Devenir son « propre psy » peut-il nous aider au travail ?
06 déc. 2021
4min
Dans un contexte troublé par la pandémie mondiale, Anne-Hélène Clair, psychologue de formation, docteure en neuroscience et Vincent Trybou psychologue, psychothérapeute publient le livre « Devenez votre propre psy ». Loin de vouloir se substituer au suivi d’un psychologue dans le cas de pathologie grave, cet ouvrage s’adresse d’abord à celles et ceux qui cherchent à mieux comprendre certains de leurs comportements, tout en fournissant une boîte à outils clés en main pour nous aider à prendre soin de notre santé mentale au travail. Entretien.
Selon vous, pourquoi le fait d’être son “propre psy” peut nous aider au travail ?
Vincent Trybou : Que ce soit entre collègues, entre les salariés et leur direction, entre les divers représentants du personnel, l’entreprise peut se révéler comme un milieu hautement conflictuel. Parfois, ces situations complexes peuvent mener au surmenage, au burn out, à la dépression, voire au suicide dans le pire des cas. Dans ce livre, nous voulions donner les clés pour prendre soin de sa santé mentale, ce qui est très utile dans le monde professionnel. Nous aidons par exemple à travailler sur l’affirmation de soi, nous abordons la thématique très contemporaine de la quête de sens… Car le monde professionnel a tendance à faire de nous des “homo-salarius”, c’est-à-dire des êtres centrés sur des objectifs à atteindre, le livre incite aussi à penser davantage à sa vie personnelle : avoir des relations amicales, amoureuses, cultiver ses passions….
Anne-Hélène Clair : Effectivement, nous avons dédié toute une partie aux valeurs. La société nous impose de travailler, de produire, d’être efficace, en bref, de cultiver des valeurs en lien avec notre carrière. Mais il ne faut pas occulter le reste, ce qui nous anime, ce qui nous procure de la joie, de la curiosité… Nous sommes nombreux à souffrir à cause de problèmes - plus ou moins importants - qui nous “pourrissent la vie” tel que le stress, c’est pourquoi il est important de revoir notre positionnement par rapport au travail pour préserver notre bien-être.
Pensez-vous que d’une manière générale la santé mentale se dégrade ?
Vincent Trybou : Je pense que le sociologue Alain Ehrenberg en a très bien parlé dans son livre « Fatigue d’être soi : Dépression et société », paru dans les années 2000. Déjà à l’époque, il essayait de comprendre les raisons qui peuvent expliquer l’explosion des cas de dépression. Il a identifié trois hypothèses : premièrement, les gens vont plus chez le psychologue, il est donc plus aisé de détecter la pathologie ; ensuite, les médecins ont plus de connaissances sur la maladie, le diagnostic est donc plus facile ; enfin, la société est peut-être tout simplement plus agressive qu’avant… La mondialisation a entraîné une concurrence mondiale. Si une personne perd son poste, elle sait qu’il sera probablement difficile de retrouver du travail parce que la concurrence est rude. Le chômage de masse expliquerait donc en partie la fragilité psychologique qui touche notre génération.
Anne-Hélène Clair : Il ne faut pas non plus oublier que nous sommes largement plus sollicités qu’avant. Les outils et appareils technologiques comme le téléphone portable, le mail, les applications de conversation instantanée ajoutent un stress permanent. Alors qu’il y a quelques années, lorsqu’une personne sortait du travail, elle avait peu de chance d’être contactée chez elle.
Parlons maintenant de certains conseils pratiques. Vous recommandez la “thérapie ACT” dans le livre, pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Vincent Trybou : La thérapie ACT, créée dans les années 70 par le psychologue américain Steven Hayes, est en quelque sorte, une version scientifique de la méditation bouddhiste. D’après ses préceptes, lorsqu’une pensée non désirée ou une émotion vient à l’esprit, il faut l’accepter, sans pour autant la traiter. Cela revient à être dans l’acceptation et non dans le combat. On parle de mécanismes de « défusion » et de « recentration », qui sont deux piliers de la théorie ACT.
Une autre partie de cette thérapie consiste à redéfinir ce qui est important pour nous. Par exemple, si on décrète que notre travail actuel est essentiel à notre équilibre, alors il faudra accepter qu’il génère en même temps un peu d’angoisse ou d’anxiété. L’idée, c’est d’accepter ses émotions et de sortir de la rumination tout en étant au clair sur les objectifs de vie.
Vous préconisez la pratique de la méditation. Quels sont ses bienfaits pour notre bien-être psychologique ?
Anne-Hélène Clair : C’est un outil important à mettre en lumière pour que chacun puisse l’utiliser chez soi si besoin. C’est un très bon moyen pour gérer et prévenir l’anxiété jusqu’à un certain niveau. Mais, pour que cette pratique ait un impact, il est nécessaire d’être régulier. Pour commencer à en ressentir les premiers effets, je vous conseille d’en faire une demi-heure par jour pendant huit semaines.
Vincent Trybou : Avec certaines applications, comme Petit Bambou par exemple, il est tout à fait possible de méditer dans le métro ou au bureau entre deux dossiers, en cinq minutes. La méditation est aussi largement conseillée dans de nombreuses entreprises aux États-Unis. Quel que soit le moyen, il est essentiel de déconnecter quelques minutes pour réduire le stress.
Aussi, vous évoquez l’importance de repérer certains « biais cognitifs » qui peuvent eux perturber notre bien-être. Pouvez-vous en citer quelques uns, notamment ceux que l’on peut retrouver dans le monde du travail ?
Vincent Trybou : Il y a deux types de biais cognitifs. Les premiers sont liés à la façon dont votre cerveau interprète l’information. On peut citer la surgénéralisation, le catastrophisation, le « tout ou rien », repérés dans les années 70 grâce à la psychologie cognitive. Par exemple, si quelqu’un vous dit « Je n’aime pas vraiment tes chaussures », il faut garder à l’esprit que la personne parle des chaussures et non de vous. Si on se sent attaqué personnellement avec ce genre de remarque, c’est qu’on surgénéralise.
Ensuite, il y a d’autres biais spécifiques qui sont souvent utilisés en entreprise. Une patiente me disait l’autre fois que son patron ne parlait pas de télétravail mais de « smart-working ». Il faut se méfier de ce genre de mots creux car ce sont des moyens rhétoriques pour activer certaines émotions chez vous. Le mot « smart » donne l’illusion d’une entreprise moderne, efficace, intelligente alors que ce n’est pas forcément le cas.
Anne-Hélène Clair : Un autre biais courant est notre tendance à voir le négatif plutôt que le positif. Pour contrer ce filtre de notre cerveau qui identifie spontanément et traite les dangers, il est important de penser à se féliciter quand on réussit quelque chose, d’autant plus quand vos collègues ou votre manager ne le font pas toujours pour vous.
Au delà des conseils techniques, quel est le message principal que vous souhaitez transmettre en ce qui concerne notre rapport au travail ?
Vincent Trybou et Anne-Hélène Clair : Ne soyez pas uniquement un « homo-salarius ». Nous avons tendance à nous définir uniquement par rapport à l’activité professionnelle que nous exerçons. Par exemple, lorsque l’on rencontre une personne et que l’on demande « Qu’est ce que tu fais dans la vie ? » Instinctivement, une large majorité d’entre nous va apporter des précisions sur notre vie professionnelle. Il faut apprendre à se définir autrement, en évoquant ses passions, ses envies… Cela nous aidera à nous sentir mieux !
Articlé édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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