Métro-boulot-dodo : « Ma routine ne fait pas de moi quelqu'un de "plan-plan" »
23 sept. 2021
7min
Journaliste - Welcome to the Jungle
Quand on parle de routine, c’est souvent pour clamer ô combien on souhaite la fuir. D’ailleurs, si on m’avait donné un euro à chaque fois que j’ai entendu : « Le “métro-boulot-dodo”, c’est vraiment pas pour moi… », je serais certainement blindée et en ce moment-même, en train de siroter un martini dans un chalet à la montagne. Car il semblerait que passées les études supérieures, la routine soit l’ennemie n°1 à combattre. Et la question que je me pose, c’est : pourquoi ?
Pour moi, comme pour beaucoup d’autres, la routine a fait son nid dans ma vie dès que j’ai mis un pied dans le monde du travail. Je prends le métro tous les jours, j’ai le même job de journaliste depuis trois ans (ce qui, j’en conviens, n’est pas énorme, mais il paraît que l’amour dure 3 ans) et je bois le même café latte tous les matins. Et dans le fond, même si mon petit train-train me va bien, j’ai parfois peur qu’au regard des autres, ma vie paraisse tristounette. Le problème, c’est que cette injonction à casser la routine, c’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase : alors que je dois déjà tenir mes deadlines au travail, ne pas oublier de peser mes légumes au supermarché, comprendre comment le site impôts-gouv fonctionne et bosser de 9h30 à 18h30, je devrais en plus entretenir une vie palpitante où aucune journée ne se ressemble ? Je crois que je n’en ai ni l’envie, ni la motivation et je me demande même si c’est possible. Alors pour m’assurer que ma vie - et peut-être la vôtre - n’est pas complètement plan-plan, j’ai passé un coup de fil à Claire Burel, autrice de “La routine, c’est fini !” (Ed. Jouvence) et “Dites zut à la routine !” (Ed. Lanore).
WTF is la routine ?
Quand on parle de routine, difficile de comprendre d’emblée à quoi on fait référence exactement. Si le Larousse la définit comme « un ensemble de gestes faits mécaniquement », est-ce qu’elle désigne tout un mode de vie ou seulement quelques unes de nos petites habitudes, comme cette pause que l’on fait tous les jours au travail avec son collègue préféré ? Selon Claire Burel, il y existe en fait plusieurs types de routines qui, mis ensemble, forment comme un mille-feuille géant d’actions automatiques, répétées et prévisibles. Voilà le topo :
Il y a d’abord la routine neutre, qui correspond à toutes ces corvées du quotidien qui ne nous font ni chaud ni froid, comme faire ses courses ou la vaisselle (même si parfois, on s’en passerait bien, nous n’avons pas vraiment le choix…)
Puis, les routines plus positives, telles que :
La routine structurante, qui permet d’organiser notre vie. Au travail, on va par exemple commencer par une réunion quotidienne, puis on enchaîne sur une plage de travail suivie de la pause-déjeuner. C’est aussi celle qu’on essaye de transmettre à nos enfants avec la fameuse chorégraphie : goûter, devoirs, douche, dîner, les dents et au lit. En gros, c’est la routine qui nous permet de vivre en société en nous imposant un cadre, des horaires.
Les rituels, qui sont les habitudes qui nous font du bien et que nous sommes prêts à défendre bec et ongle. Comme l’afterwork du jeudi soir…
Enfin, il y a les routines qui ont un impact négatif sur notre bien-être :
La routine rassurante, qu’on crée spécifiquement pour tempérer une peur. Par exemple : vous animez une réunion qui vous stresse tous les lundis, alors vous demandez à votre N+1 de vous y accompagner à chaque fois. Malheureusement, vous ne traiterez jamais le problème à la source.
Et puis il y a la routine irritante. C’est lorsque nos journées se ressemblent, se répètent et qu’elles n’ont plus aucune surprise pour nous. C’est un peu comme une routine structurante qui aurait mal tourné. C’est dans cette dernière catégorie qu’on pourrait caser le redouté “métro-boulot-dodo”, et c’est celle-ci qui va particulièrement m’intéresser…
Rentrons maintenant dans le vif du sujet.
