Comment arriver à bosser avec le coeur brisé ? Guide de survie post rupture

01 déc. 2022 - mis à jour le 01 déc. 2022

9min

Comment arriver à bosser avec le coeur brisé ? Guide de survie post rupture
auteur.e
Aurélie Cerffond

Journaliste @Welcome to the jungle

contributeur.e

Celui ou celle qui l’a déjà vécu le sait : travailler alors qu’on a le cœur brisé est une véritable épreuve. Pourtant, le sujet des ruptures amoureuses est peu considéré en entreprise. Par pudeur, on a tendance à minimiser ou taire cet événement intime, quand bien même on est complètement bouleversé. Mais alors que notre petit monde s'effondre, comment faire pour survivre au taf ?

« J’ai plongé dans une grande tristesse, plus rien ne me faisait plaisir. Rien ne pouvait soulager ma douleur, mes crises de larmes. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus. C’est simple, ma vie n’avait plus d’intérêt à mes yeux », confie Louise, séparée de son compagnon après huit ans de relation. Des sentiments et des émotions fortes provoqués par la fin d’une relation importante, intense, structurante… bref d’une relation qui compte. Un événement personnel traumatisant qui blesse profondément, voire peut complètement désorienter.

En fait, loin d’être une simple peine de cœur, ce type de rupture s’apparente à l’expérience du deuil, comme l’explique la psychologue et coach Cécile Pichon, experte du Lab Welcome to the Jungle : « La fin d’une histoire d’amour stable et réciproque fait partie des événements les plus violents et impactants qu’on est amenés à vivre en tant qu’être humain. C’est l’expérience du détachement, de la perte, qui est finalement la plus proche du deuil : on doit vivre sans l’autre à tout jamais. » Un être qui était notre référent affectif. En perdant son partenaire, on perd alors notre base sûre. À la dérive, on devient naufragé. Difficile dans ses conditions, d’être 100% investi dans son travail.

Des effets indésirables au boulot

« Beaucoup de boîtes comprennent l’enjeu, mais considèrent que cela ne les concerne pas directement » - Cécile Pichon, psychologue

« Ma rupture ne s’est pas passée en une journée. C’était plutôt des semaines de chaos, ponctuées par des engueulades qui bavaient sur le bureau, se remémore avec tristesse Jeanne, qui a rompu avec le père de son fils, après 10 ans de vie commune. Arrivée agacée, énervée après une dispute le matin, ça m’est arrivé un paquet de fois… Forcément je bossais les nerfs en pelote. » En plein cataclysme personnel, comment continuer à se comporter comme si de rien était ? C’est bien le défi posé à ceux qui traversent cette épreuve. Car bien que l’événement soit extrêmement bouleversant, il est rarement pris en compte dans la sphère professionnelle. Certes cela relève du domaine de la vie privée, mais d’autres événements intimes comme le mariage, une naissance, la maladie etc., vont donner lieu à des aménagements ou des jours de congés, quand la rupture amoureuse ne suscitera aucun égard. « Les entreprises se rendent plus ou moins compte de l’importance du sujet, ça dépend de la culture d’entreprise, explique la coach. Beaucoup de boîtes comprennent l’enjeu, mais considèrent que cela ne les concerne pas directement. »

Dans ce contexte, beaucoup de salariés préfèrent taire ce qu’ils traversent malgré les difficultés rencontrées. Comme Abdel, qui a longtemps hésité à parler de sa situation pour cette raison : « J’avais peur que mes collègues considèrent la rupture amoureuse comme un problème perso banal. Un truc que tout le monde vit un jour, comme tomber de vélo… Pourtant quand tu es en plein dedans, tu ne trouves pas ça anodin ! Et tu te rends bien compte à quel point ça t’encombre l’esprit… »

Difficultés à se concentrer, à s’impliquer, perte de motivation mais aussi émotions exacerbées, fatigue chronique… Si chaque personne va réagir différemment, les répercussions sur notre performance au travail peuvent être conséquentes et ne doivent pas être sous-estimées.

Remettre le travail à sa place

Un peu comme à chaque fois que l’on vit un événement personnel important, l’expérimentation de la rupture amoureuse est un rappel (brutal), que la vraie vie se joue en dehors du bureau. Abdel, ravagé par une intense discussion avec son ex, s’est ainsi permis d’annuler une présentation sur laquelle il planchait depuis des semaines, et plus globalement de prendre ses distances sur la place que prenait son job dans sa vie : « D’un coup, certaines réunions, certaines conversations pro perdaient de leur attrait. Et puis j’ai réinvesti mes relations avec mes amis, ma famille car j’avais besoin de soutien à ce moment-là. J’ai alors arrêté de bosser tard le soir pour passer du temps avec eux. Quelque part, j’ai rééquilibré mon rapport au travail. » Une dé-priorisation de la sphère professionnelle tout à fait naturelle selon Cécile Pichon : « À certains moments, on peut avoir besoin de pleurer toute la journée, à d’autres de faire la fête pour oublier… On a du mal à manger, dormir, on fait des excès… Face à notre quotidien sens dessus-dessous, le travail peut faire pâle figure à côté. »

De façon plus pragmatique, il s’agit aussi de réorganiser sa vie : trouver un logement, déménager, gérer un divorce, une garde d’enfants… Des changements significatifs à orchestrer sur le plan personnel et un nouveau rythme à trouver qui peuvent prendre le pas sur le professionnel, pendant cette période de chamboulement.

