Monter une école interne, la solution à vos problèmes de recrutement ?
24 août 2020 - mis à jour le 27 déc. 2023
7min
En pleine guerre des talents, toutes les techniques sont bonnes pour attirer de nouvelles recrues. Certaines entreprises ont même monté des écoles en interne pour former aux compétences dont ils ont besoin. Zoom sur cette initiative originale.
Pour attirer les profils pénuriques, les entreprises ont recours à un panel d’actions RH : salons, opérations de marque employeur, investissement massif dans le recrutement… Depuis quelques années, certaines ont lancé leurs formations en interne dans l’espoir de susciter des vocations, mais aussi de « façonner » des salariés en phase avec les compétences recherchées. Tous les secteurs s’y mettent – conseil, restauration, coiffure, beauté ou encore énergie –, convaincus par le retour sur investissement de ces dispositifs. Pourquoi un tel engouement ? Quelles sont les premières leçons tirées de ces expériences ? Et comment créer son propre cursus diplômant ? Immersion dans ces formations homemade.
Écoles internes : pourquoi c’est tendance ?
Un nouveau cadre légal
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 a libéralisé l’apprentissage en offrant la possibilité aux entreprises de créer leur centre de formation d’apprentis (CFA). Le but ? Revoir en profondeur l’organisation et le financement de l’apprentissage, désormais confiés aux branches professionnelles. Dans un article du Monde, Yann Bouvier, chargé de mission à la Fondation innovation pour les apprentissages (FIPA), explique que « les CFA sont une réelle opportunité pour les entreprises qui peuvent adapter les cursus à leurs nouveaux besoins en compétences ».
Un coup d’accélérateur dans la création des écoles internes
Selon le ministère du Travail, en 2020 et depuis l’adoption de la réforme, 554 projets de CFA avaient été lancés. La notion d’école interne, au-delà du cadre d’un CFA, s’est d’ailleurs largement développée depuis quelques années…
- Création du CFA des Chefs par Adecco, Accor, Korian et Sodexo. Objectif : embaucher 1 000 apprentis par an dans ce secteur qui attire peu les jeunes.
- Le géant pétrolier Total a lancé un campus dédié aux métiers industriels : « L’Industreet » en Seine-Saint-Denis.
- Schneider Electric a annoncé l’ouverture d’un CFA en gestion de l’énergie basé à Grenoble.
- L’Oréal a ouvert début 2020 sa première école de coiffure : « Real Campus ». Soutenu par la région Ile-de-France, l’établissement accueille des bacheliers et des adultes en reconversion. Il formera à terme 150 étudiants pour un diplôme de niveau bac +3 mêlant enseignement pratique et cours de management.
- Le groupe Nicollin, spécialisé dans la gestion des déchets, a ouvert à Montpellier la « N Académie » préparant une dizaine de jeunes par an au BTS des Métiers des services à l’environnement.
Un investissement RH qui répond à des préoccupations majeures. En 2020, 79 % des dirigeants craignaient qu’un manque de compétences menace la future croissance de leur entreprise. C’est d’ailleurs un enjeu prioritaire pour certains secteurs tels que l’industrie : environ 40 % des chefs d’entreprise ont des postes non pourvus selon l’UIMM.
Des formats variés en fonction des objectifs RH
Les écoles ou cursus internes peuvent prendre différentes formes en fonction de la taille de l’entreprise et des enjeux RH : recrutement, politique de gestion des compétences, filières métiers, stratégie de fidélisation, développement d’experts… Globalement, il existe trois approches.
L’académie ou université : les grands groupes industriels sont précurseurs dans la création d’universités internes. Leur objectif étant de redorer l’image du secteur et de préparer l’avenir en misant sur l’innovation. Au programme : fablabs, incubation avec des start-up, etc. Généralement, cette configuration est réservée aux salariés et peu ouverte à l’externe. Airbus a ainsi créé en 2016 une école d’entreprise destinée à « former les leaders de demain » afin de fidéliser les hauts potentiels. Engie University a mis en place en 2017 le programme de formation Co.Leaders : via des campus éphémères et itinérants sur les principaux marchés du groupe, plus de 23 000 managers ont déjà été formés.