“Métro-boulot-dodo”, monospace en banlieue & cie : et si c’était O.K ?
Comme moi, vous avez forcément déjà entendu dire : « Mon pire cauchemar, ce serait d’avoir une maison à crédit en banlieue et d’aller au même boulot tous les jours dans mon monospace ». Étant donné qu’une bonne partie de notre société pourrait (plus ou moins) se retrouver dans cette description, j’ai toujours trouvé ce jugement assez sévère et dénigrant. Il m’a poussée à me demander pourquoi certaines routines étaient perçues comme “pauvres”.
Pour Claire Burel, « cette image stéréotypée effraie car elle mêle des éléments automatiques, répétitifs et surtout prévisibles. Mais ça ne veut pas dire qu’elle est négative pour autant. Déjà, quand on parle de “métro-boulot-dodo”, on oublie de citer tout un tas d’activités positives qui font aussi partie de notre journée : le déjeuner avec un·e collègue, le “coucou” aux voisins en partant le matin, la promenade du dimanche… Tout de suite, c’est moins réducteur ! Ensuite, il est important de dire qu’il appartient à chacun de nous de déterminer si une routine est structurante ou irritante. Il faut bien comprendre que la routine, en soi, n’est pas mauvaise, c’est ce qu’on en fait qui peut l’être ! » Concrètement, deux personnes qui mènent la même routine ne la vivront peut-être pas de la même manière, et j’avoue que cette vision des choses me parle… D’après Claire, l’élément miracle, qui fait toute la différence, c’est notre niveau d’implication dans ces activités répétitives : « C’est tout le concept de la loi de l’entropie qui consiste à dire que si on n’ajoute pas un minimum d’énergie pour qu’un système fonctionne, il court à sa perte : une voiture n’avancera jamais toute seule si on ne fait pas l’effort d’appuyer sur l’accélérateur. Avec la routine, c’est pareil. Si je vis tous les jours les mêmes choses, mais que je ne m’engage pas à y puiser de l’émotion, alors la lassitude s’installe. »
Aller à l’encontre la loi de l’entropie, ou comment mettre de la poésie dans sa vie
Je crois que si prendre le métro tous les jours ne me donne pas envie de crier dans un oreiller, c’est parce que je ne trouve pas cela si monotone. Tantôt, j’observe les gens, tantôt je remarque leur façon de s’habiller, je m’amuse des drôles de spécimens que je croise, je concocte une playlist des chansons que j’écoutais quand j’avais douze ans… Je “varie les plaisirs”, comme on dit. Et selon notre experte, c’est la marche à suivre pour ne pas “s’encroûter”. « Vous ne pourrez pas forcément changer votre routine, mais vous pouvez changer le regard que vous portez dessus en allant à l’encontre de la loi de l’entropie. Sur vos temps de transport quotidiens, apprenez à saisir les changements de votre environnement et fuyez votre téléphone qui vous enferme ! Au travail, veillez sur vos collègues et apportez quelques légères modifications dans vos habitudes. Toujours les mêmes réunions ? Proposez d’expérimenter un nouveau format, préparez-vous une boisson que vous ne buvez pas souvent avant de vous y rendre, faites quelques exercices de respiration au préalable. »
Ce que Claire m’explique, c’est que comme la routine est un mille-feuille géant, on peut changer certaines couches pour l’apprécier davantage. Personnellement, je trouve cette idée très poétique… et rassurante. J’avoue que je m’imaginais mal tout plaquer pour vivre une “van life”. Mon aventure à moi se déroule déjà dans ma tête. Mais je me demande si je ne finirai pas blasée malgré tout : est-ce que mon monde intérieur continuera d’être suffisamment riche pour que ma routine me comble sur le long terme, jusqu’à mes 40, 50, 60 ans, et plus ?
