Burn-out : 3 conseils pour se reconstruire en évitant la rechute
12 déc. 2022
9min
Comment s’extraire du cercle vicieux du burn-out, se reconstruire et surtout ne plus jamais y replonger ? Nos experts du Lab, Sandra Fillaudeau et Christophe Nguyen, nous livrent leurs conseils pour tourner définitivement la page avec ce mal insidueux qui ne cesse de contaminer le monde pro.
Le burn-out : un phénomène tellement d’actualité qu’on ne finit plus d’en parler. Depuis le début de la crise sanitaire, avec le confinement, le nombre de cas concernés par cet « épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel » a doublé entre 2020 et 2021 selon le 7e baromètre d’OpinionWay pour le cabinet Empreinte humaine. En tout, environ deux millions et demi de salariés sont désormais concernés par ce phénomène, loin de relever du “cas isolé”. Depuis, selon le fameux précepte « Mieux vaut prévenir que guérir », on n’a de cesse de révéler les signes annonciateurs de burn-out pour éviter de se laisser consumer. Mais que faire lorsqu’on a déjà “brûlé” ? La crainte de rechute est grande pour ceux qui ont traversé cette épreuve. D’après une enquête menée par l’Antwerp Management School en avril 2022, une personne sur deux ayant déjà vécu un burn-out a peur de replonger. Et à juste titre, puisque 25% d’entre elles en sont effectivement victimes une nouvelle fois… Comment se reconstruire durablement et trouver les réponses adéquates pour éviter de replonger dans cette épreuve douloureuse ? Décryptage.
Comprendre pour mieux reconnaître les signaux
Aude a 40 ans et connaît trop bien cette situation. Alors qu’elle était en poste en tant que cheffe de projet dans le domaine de ses rêves - la musique - au sein d’un label indépendant, elle a craqué et quitté le navire. Pour se reconstruire, elle a dû réaliser un important travail d’introspection sur les causes qui l’ont conduites au burn-out. Une première étape essentielle sur le chemin du rétablissement selon Sandra Fillaudeau, experte en équilibre de vie, qui peut être menée seule ou accompagnée par un spécialiste. « Un burn-out est multifactoriel et il faut un temps pour décanter les choses et reconnaître les différentes raisons qui nous y ont mené », explique-t-elle. Un constat partagé par Christophe Nguyen, spécialiste des risques psychosociaux au travail, qui soulève le caractère progressif et “sournois” de ce mal professionnel : « Il s’agit d’un processus qui se met en place lentement, de manière insidieuse et que l’on peut identifier grâce à des signaux faibles d’abord, et forts ensuite. »
Des signaux faibles à prendre en compte dès le recrutement
Pour Aude, ce travail sur soi a permis une prise de conscience de certains signaux faibles - ces éléments de perception de l’environnement, opportunités ou menaces, qui doivent faire l’objet d’une écoute anticipée - qu’elle avait passablement négligés à l’époque. À commencer par les pratiques de celui qui allait devenir son manager : un process de recrutement à rallonge truffé d’études de cas et réunions, une proposition de fourchette salariale dérisoire au regard de la fiche de poste, un questionnaire faussement “original” avec des questions du type « Comment fais-tu pour trouver une aiguille dans une botte de foin ? »… Bref, autant d’éléments annonciateurs d’une lourde charge de travail et d’un management toxique.
Christophe Nguyen soutient justement l’importance d’être vigilant·e dès la phase de recrutement, « en reconnaissant les postes qui ne nous conviendront sûrement pas pour de multiples raisons, notamment parce qu’ils sont favorables à l’épuisement, voire à risque de burn-out ». L’expert conseille donc de questionner les conditions de travail dès le départ, comme par exemple les horaires de travail habituels ou encore la possibilité d’être autonome dans la gestion de son planning. Même s’il faut éviter, par réflexe de protection, de tomber dans l’hyper-vigilance lors d’un processus “normal”.
Des signaux forts à regarder en face une fois en poste
« Des signaux individuels sont à repérer chez soi après une telle épreuve, ils permettent de s’apercevoir très rapidement en cas de récidive, que l’on est en proie à une situation de burn-out », Christophe Nguyen, spécialiste des risques psycosociaux au travail et expert du Lab Welcome to the Jungle.
Les “mauvais” signes perçus par Aude se sont justement confirmés sans détour lors de sa prise de poste : tâches supplémentaires à ses missions, obligation de rester connectée sur Zoom caméra allumée durant sa pause déjeuner… autant de circonstances abusives qui n’ont pas été sans conséquence sur sa santé psychique et physique. Un impact sur soi également ressenti par Ruben, ghostwriter et formateur sur LinkedIn. Au fil du temps, ce trentenaire a changé de comportement, notamment vis-à-vis de son équipe. Aux signaux physiques (fatigue, troubles du sommeil, stress…) se sont ajoutés d’autres éléments psychologiques. Irritable, il se sent devenir paranoïaque, imaginant que ses collègues sont « tous contre lui ». « Lorsqu’on est toujours de mauvaise humeur, qu’on parle mal aux autres, il est temps de se remettre en question », analyse-t-il avec le recul. « Il y a pas mal de signaux qu’il faut apprendre à détecter, et ça ne se fait pas en un claquement de doigt », confie encore Ruben, qui s’est tourné vers un thérapeute pour verbaliser ce qui lui était arrivé et tirer des leçons du passé.