Il ne faut pas perdre de vue que, loin du fantasme du “travail-passion”, l’immense majorité des salariés embauchent uniquement pour financer leur vie personnelle. Et parfois même les projets de vie à deux : dans ce cas, le travail peut perdre tout son sens. « Si on a fait un choix pro pour s’expatrier, acheter son logement, fonder une famille avec son conjoint, et que la relation se termine, clairement ce job peut nous apparaître 100% inutile du jour au lendemain », détaille la psychologue. Cette période de notre vie est charnière car on doute, on remet tout à plat. Notre vision du monde peut alors changer, on va se demander pourquoi on se lève le matin… Et puis parfois, on a des nouvelles contraintes comme par exemple ne plus pouvoir se loger dans la même ville car les loyers sont trop chers, avoir besoin de changer ses horaires pour s’occuper de ses enfants… Autant de facteurs qui peuvent conduire à changer de job ou même de voie professionnelle.

Le travail comme bouée de sauvetage

« Si au début, travailler m’a beaucoup coûté, que chaque tâche me prenait beaucoup plus de temps, avec le recul je me rends compte que ça m’a évité de plonger encore plus dans ma dépression, et c’est même ce qui m’a permis d’en sortir », se remémore Louise. Pour certaines personnes, le travail sera au contraire, le meilleur moyen de relever la tête. Comme pour Jeanne, qui a choisi de s’investir à fond dans son job : « Alors que mon couple, ma famille, mes projets vont à vau-l’eau, mon travail, lui, est bien structuré. C’est la seule chose stable à laquelle me raccrocher, et ça me fait du bien. » Un environnement dans lequel cette commerciale cumule les réussites, avec une gratification immédiate (sous forme de primes), mais aussi sur le long terme via la reconnaissance de ses pairs. Autant d’éléments qui aident à renforcer la confiance en soi, souvent mis à mal durant cette épreuve personnelle.

« Le travail c’est aussi un lieu où on reste debout. Déjà c’est un endroit neutre car nos collègues ne connaissent pas notre ex la plupart du temps, contrairement à nos groupes d’amis. Et puis, on est peut-être apprécié par ses collègues ou bon dans ce que l’on fait. Tout cela va être très soutenant et valorisant sur le long terme », insiste la psychologue. Selon les situations de chacun, le travail pourra être perçu comme un sacerdoce ou a contrario comme une source d’énergie et de motivation.

Guide de survie pour bosser le cœur brisé

Pour arriver à donner le change au travail alors qu’on est tout chamboulé par une récente séparation, notre experte du Lab Cécile Pichon, suggère quelques pistes à explorer :

1. Parler de sa rupture

On n’est pas obligé de le crier du haut du toit de la cantine, mais même sans le dire à tout l’open space, le dire à son manager et à quelques personnes de confiance, va nous être d’un grand secours pour plusieurs raisons :

  • Éviter les erreurs d’interprétation. Moins concentré ou moins volontaire au travail que d’habitude, on peut vite penser qu’on n’aime plus son job ou que l’on veut quitter la boîte alors qu’il n’en est rien.

  • Esquiver les gaffes de la machine à café. Du style : « Vous avez fait quoi avec ton·a chéri·e ce week-end ? » qui ont le don de nous mettre mal à l’aise et de nous rappeler notre (douloureuse) condition.

  • Avoir plus de marge de manœuvre. Pour visiter un appart, pour souffler, pour reporter des deadlines trop serrées…

Si on n’a pas envie de s’étaler sur son histoire perso, la coach recommande d’opter pour des formules sobres, par exemple :

« En ce moment je suis en train de me séparer de mon·a compagnon·e. Je n’attends rien de spécial de ta part, mais je pense que c’est important que tu le saches pour que tu comprennes pourquoi je suis fatigué et émotif en ce moment »
ou « je vis une rupture et je te le dis car je n’ai pas envie que tu t’inquiètes pour les mauvaises raisons. C’est difficile pour moi cette semaine, je n’ai pas la tête au travail, mais je vais m’y remettre ».

Encore une fois, rien ne nous oblige à en parler, si ce n’est éventuellement au service RH en cas de divorce pour mettre à jour les données de notre fiche salarié. Mais si on entretient des relations de confiance et de qualité avec ses collègues, l’évoquer peut vous permettre d’obtenir plus de soutien et de compréhension de leur part.