Routine et déambulateur
Et si la coupable derrière nos craintes de routine n’était pas en réalité… la peur de vieillir ? Une de mes collègues m’a un jour dit que le mot “routine” lui évoquait la vie de ses parents qu’elle trouvait un brin ennuyeuse et qu’elle s’efforçait, de ne pas marcher dans leurs pas. De mon côté, dès que je m’installe confortablement dans ma routine, je redoute les commentaires qu’on pourrait me faire. J’appréhende l’idée de renvoyer une image de petite mamie avant l’heure. J’ai le sentiment que la routine m’attend, tapie dans l’ombre, et finira par m’agripper par le col à un certain âge. Pourquoi l’assimile-t-on souvent à “un truc de vieux” ?
Pour Claire Burel, c’est une association d’idées assez normale, car : « Plus on vieillit, plus on se désinvestit émotionnellement. Ce n’est pas systématiquement le cas, mais il arrive que chez certaines personnes, le cercle d’intérêts se réduise avec le temps. On vit souvent davantage dans le passé, dans la nostalgie. Notre curiosité ne nous anime plus comme quand nous étions jeunes et qu’on cherchait sans arrêt à expérimenter. Dans ce cas, il est bien plus difficile d’aller contre la loi de l’entropie. Alors effectivement, ce qui effraie beaucoup de personnes, c’est surtout de vieillir sans s’épanouir et faire de nouvelles découvertes ! Mais tant qu’on garde une part de curiosité, alors il n’y a pas à s’inquiéter. » Et c’est peut-être comme ça que tant de génies ont réussi à maintenir leur créativité tout au long de leur vie, même s’ils s’astreignaient à suivre une routine très rigoureuse. Il y a fort à parier que c’était le cas de Victor Hugo, Maya Angelou ou encore Charles Darwin dont les journées étaient organisées au millimètre près, comme on peut le découvrir dans l’ouvrage Daily Rituals de Mason Currey. Comme quoi, routine ne signifie pas forcément “mort de l’innovation”. « Le fait d’avoir une routine peut même libérer notre charge mentale pour nous permettre plus de créativité. Le plus important, c’est vraiment la curiosité ! », me confirme Claire.
Échappe-moi si tu peux
On en vient à la question fatidique. Celle qui me brûle les lèvres : aujourd’hui qui peut se vanter de n’avoir aucune routine ? Pour Claire Burel, personne. « Il y a autant de routines que d’existences ! Il est impossible de la fuir puisque, comme nous l’avons vu, la routine a plusieurs niveaux : nous sommes bien obligés d’avoir des routines neutres, des rituels, et des routines structurantes pour vivre ! » Un point que soutient Albert Moukheiber, docteur en neurosciences et psychologue : « La routine, c’est aussi ce qui nous permet de vivre en société, aux mêmes horaires que tout le monde. Je pense que beaucoup de personnes la rejettent, mais en réalité, ils sont en plein dedans et en ont besoin. C’est un peu comme la solitude, certains disent l’aimer, mais en réalité, ils ne la vivent pas si bien que ça, sinon ils ne scrolleraient pas pendant des heures sur les réseaux sociaux pour y pallier… Le tout, avec la routine, c’est surtout de déterminer si la nôtre nous épanouit, ou pas. » Si ce n’est pas le cas, pourquoi ne pas commencer à mettre en œuvre quelques petits changements ? Et si malgré tout, vous ne pouvez plus la piffrer, c’est qu’il est peut-être temps d’envisager des changements plus profonds et radicaux… Mais sachez qu’on ne peut pas éradiquer totalement la routine ! Et c’est tant mieux.
Alors voilà. J’en conclus que ma vie n’est pas si chiante, et j’espère que la vôtre non plus. Au final, les seules vraies questions à se poser sont : “Est-ce que MA routine me rend heureux·se ?”, “comment pourrais-je m’impliquer un peu plus pour l’apprécier ?” et “suis-je assez curieux ?” Quoi qu’il en soit, n’ayez pas honte de votre quotidien. C’est vous qui le vivez, pas votre voisin. Chacun sa routine, et les moutons seront bien gardés.
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Photo d’illustration by WTTJ
Édité par Gabrielle Éléa Foucher-Créteau
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