Pour Christophe Nguyen, il y a en effet, « des signaux individuels à repérer chez soi après une telle épreuve, pour s’apercevoir très rapidement en cas de récidive, que l’on est en proie à une situation de burn-out ». À ce titre, l’aide de son entourage n’est pas négligeable, il peut être utile de « bien écouter ses proches qui remarqueront un changement d’attitude, forts de leur recul sur la situation ».
(Im)poser des limites, à soi et aux autres
Lorsqu’on envisage de reprendre le travail après une période de burn-out, l’importance d’établir de nouvelles “règles” à soi comme aux autres est primordiale pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Car parmi ces victimes ressortent le plus souvent des profils particulièrement investis et consciencieux, qui se retrouvent progressivement débordés par leur désir de “bien faire” à tout prix. Même celui de leur santé. Dignes représentantes du syndrome de la bonne élève, les femmes figurent en bonne place pour y succomber. Une étude menée par des chercheurs de Harvard en novembre 2021 confirme cette prédominance féminine au burn-out. La raison ? Non pas une question d’ordre biologique, mais davantage une injonction à la performance qui joue à la fois sur leur rapport à la hiérarchie et au temps.
Définir et respecter ses valeurs essentielles
Pour être sûr de respecter ses besoins fondamentaux au travail, il est important de déterminer les valeurs essentielles à son épanouissement professionnel, celles sur lesquelles on refusera désormais de lésiner. Pour Sandra Fillaudeau, « (re)définir ses propres valeurs revient à apprendre à se connaître et à se respecter ». Une démarche non-négociable, puisque ces valeurs définissent, entre autres, nos besoins et limites. Suite à son burn-out « très dur » alors qu’elle travaille pour un média international, N’Geur Sarr évalue ses « valeurs cardinales », sans lesquelles elle estime qu’elle ne va pas bien, que sont la curiosité (« Si je n’apprends pas, je m’éteins »), le partage (« J’ai vraiment besoin d’évoluer dans un environnement stimulant, de faire des rencontres et d’opérer des transmissions de connaissance »), l’impact (« J’aime constater rapidement le résultat de ce que j’entreprends ») et le plaisir (« Si je ne kiffe pas ce que je fais, je sais que je perds mon temps »).
La recherche d’une connaissance plus fine de soi comme d’un meilleur équilibre vie pro/perso qui ne doit pas, pour autant, s’assimiler à un rejet pur et dur de toute forme de compromis professionnel. Notre experte Sandra Fillaudeau l’admet : « On se doit aussi d’accepter certaines contraintes qui passent par une forme d’autorité. Comme, par exemple, l’éventualité où un·e salarié·e n’est pas d’accord avec la stratégie définie par sa hiérarchie, mais se doit de la respecter. L’important étant de se demander jusqu’où nous sommes prêts à aller, quelles situations nous pouvons accepter. » L’intérêt de définir et de respecter un seuil acceptable pour soi étant d’éviter un conflit de valeurs qui pourrait, lui aussi, favoriser le burn-out.
Adapter son travail en fonction de ses propres limites
Le travail étant la cause du burn-out, il est évident que reprendre ce dernier dans des conditions identiques consiste ni plus, ni moins qu’à se tirer une balle dans le pied. Il est donc important d’évaluer son désir ou non de continuer à travailler dans l’entreprise ou sur le métier concerné. Si la réponse est positive, il est nécessaire d’interroger ses propres pratiques (organisation de son temps, rapport à sa hiérarchie…) comme celles de son entreprise. Oser parler en toute transparence de cette épreuve à son employeur et/ou manager permet de favoriser la sensibilisation au phénomène, tout en pouvant bénéficier de meilleures conditions de reprise à l’image d’un mi-temps thérapeutique ou encore d’une mobilité interne.
Un point de vigilance également pris en compte par l’Antwerp Management School au sein de son enquête, pour qui l’absence ou les lacunes des politiques de réintégration sont indissociables du nombre conséquent de rechutes.
Pour Christophe Nguyen, l’adaptation de son travail pour éviter le surmenage au sein de son entreprise est également une question de compromis. « On ne peut pas tout imposer à ses manager·euse·s et collaborateur·trice·s. sous prétexte par exemple que c’est le nouveau rythme qui nous convient. Il faut parvenir à ne pas culpabiliser de ne plus adresser toutes les attentes et demandes qui nous écrasaient, tout en tenant ses engagements vis-à-vis de ses pairs, et de la qualité relationnelle et de travail attendue ». Une démarche qui prend en compte les contraintes de tous et s’inscrit dans un objectif à la fois individuel et commun.