Le cursus : d’autres entreprises proposent des formations plus ciblées et davantage axées sur les compétences, et non les métiers. Orange, par exemple, a lancé en 2014, une école proposant à ses collaborateurs de les sensibiliser et de les former aux problématiques digitales. Pour adresser la pénurie de ressources, certaines sociétés créent des formations diplômantes avec un partenaire académique. Epsa Groupe, cabinet spécialisé en achats, a par exemple co-créé avec le Collège de Paris un Master 2 Conseil-Achats en alternance ouvert à l’externe.
Le Campus : c’est une approche mixte à l’image de l’École Michelin en Auvergne-Rhône-Alpes où différents industriels apportent, dans le cadre d’un partenariat public et privé, une réponse commune et territoriale au défi de la pénurie de main-d’œuvre. Un projet pédagogique ambitieux budgété à 30 millions d’euros ! Surtout, cela représente un investissement employeur clé afin d’attirer des ressources vers les métiers de l’industrie, former des ingénieurs aux évolutions technologiques ou encore assurer de la formation initiale pertinente au niveau de la région.
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Créer son école interne : est-ce un bon investissement RH ?
Le ROI de la formation professionnelle est généralement élevé si l’on regarde les KPI RH regroupés par Empowill :
- réduction de l’absentéisme de 44 %,
- augmentation de la productivité de 16 %,
- augmentation de la rétention des talents : 94 % des salariés affirment qu’ils resteraient plus longtemps dans leur entreprise,
- développement de l’engagement : 93 % des salariés dont l’entreprise possède des processus de formation continue.
Mais qu’en est-il des écoles internes ? Quels sont les objectifs attendus ? Selon Marie Clarous, directrice de L’École by Capgemini qui témoigne dans un article de Capital, « cela révèle le potentiel de nos experts de demain, en plus d’être un formidable levier d’attractivité ». Le leader français du conseil et des services de la transformation numérique a, en effet, choisi de former ses futures recrues alors que les jeunes diplômés boudent le secteur. L’école, fraîchement créée, a déjà admis plus de 50 stagiaires et a pour objectif d’en accueillir plus de 400. La formation dure 4 mois et allie théorie et mise en pratique sur les thématiques à fort potentiel (l’industrie 4.0, le cloud, la digitalisation des fonctions finance…).
Anne-Laure Gogeon, DRH de la filière « Operation & procurement » au sein d’Epsa groupe, fait le même constat. Face à la pénurie de talents dans la filière des achats, la création de leur cursus spécialisé est une formidable opportunité de former aux compétences dont ils ont réellement besoin. De plus, c’est une profession assez mal connue : « Il y a très peu de formations initiales sur les achats. Via notre programme diplômant, nous voulons valoriser le métier et démontrer que c’est une activité variée et passionnante ! ». L’initiatrice de ce projet pédagogique souligne par ailleurs que ce type de dispositif positionne l’entreprise en tant qu’expert dans son domaine : un investissement durable en termes de marque employeur.
Lancée en 2017, l‘École des ventes de Renault Trucks (groupe Volvo) est un grand succès RH pour le groupe. Pour rassembler une force de vente opérationnelle rapidement, Renault a initié cette structure avec l’EM Lyon. Résultat ? La première promotion, composée de 14 étudiants issus de formations en management ou vente, du BTS au Master, a été diplômée avec un taux de succès de 75 %. Actuellement, ils travaillent tous au sein du réseau de concessionnaire Renault Trucks, notamment dans la concession qui les a formés.
Lancer son cursus ou son école interne : comment procéder en 4 étapes
Le lancement d’un cursus interne est un véritable investissement qu’il faut cadrer et mener comme un projet afin de garantir son succès. Quelles sont les grandes étapes à suivre ? Anne-Laure Gogeon partage l’expérience d’Epsa, suite à la création de leur Master avec l’école Ascencia au sein du Collègue de Paris.
