Bosser en start-up et prendre des vacances : l'impossible équation ?
20 juil. 2022
6min
Journalist
Petite équipe, objectifs XXL et culture dans laquelle faire des heures sup’ est une norme : difficile de s’autoriser à prendre des vacances quand on bosse dans une start-up. Existe-t-il des pistes pour vaincre ce tabou et oser appuyer (temporairement) sur le bouton off ? Et quid de la santé de ceux et celles qui n’envisagent même pas une seconde de se mettre un peu au vert ?
Le monde de la start-up est connu pour être celui de journées denses… et à rallonge. Derrière les promesses de partie de ping-pong à gogo, de boissons à volonté et de coins détente, la pression est rude au quotidien.
Souvent, les start-ups sont des structures fragiles, et celles qui parviennent à pérenniser leur activité n’en demeurent pas moins soumises à une concurrence féroce. Or cela peut faire peser une grande pression sur les effectifs - souvent réduits - des start-ups.
Shanna Watkins, 26 ans et cofondatrice d’une marque d’athleisure (vêtements hybrides sport/streetwear) et d’une communauté autour du bien-être à Dallas, au Texas, connaît bien le sujet. Elle gère seule la communication et les RP de l’entreprise, qui emploie quatre autres personnes. « Honnêtement, m’octroyer de vraies vacances est presque mission impossible, tout simplement parce que personne ne fera le travail à ma place en mon absence. J’ai le pied sur l’accélérateur et je n’ai pas vraiment la possibilité de lâcher. Il faut que j’avance. »
Flic Taylor, une content strategist canadienne de 44 ans connaît également bien le phénomène. « Quand on a participé aux débuts d’une l’entreprise, le noyau dur de l’équipe est comme une famille. » Sa boîte attendait que les salariés donnent tout pour faire décoller le business. « Je n’avais plus exactement de garde-fou ou de limites, parce que je voulais me donner à fond. Je me voyais comme un pilier sur lequel le reste de l’équipe devait pouvoir s’appuyer. »
Cela n’a rien de secret : travailler en start-up signifie bien trop souvent… ne pas compter ses heures. Les créateurs et créatrices d’entreprise cumulent jusqu’à 60 heures de travail par semaine, dans l’optique d’optimiser leur investissement horaire et leur croissance. Le problème, c’est qu’ils exigent souvent - directement ou indirectement - un investissement similaire de la part de leurs équipes… qui peut réellement pousser à bout !
Les risques du surmenage professionnel
Ces derniers ne sont pas uniquement d’ordre psychologique. En 2021, l’OMS (organisation mondiale de la santé), a estimé que les journées à rallonge — à savoir des semaines de 55 heures et plus — augmentent le risque d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) et maladies cardiaques. Elle a d’ailleurs évalué à des centaines de milliers le nombre de décès par an dans le monde pour cause de surmenage.
Les études sont nombreuses à avoir démontré les bénéfices des vraies vacances sur notre santé mentale et physique. En complément se pose la question de l’impact réel des heures supplémentaires sur la productivité générale : une étude de l’université de Stanford a montré que la productivité commence en réalité à décliner lorsque les salariés travaillent plus de 50 heures par semaine, avec une très nette baisse lorsqu’on atteint et passe la barre des 55 heures hebdomadaires.
Dans les start-ups où la question des vacances est relativement taboue, le plus difficile peut être non pas de changer le système, mais la culture de l’entreprise. En s’octroyant à eux-mêmes une pause, les boss peuvent soudainement paraître moins impliqués, devant déléguer leur charge de travail à leurs collègues en leur absence ou risquant même de mettre un cran d’arrêt à l’activité.
Nos conseils pour arrêter de culpabiliser
Comment éviter la culpabilité des vacances et remettre un peu d’ordre dans son équilibre vie pro-vie perso ? Voici quelques pistes éprouvées :
- Programmez votre break longtemps en avance
« Si vous voulez faire une pause et souffler, prévoyez le coup le plus en amont possible », conseille Samantha Moss, rédactrice en chef et ambassadrice contenus pour un magazine en ligne dans l’État de Washington. Prévoir ainsi permet de boucler les tâches ou dossiers prioritaires et essentiels en avance, de mieux gérer la passation aux collègues (quand c’est possible) et de préparer le terrain afin que l’équipe sache bien que vous ne serez pas disponible. « Votre charge de travail ne sera pas hyper allégée à votre retour, mais on peut penser qu’elle sera quand même moins grande. » En programmant votre break en avance, vous serez également moins capable d’évaluer la charge de travail qui vous incombera avant cette période de vacances, vous aurez donc moins tendance à renoncer à les poser.