Depuis son burn-out, Aude s’est montrée plus radicale, misant sur un changement de statut et de métier avec son passage en indépendante dans le domaine des relations presse. Une liberté nouvelle, qui lui a permis de respecter davantage son propre rythme, sans avoir à demander l’autorisation à quiconque. Une initiative saluée par Sandra Fillandeau, qui souligne néanmoins que « ce n’est pas parce qu’on est à son compte que l’équilibre des temps de vie est plus évident à trouver ».
Savoir couper du travail
Pour la plupart des gens, une grande partie de nos journées est dédiée au travail, si bien que notre cerveau a tendance logiquement à se focaliser dessus. « Si à peu près la moitié de mon temps est dans un certain lieu, pour mon cerveau, ce lieu est très important, et donc je vais y penser beaucoup plus. Aussi, mon taf me permet de gagner ma vie, c’est une base d’entrée très importante dans la société moderne, donc quelque part c’est normal que notre cerveau soit envahi par cette activité principale qui rythme nos sociétés », concède le docteur en neurosciences et expert du Lab Albert Moukheiber à Sandra Fillaudeau dans une récente chronique. Pour éviter de tomber à nouveau dans l’écueil du burn-out, il est primordial de pratiquer un désengagement attentionnel, c’est-à-dire en prenant du temps pour ne rien faire ou faire autre chose, et donc rediriger l’attention de notre cerveau vers autre chose que le travail.
« Parfois, on a la patate, d’autres fois, on est au fond du seau. Il faut apprendre à jouer avec ces variations en dépit du fait que le monde du travail soit conçu comme si tout était linéaire. », Sandra Fillaudeau, experte équilibre de vie du Lab Welcome to the Jungle.
Accepter de faire des choix
Pour Sandra Fillaudeau, « c’est justement la notion de sacrifice qui peut vite mener les actif·ve·s au burn-out. L’idée d’équilibre n’implique pas qu’on peut tout choisir. Il faut au contraire, être très clair sur ce qu’on priorise et ce qu’on choisit de sacrifier pour se sentir satisfait de l’équilibre trouvé ». Un constat partagé par Christophe Nguyen : « les personnes perfectionnistes sont plus à même de faire un burn-out, puisqu’elles refusent souvent de faire des choix et des compromis. Or, si on se surinvestit, donne trop à son travail, on risque de négliger tout le reste et c’est cette abnégation qui peut devenir dangereuse. » La capacité de prioriser est donc essentielle, le renoncement peut être difficile, mais s’avère absolument nécessaire. Et pour l’experte en équilibre de vie, « le choix passe avant tout par l’écoute de son ressenti ». Un parti pris suivi par Aude pour qui, depuis, la priorité est de pouvoir jongler entre ses vies professionnelle et personnelle selon ses besoins, plutôt que de favoriser une course à la promotion en salariat.
Une prise de distance vis-à-vis de son travail que Sandra juge d’autant plus nécessaire que « nous ne sommes ni des machines, ni des robots… ! ». Autrement dit, notre énergie dont dépendent notre forme, notre concentration, notre inspiration… est fluctuante : « Parfois, on a la patate, d’autres fois, on est au fond du seau. Il faut apprendre à jouer avec ces variations en dépit du fait que le monde du travail soit conçu comme si tout était linéaire. » Une fois la notion de motivation constante désacralisée, il s’agit plutôt de se concentrer sur ce dont on a besoin pour arriver à ses objectifs sans se brûler les ailes pour autant. Finalement, cela revient à s’écouter : « Un cliché aujourd’hui, qui constitue pourtant la base de toute forme de bien-être. »
S’intéresser à autre chose qu’au travail
Christophe Nguyen encourage également chacun·e à investir d’autres sphères que le travail, le tout sans culpabiliser. « Prendre le temps de faire des choses qui nous font plaisir au lieu de traiter ses mails en dehors des horaires “normaux” de travail permet de s’ancrer dans le moment présent, de se nourrir autrement que professionnellement », explique ce spécialiste des risques psychosociaux. Ruben l’a bien compris et a pris conscience de ses besoins, notamment de “déconnecter” du travail. Désormais, il se fixe des règles claires sur ses horaires. Tous les soirs, « sauf urgence », son ordinateur ne répond plus dès 18h. Le week-end aussi, il est en chômage technique. Lors de ces moments, priorité au repos bien mérité et à ses proches ! Il s’accorde également une semaine de vacances tous les trois mois « coupé de tout », et surtout de sa boîte mail, pour prendre ce temps pour lui qu’il a si longtemps négligé.
Renouer avec des loisirs, comme une activité sportive ou culturelle, ou encore consacrer davantage de temps à son cercle amical et/ou familial, sont bien souvent les pierres angulaires d’une vie plus équilibrée. Et il précise : « Mettre de la distance n’est pas synonyme de ne rien faire. Mettre notre énergie dans d’autres activités, être bien entouré ne rendra notre travail que meilleur. Ceux qui savent s’épanouir ailleurs qu’au travail sont souvent ceux qui sont justement les plus inspirés et performants ».
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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