2. Prendre soin de soi

Dans la phase intense des débuts de la séparation, poser un jour ou deux peut être salvateur si on a besoin de pleurer toute la journée et qu’on n’a pas d’énergie… Se ressourcer auprès de ses proches peut offrir une bulle de respiration avant de retourner au travail. C’est aussi accepter que l’on vit un truc super dur, et qu’on n’est pas obligé de faire bonne figure dès le lendemain.

3. Oser ralentir

C’est s’autoriser à lever les pieds sur certains sujets. Cela ne signifie pas qu’on fera moins d’heures mais plutôt qu’on va éviter les sujets qui nécessitent d’être en pleine capacité de ses moyens. On peut alors demander des aménagements auprès de son manager.

Au même titre qu’on va éviter de porter 200 chaises pour installer la salle du séminaire le jour où on a le dos bloqué, on peut demander à ne pas effectuer certaines tâches ou projets qui nécessitent de bénéficier d’un grand calme intérieur alors qu’on est émotivement à fleur de peau. Et si notre N+1 n’est pas réceptif, on peut toujours se tourner vers nos collègues, à qui on peut demander d’assurer un rdv client important à notre place par exemple ou de nous soulager d’une prise de parole en réunion.

4. Prendre soin de sa santé physique

Soigner son sommeil et son alimentation vont considérablement aider à récupérer, face aux effets dévastateurs du stress, causé par nos états émotionnels intenses. Cela peut faire diminuer les problèmes de concentration, certaines douleurs, les migraines…

Il faut essayer d’éviter de sauter les repas, aller marcher, bien respirer… Et ne pas hésiter à se faire arrêter si on ne se sent pas bien. Il n’y a pas de honte ou de complaisance avec soi-même, si on se sent physiquement inapte à aller travailler.

5. S’offrir des petits plaisirs

Une fois qu’on va un peu mieux et qu’on commence à aller de l’avant, il s’agit de faire des choses qui nous font du bien. Comme quitter son jogging et prendre soin de son apparence, faire un petit resto avec ses collègues, proposer à un ami de faire une balade après le boulot… tout ce qui va nous redonner de l’énergie.

6. Booster son estime de soi

Le travail est le lieu idéal pour revaloriser un ego ébranlé par une rupture difficile. Si on s’y sent apprécié et valorisé, cela va soigner l’image de soi, parfois égratignée par la séparation.

Privilégier les projets qui nous plaisent et sur lesquels on se sent à l’aise, est une bonne stratégie. Cette année le CSE cherche des volontaires pour organiser la soirée de fin d’année et cela nous amuse ? On fonce ! Se mettre sur les sujets qui nous énergisent, nous plaisent, permet de se sentir à sa place et de d’obtenir des feedbacks positifs rapidement.

7. Muscler sa motivation

Vivre un chagrin d’amour déplace le curseur des priorités. C’est le moment de se demander : est-ce que je veux garder cet emploi ? Parfois, on n’a pas d’autre choix que de le garder pour des raisons financières, mais au moins on est au clair avec notre situation et on s’autorise à se reposer la question plus tard. Si la réponse est un grand oui : on sait qu’on aime notre job, et on confirme qu’on y est par choix, ce qui va nous donner un élan positif pour avancer.

8. Se lâcher la grappe

Quand on souffre déjà à cause de sa peine de cœur, et qu’en plus on est moins performant au travail, on culpabilise. Une double-peine qui n’aide pas à aller mieux.
En fait, il faut s’autoriser à aller mal, accepter que c’est normal vu les circonstances, et qu’on a besoin de temps pour reprendre le dessus.

9. Mettre des limites

C’est une astuce soufflée par Jeanne : pour mieux se concentrer au travail et éviter les crises de larmes, son ex-conjoint, avec qui elle communique toujours concernant la garde de leur enfant, a interdiction d’envoyer des mails ou des textos pendant ses horaires de bureau. Un moyen de préserver sa bulle pro des rancœurs et autres ondes négatives liées à une rupture difficile sur le plan émotionnel.

Si travailler le cœur brisé est difficile pour la plupart d’entre nous, c’est aussi une période riche en enseignements sur soi, les autres, et sur ce qu’on désire à l’avenir, pour cette nouvelle page de notre vie qui s’écrit. Après, chacun trouvera une parade personnelle pour gérer au mieux cette épreuve sur le plan pro comme perso. En revanche, si après plusieurs mois on n’a l’impression d’être toujours dans le même état émotionnel qu’au lendemain de la rupture, sans aucune évolution dans notre sentiment de deuil, il ne faut pas hésiter à se faire accompagner par un psychologue ou un psychiatre.

Article édité par Gabrielle Predko, photo Thomas Decamps pour WTTJ

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