Recrutement : faut-il rappeler un candidat même quand c'est non ?

28 juin 2022

5min

Recrutement : faut-il rappeler un candidat même quand c'est non ?
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

79 %. C’est le pourcentage de candidats qui n’auraient jamais de retour après un entretien d’embauche. Cette option semble inenvisageable sur un marché de l’emploi tendu. De plus, le recrutement est devenu un véritable enjeu de marque employeur. Alors, même quand c’est non, prendre le temps de répondre au candidat s’avère un acte de respect mais aussi, de différenciation. Comment mener cet exercice de feedback ? Quelles modalités choisir ? Quelles sont les recommandations des recruteurs pour éviter les pièges et les maladresses ? Décryptage et conseils de pros pour décrocher le label happy candidate à coup sûr.

Systématiser le retour candidat, même négatif : un incontournable

80 % des candidats affirment que lorsqu’ils postulent à une offre, ils aimeraient recevoir une réponse personnelle, même si celle-ci est négative. Les retours candidats sont devenus un indicateur clé de l’expérience de recrutement. Perrine Vincent, Talent Acquisition Consultant chez Approach People Recruitment souligne que cela fait partie des missions d’un recruteur, même si ce n’est pas la plus aisée : « D’une part, la personne a pris le temps de venir nous rencontrer, il faut donc lui témoigner de la gratitude. Puis, n’oublions pas que nous sommes le premier contact entre lui et l’entreprise. Nous devons démontrer une grande qualité dans notre manière de travailler ainsi que notre relationnel. C’est un reflet de la culture d’entreprise ». Or, une mauvaise expérience peut coûter cher : 92 % des candidats partagent leur vécu négatif avec leur réseau. Leurs ressentis sont donc loin d’être un détail dans le monde impitoyable du digital. Les mauvaises notations sur Glassdoor, véritables empreintes RH au long cours, font office de sanction quasi indélébiles. « Or, une mauvaise réputation digitale peut tuer une marque employeur », avertit Perrine Vincent, « surtout dans un contexte où le marché du travail n’a jamais été aussi tendu ». Un baromètre de l’APEC précisait qu’en 2022, 78 % des entreprises s’attendaient à rencontrer des difficultés de recrutement pour les cadres. Plus globalement, les chefs d’entreprise citent à 83 % la problématique « des recrutements de plus en plus difficiles et des pénuries de compétences ».

Voilà qui souligne un autre enjeu RH : la fidélisation des candidats non retenus. Mel C. exerce dans le recrutement depuis plus de vingt ans et, par expérience, elle sait qu’un « non » aujourd’hui peut être un « oui » potentiel pour une future embauche. « Il est important de prendre le temps d’expliquer les points bloquants et de les présenter comme des zones d’amélioration afin d’aider le candidat dans son évolution professionnelle ». Cette posture de conseil permet de développer un vivier de talents pour de futurs recrutements dans d’autres métiers ou entreprises.

L’art du retour quand c’est non : 6 conseils d’experts du recrutement

Ne pas traîner pour répondre

Saviez-vous que la France était championne du monde en termes de longueur de processus de recrutement ? Plus de 31 jours en moyenne. Or, le retour candidat, surtout s’il est négatif, doit être rapide. Selon Catherine Marché, DGA et DRH chez Demos, « entre une semaine et dix jours, le délai reste raisonnable. Il s’agit surtout de donner de la visibilité sur les étapes : si c’est plus de 15 jours, c’est important de le prévenir ». Une réponse rapide permet au candidat d’éviter d’être dans l’expectative. D’ailleurs, dans certains cas, il est tout à fait possible de partager son retour à chaud. Catherine Marché l’a expérimenté : « Si l’on constate que le décalage est trop grand entre le CV et ce que nous présente le candidat en termes de trajectoire professionnelle, il faut être honnête. D’ailleurs, la personne peut correspondre à un autre poste. Cela m’est arrivé récemment ! ». En résumé, « il faut trouver le bon timing selon les situations », d’après Mel C., « car parfois, certains candidats qui reçoivent une réponse négative trop tôt, l’interprètent comme un manque de sérieux de notre part ».