1. S’appuyer sur les enjeux et objectifs RH
« Nous sommes partis du besoin, à savoir, recruter alors que le marché de l’emploi est pénurique sur notre secteur, et faire connaître le métier d’acheteur ». En effet, tout découle d’une problématique clé pour l’entreprise afin d’en faire un projet stratégique : est-ce pour recruter des profils, développer l’attractivité ou fidéliser ?
Chez Epsa, une autre motivation a été essentielle dans la décision de lancer cette formation : l’inclusion. « Il y a beaucoup de talents qui ne trouvent pas leur voie ou qui n’ont pas accès à des formations. Nous avons un rôle à jouer. C’est aussi pour cela que nous voulions créer une formation en alternance, plus accessible financièrement », souligne Anne-Laure Gogeon.
Ceci amène un autre point clé à aborder dès le cadrage : les indicateurs de réussite versus le coût. L’objectif d’Epsa est clair : « Recruter à terme 5 étudiants en CDI dont une personne en situation de handicap ». Côté investissements financiers, tout dépend de l’ambition (campus, cursus…), mais on peut évaluer la phase de préparation à plus ou moins 10 000 euros, et à un minimum de 10 000 euros par an pour le fonctionnement. Chez Epsa, aucun investissement matériel n’a été engagé, seulement du temps.
2. Choisir un partenaire en phase avec sa culture d’entreprise
Outre les nombreuses procédures réglementaires, la création d’une formation ou d’une école suppose un investissement humain conséquent, sans compter le suivi administratif. D’où le choix, comme Epsa, de faire appel à un partenaire académique. Anne-Laure Gogeon s’explique : « Nous nous sommes adossés à une école afin de disposer de leur expertise pédagogique. Nous voulions également un Master bac + 5 homologué RNCP. Pour cela, il faut bien connaître les arcanes administratives ! ». Le choix de co-construire une formation demeure donc une bonne option, à condition de bien choisir son partenariat. Elle ajoute : « Nous avons opté pour le Collège de Paris car nous partageons la même culture business ainsi que le sens du résultat. C’est fondamental ».
3. Bâtir son projet pédagogique
Autre étape clé : orchestrer le cursus. Anne-Laure Gogeon a ainsi mené de nombreux ateliers avec les managers et experts au sein d’Epsa afin de bâtir le synopsis du programme. L’objectif de cette démarche collaborative était aussi d’identifier quelles étaient les compétences clés dont Epsa avait réellement besoin. Une fois ces compétences définies, « nous nous sommes appuyés sur les experts Ascencia pour développer les syllabus, à savoir le contenu des différentes matières que l’on souhaitait aborder ».
Il faut ensuite articuler les différentes modalités pédagogiques. « Nous avons réparti l’enseignement entre nos experts internes au sein d’Epsa pour aborder les thèmes purement “achat”, et les intervenants Ascencia, sur le volet “management de projet” », explique la DRH d’Epsa. L’orientation pédagogique choisie est celle de l’alternance afin d’offrir une formation très pragmatique qui aborde les différents « processus achat ». À cette étape, la question des profils recherchés et des critères de sélection doit être abordée : « Au-delà de la nécessité d’avoir un niveau bachelor, nous choisissons nos étudiants essentiellement sur leurs soft skills : la communication, la curiosité pour les langues, l’appétence pour les chiffres, la rigueur et, bien sûr, la motivation ! », précise Anne-Laure Gogeon.
4. Communiquer pour attirer les bons profils
La phase de communication joue un rôle cardinal pour attirer les bons profils. Epsa a tourné des vidéos pour expliquer le métier d’acheteur et le choix du partenariat avec le Collège de Paris. Leur positionnement ? « On a voulu miser sur le fond, sur notre expertise, à savoir notre vision du métier d’acheteur afin de donner envie de le découvrir avec nous », explique Anne-Laure Gogeon. Ensuite, pour les canaux de communication, « ne pas hésiter à utiliser les leviers de l’école partenaire qui ont l’habitude de promouvoir leurs formations : nous avons, par exemple, co-organisé des webinars auprès de leur réseau d’étudiants ». D’autres outils peuvent être facilement activés, toujours en phase avec le partenaire choisi : réseaux sociaux, site carrière, salons, etc.
Photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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