- Prenez des vacances plus courtes mais plus fréquentes
« Dans les start-up où j’ai travaillé, les choses étaient posées d’emblée : tout le monde devait prendre au moins un jour off par mois », témoigne Jessica Vine (Tennessee), qui a depuis créé sa propre marque de lifestyle. Cela veut dire une petite surcharge de travail pour les autres ces jours-là, mais comme ça tourne, personne n’en prend ombrage. « Dans une boîte, finalement, c’est donnant-donnant. Il faut être OK sur le principe d’être là pour les autres, mais aussi que les autres sont là pour nous. » Sans forcément vous imposer de prendre un congé par mois, autorisez-vous quelques jours lorsque vous en ressentez le besoin : un vendredi qui vous permettrait de prendre un long week-end ? Ou un jour stratégiquement posé qui vous permettrait de faire un pont ?
- Faites le point sur vos limites
Si Flic Taylor a subi les conséquences d’une culture d’entreprise assez toxique, elle s’est aussi posé la question de son rôle dans cette dynamique. « J’avais un syndrome de l’imposteure assez coriace. Dès le départ, j’étais obsédée par le fait de devoir faire mes preuves, alors que je faisais du bon boulot et que je le savais. » D’où ses difficultés à poser des limites claires, pour son propre bien-être, à dire non lorsqu’on chargeait trop son emploi du temps ou à oser poser ses vacances, tout simplement. « Quand je me retourne sur cette expérience, je me demande pourquoi je n’ai pas tout simplement dit que c’était humainement impossible ? Je n’ai posé aucune limite de cette sorte. » Vos congés payés font partie de ces droits auxquels vous n’avez pas à renoncer. Plus vous poserez de limites à votre manager au quotidien, plus celui-ci sera enclin à respecter votre équilibre vie pro-vie perso, et plus vous vous sentirez à l’aise de poser vos congés.
- Reposez-vous sur les autres
Rassurez-vous, lorsque vous partez en vacances, le reste de votre équipe est là pour prendre le relais. Avant de partir en congés, faites le tri des tâches qui pourraient attendre votre retour et celles qui nécessitent qu’on vous remplace et organisez un meeting avec vos collègues pour les tenir informés de vos projets en cours. Pour leur faciliter la tâche, résumez le tout sur un document de passation avec toutes les informations qui vous paraissent importantes. Et surtout, montrez-vous également solidaire quand eux partiront en vacances, c’est donnant-donnant !
- Apprivoisez la culpabilité
Pas toujours facile de faire taire cette voix qui vous dit que vous n’en faites pas encore assez. Vous pouvez néanmoins apprivoiser ce sentiment. « On apprend à cohabiter sans trop de heurts avec la culpabilité. Puis, avec le temps, il faut la faire taire », commente Shanna Watkins. Elle continue à travailler dur, mais a désormais conscience que l’avenir de l’entreprise ne repose pas uniquement sur ses épaules. « Je ne peux pas y prendre du plaisir tout en me sentant coupable. Il faut savoir trancher. Et moi je veux kiffer, alors ciao la culpabilité, un point c’est tout. »
- Posez-vous les bonnes questions pour sauver votre peau !
Deux ans après ses débuts dans une start-up, la médecin de Flic Taylor l’a prise entre quatre yeux : « Elle m’a fait asseoir et m’a dit que je ne pouvais pas continuer comme ça, qu’elle se faisait du souci pour ma santé. » Flic avait été rattrapée par la fatigue physique, l’anxiété et le manque de confiance en elle. Creuser le sujet avec une amie lui a permis de comprendre à quel point elle était sur les rotules. « À la base, j’étais pleine d’optimisme et d’ambition. Je me suis demandé comment j’avais pu en arriver là. C’est à ce moment-là que j’ai posé ma démission. »
Flic savait que la culture d’entreprise n’allait pas changer et que son job ne méritait pas qu’elle sacrifie sa santé. Dix-huit mois plus tard, elle ne regrette pas d’avoir quitté le monde de la start-up. Après avoir pris le temps de souffler et de se remettre d’aplomb, elle s’est installée en indépendante. Elle est aujourd’hui rédactrice freelance et réalise un podcast dans lequel elle échange avec des femmes ayant rebondi après un burn out professionnel. « Je veux que les autres sachent qu’il ne sont pas seuls. On croit souvent que c’est facile pour les autres, mais en fait nous sommes tous humains. Et nous devons prendre soin de nous ! »
Article édité par Gabrielle Predko, traduction Sophie Lecocq, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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