Faire preuve d’humilité grâce au feedback mutuel

Pour introduire un retour négatif dans les meilleures conditions, Catherine Marché recommande l’approche mutuelle : « Recueillir d’abord le ressenti du candidat est une mine d’informations pour nous améliorer et cela démontre une certaine forme d’humilité ». Ainsi, il est plus simple de faire la transition en soulignant ce qui a motivé la réponse négative. Par ailleurs, Perrine Vincent demande systématiquement le feedback du candidat en posant des questions précises : « Je demande comment j’aurais pu mener l’entretien différemment. Je pars du principe que chacun, recruteur comme candidat, est là pour s’améliorer ».

Préférer l’oral à l’écrit

Sans entrer dans un processus ultra rigide, il est important de poser un cadre de gestion des retours négatifs afin d’être efficace. « Si la personne a simplement répondu à une annonce ou m’a contactée sur les réseaux sociaux, sans avoir passé d’entretien, je réponds de manière personnalisée et précise à l’écrit. En complément, je leur propose de me contacter », explique Perrine Vincent. Dans le cas où le candidat a passé un entretien, le retour doit se faire à l’oral. « Il est indispensable d’appeler la personne. De la remercier, de lui expliquer pourquoi c’est non ». L’approche gagnante ? D’abord mettre en exergue les aspects positifs. Ensuite, concernant les aspects bloquants, les présenter comme des zones de développement : « Je n’hésite pas à lui donner des conseils, à l’encourager dans le développement de ses hard skills. Car si le contexte évolue et que la personne s’est formée, on peut tout à fait être amené à collaborer plus tard ».

Se mettre dans une posture de coach

Le feedback est surtout l’opportunité d’accompagner le candidat dans sa trajectoire professionnelle, lui donner confiance et l’encourager dans son développement. « Je n’hésite pas à expliquer les points ou les postures à améliorer pour ses futurs entretiens », souligne Mel C. Le feedback se mue alors en mini coaching ! Cette approche permet surtout d’amener plus facilement le sujet des soft skills, « et ce n’est pas forcément simple », confie Perrine Vincent. « C’est toujours délicat de pointer certains traits de personnalité d’un candidat et de dire qu’ils ne collent pas avec notre culture d’entreprise. Or, en prenant le temps d’appeler la personne, de lui expliquer calmement, cela peut changer sa manière de recevoir l’information. Le but est qu’elle ressorte plus positive de nos échanges. »

Le feedback est surtout l’opportunité d’accompagner le candidat dans sa trajectoire professionnelle, lui donner confiance et l’encourager dans son développement.

Créer un processus spécifique en cas de pics de recrutement

L’appel feedback systématique est un idéal difficilement maintenable dès lors qu’une entreprise embauche à tour de bras. Mel C. propose une réponse en deux temps : « D’abord passer par l’écrit, de manière la plus personnalisée possible. Puis, proposer au candidat de rappeler le recruteur pour ceux qui veulent échanger de manière plus approfondie ». Cette approche permet de rendre le candidat acteur de son développement. Autre solution utile : la création de gabarits de mails avec des lignes directrices personnalisables afin de bien expliquer les raisons du refus. Aussi, pour éviter les candidatures sans réponse, Catherine Marché propose de repenser le processus de recrutement. Sa vision ? Miser sur le collectif et l’immersif. « Il faut recruter par “promo” : avant de passer par la case recrutement individuel, opter pour une présentation collective de l’entreprise, du job et des attendus. Ça permet d’opérer un premier niveau de sélection. En effet, certains candidats décident par eux-mêmes de ne pas poursuivre ». En complément, la DRH préconise, quand c’est possible, d’immerger les candidats en « observation métier ». « En prenant conscience du job, certaines personnes quittent le processus de recrutement spontanément ». Ainsi, les feedbacks se font de manière naturelle et synchronisée : bien plus simple à gérer en cas de volumes importants !

Maintenir le lien en gardant la porte ouverte

Une fois le feedback partagé, les échanges ne s’arrêtent pas là. Il ne faut pas hésiter à laisser la porte ouverte au candidat. « Nous avons passé du temps avec la personne, même virtuellement parlant ! Une forme de relation s’est créée, il serait dommage de l’arrêter net », souligne Perrine Vincent. Sa dernière recommandation ? Rester disponible après le processus de recrutement pour répondre aux questions des candidats. Cela témoigne d’un réel soutien dans le temps. Par extension, c’est aussi une autre manière de les inviter à faire partie de son réseau et à faciliter les recrutements futurs.

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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ

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