’étape du premier jour pour repérer des signes dont on peut d’ores et déjà se méfier. « Dès l’entretien par exemple, la première chose à faire est de s’assurer que les missions sont clairement définies par l’entreprise », explique Amandine Rodrigues. Autrement dit, en tant qu’étudiant, vous ne ne devez pas rester dans le flou sans savoir ce que que vous vous apprêterez à faire pendant la durée de votre (futur) stage, ainsi que la ou les personnes qui vont vous accompagner et les horaires qui vont rythmer vos semaines. « On recommande donc toujours aux étudiants de bien définir le cadre avec l’organisme d’accueil avant de s’engager, pour être sûr que la convention de stage stipule bien les activités dont le stagiaire sera chargé et le temps que ça lui prendra.» Notons également que lorsque vous êtes stagiaire, vous restez un étudiant·e·s en formation. On ne peut donc pas attendre de vous la même chose qu’un salarié. Alors si la situation n’est pas claire avant même qu’elle ait commencé, fuyez !

2. Définir les abus

Il est parfois difficile de reconnaître une situation abusive surtout lorsque c’est la première fois qu’on y est confronté. « Mais dans la logique du premier conseil, gardez en tête que faire des activités qui n’ont pas été prévues au départ, ce n’est pas normal. Et s’il y a un peu trop de stagiaires dans la structure d’accueil non plus, fait remarquer Amandine Rodrigues. Souvent cela signifie que vous remplacez un autre stagiaire qui remplace lui-même un stagiaire, pour effectuer des activités pérennes qui pourraient être données à un salarié. » Or la loi est très claire : si l’on ne bénéficie pas de conditions sereines (horaires adaptés, contexte bienveillant…) ou que les droits ne sont pas respectés (aucun retard de gratification ni de remboursement…), alors on peut parler d’abus.

3. Se poser les bonnes questions

Sachez qu’on ne valide pas un stage “à tout prix”. Le jeu n’en vaut pas toujours la chandelle. Et à ce sujet, chacun va avoir ses propres limites. « Par exemple, certains étudiants vont accepter de faire plus d’heures quand d’autres vont drastiquement s’y opposer. » Le conseil de la spécialiste ? « Se demander quel bénéfice on peut retenir de cette expérience. Le but d’un stage est d’offrir des compétences professionnelles qu’on sera fier de mettre sur son CV et dont on pourra parler auprès d’un futur employeur. » Alors si les missions ne sont pas intéressantes à vos yeux et que les conditions pour les exécuter ne sont pas bonnes, en quoi ce stage est-il à votre avantage ?

4. En parler

« Souvent, en tant qu’étudiants, on se dit que c’est le début, que ça va s’arranger. Mais si, dès le départ, les choses ne sont pas normales, ça ne s’arrangera pas », tranche Amandine Rodrigues. Il est alors important d’en parler avec une personne de confiance sans trainer. « Souvent on ne va pas avoir envie de se tourner vers les ressources humaines car la situation est délicate, poursuit-elle. Il s’agit quand même de mettre en cause un des salariés de la structure, voire la structure elle-même. » Aussi l’idéal est de prévenir immédiatement l’université, qu’il s’agisse de l’enseignant référent ou du responsable des stages. Car si le moindre doute plane, il faut demander à l’école son avis sur la question et surtout ne pas rester seul. « Parfois, la situation se débloque à l’aide d’une simple discussion, avec son tuteur, ou entre l’enseignant référent et le tuteur, qui permettra de mettre en lumière certaines incompréhensions. Et parfois cela ne peut pas suffire. Il faut alors que l’école puisse faire le nécessaire pour rompre la convention de stage et protéger son étudiant. »

5. Ne pas avoir peur de l’après

Nombreuses sont les raisons qui peuvent pousser un étudiant au stage contrarié à se taire. Par peur de ne pas valider son année, de ne pas retrouver de stage derrière, de se retrouver dans une situation compliquée avec l’université ou dans un secteur professionnel… « Mais rappelez-vous que vous êtes avant tout des étudiants, pas des salariés et qu’à ce titre, vous pouvez bénéficier de l’appui de votre école ou de votre université », conclut Amandine Rodrigues. Dans le cas où une convention de stage se voit rompue, l’équipe pédagogique de votre établissement va étudier la situation en fonction des missions réalisées, pour savoir si l’expérience en elle seule peut-être validée ou pas. Et si cette dernière n’est pas en état de l’être en raison de trop grosses complications, une alternative va alors être pensée, afin que vous ne loupiez surtout pas votre année.

Aussi, n’ayez pas peur de mettre un terme à une situation qui vous porte préjudice car votre école ou votre université est bel et bien de votre côté ! Quant aux alternants, bien que le statut diffère, le conseil reste le même : ne pas rester seul et en parler. Rares sont les formations qui restent indifférentes face aux malheurs de leurs élèves.

(1) Tous les prénoms ont été modifiés

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Photo par Welcome to the Jungle
Édité par Manuel Avenel

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