Travail de nuit : quel impact sur la vie des travailleurs ?
18 déc. 2019
6min
Avant l’adoption de la loi PACTE, le travail de nuit recouvrait les missions effectuées entre 21h et 7h du matin. Depuis, la fourchette s’est rétrécie. Le travail de nuit ne concerne plus que les missions ayant lieu entre minuit et 5h du matin. Et d’après l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail), c’est le quotidien de 15,2% des travailleurs français.
Parmi les nombreux métiers pouvant être exercés la nuit, 5 professions ressortent majoritairement : les conducteurs de véhicules, les policiers ou les militaires, les infirmiers, les aides-soignants et les ouvriers. La différence entre les sexes est marquée. Les hommes sont nettement plus exposés au travail nocturne : un homme sur cinq occupe ce type d’emploi, contre moins de 10 % des femmes. Sentiment d’isolement social, fatigue chronique, contraintes physiques : la vie privée et la santé des travailleurs de la nuit peuvent être impactées par ce mode de vie. Faisons le point sur ce phénomène…
Travailler de nuit : ce que dit la loi
Le Code du travail encadre strictement le travail de nuit. Sans motif valable, un employeur ne peut pas contraindre ses employés à travailler de nuit. En effet, l’article L-3122-32 précise que le recours au travail de nuit doit absolument être « justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale. » Pour être considéré comme un travailleur de nuit, le salarié :
Doit avoir validé officiellement ce statut. L’employeur doit absolument avoir l’accord du salarié par lettre recommandée avec avis de réception. Le salarié dispose d’un délai d’un mois pour prendre sa décision et en faire part à son employeur. Un refus ne pourrait être un motif de licenciement.
Doit avoir accompli un nombre minimal d’heures de travail de nuit au cours d’une période de référence. Ce nombre et cette période sont déterminés par l’accord d’entreprise ou la convention collective. Toutefois, si ces derniers ne précisent rien, le Code du travail prévoit que le salarié est considéré comme un travailleur de nuit dès lors qu’il a accompli 270 heures de travail de nuit pendant 12 mois consécutifs.
Concernant le salaire du travailleur de nuit, il peut être majoré en fonction des accords prévus dans la convention collective. En général, les travailleurs de nuit sont payés 30% de plus que les travailleurs de jour. Attention : l’attribution d’une prime n’est pas systématique, les travailleurs de nuit doivent se renseigner sur ce point avant d’accepter un passage à des horaires de nuit. Aussi, dès lors qu’un employé réalise plus de 120 nuits par an, il peut bénéficier de “points pénibilité”. Ces derniers lui permettent de profiter d’heures de formation, de réductions du temps de travail ou d’un départ anticipé à la retraite.
Quels sont les avantages et les inconvénients ?
Si travailler de nuit peut effrayer de nombreuses personnes, d’autres cherchent à tout prix un travail qui leur permettra d’avoir des horaires nocturnes pour optimiser leurs activités en journée. Vie personnelle le jour, vie professionnelle la nuit. C’est étonnement un modèle que certains travailleurs affectionnent. Il faut pour cela être prêt à dormir peu et réussir à trouver un métier adapté. Parmi les avantages les plus souvent cités on retrouve :
- l’absence d’embouteillages,
- le salaire,
- plus de postes à pourvoir,
- l’attribution de jours de repos compensatoires,
- la possibilité d’avoir du temps libre durant la journée.
Loïc a 41 ans, il vit à Bordeaux et travaille la nuit en tant que gardien d’un entrepôt de logistique. Il explique que : « même si je sais que c’est certainement plus difficile qu’un rythme classique, je vois beaucoup d’avantages à travailler la nuit. Je peux profiter de mes enfants le matin quand je rentre du travail, ce que très peu d’actifs peuvent faire. Quand je me réveille, vers 15h30, je prépare le goûter et je vais récupérer mes enfants à l’école. C’est une autre vie, mais j’aime ce rythme. La différence de salaire a été l’élément déterminant dans ma décision de travailler la nuit. Avec quasiment 20% de salaire en plus, je sens la différence et c’est plus confortable pour ma famille. Par contre, j’ai conscience que ce job me coupe de tous mes amis et réduit ma vie sociale à néant, mais c’est mon choix de vie. »
« Avec quasiment 20% de salaire en plus, je sens la différence et c’est plus confortable pour ma famille. Par contre, j’ai conscience que ce job me coupe de tous mes amis et réduit ma vie sociale à néant… » Loïc, gardien d’un entrepôt de logistique
La déstabilisation de la vie sociale est en effet un des premiers problèmes cités par les travailleurs de nuit. Quand on dort la journée et qu’on travaille la nuit, il arrive que l’on rate des moments importants. Il est également difficile de construire une vie de famille quand on travaille en décalé avec son conjoint.
Elise travaille depuis 3 ans dans une discothèque à Rouen. Généralement, elle commence à 22h et termine entre 5h et 7h du matin, en fonction des soirées et du ménage qu’il faut effectuer en fin de service. Ce qu’elle aime, c’est l’impression d’être libre la journée : *« Je n’ai pas besoin de dormir beaucoup, j’ai bien conscience que c’est un avantage génial. Quand je commence ma journée de boulot, vers 21h, j’ai l’impression d’avoir profité d’une journée de congé juste avant. Généralement je dors dès que je rentre, entre 6h et 11h du matin et ça me suffit. J’ai conscience que c’est un rythme que je ne pourrai pas tenir toute ma vie, mais pour l’instant, ça me convient. Quand je me lève, j’ai encore toute la journée devant moi. Mes amis font à peu près tous le même métier que moi alors on a un rythme de vie assez similaire, ça aide. En revanche, je sais que je ne suis pas prête de me marier (rires)… Quand tu travailles la nuit, c’est plus compliqué de rencontrer le prince charmant. »
« Quand je commence ma journée de boulot, vers 21h, j’ai l’impression d’avoir profité d’une journée de congé juste avant. » Elise, salariée d’une discothèque
Quels sont les impacts sur la santé ?
Évidemment, le travail de nuit peut être néfaste pour la santé des travailleurs. C’est en partie ce qui justifie la différence des salaires et les jours de repos supplémentaires. Marie-Anne Gautier, médecin du travail à l’INRS pose son diagnostic : « à court terme, je considère qu’il y a peu d’effets néfastes pour ceux qui travaillent occasionnellement de nuit. En revanche, travailler régulièrement de nuit peut nuire à la santé. Ces salariés sont par exemple souvent sujets à des troubles du sommeil. Sur le long terme, de nombreuses études épidémiologiques montrent que le travail nocturne augmente chez certains sujets les risques de maladies cardiovasculaires, notamment en raison d’une mauvaise hygiène de vie. Les personnes travaillant la nuit ont tendance à moins bien manger, donc à prendre du poids, à fumer davantage et à moins faire d’activité physique. Ce rythme serait aussi à l’origine de l’apparition de cancer du sein, de la prostate ou du côlon. Enfin, il peut affecter certaines grossesses : retards de croissance du fœtus, augmentation des risques de fausses couches et de prématurité. »
Maxence est superviseur de trafic autoroutier dans le Nord de la France. Il doit s’assurer que le trafic est fluide et doit prévenir les usagers si un événement se produit sur la portion qu’il surveille. Son métier lui demande énormément de concentration. Il n’a pas le droit à l’erreur car la vie des personnes qui circulent sur l’autoroute au moment où il travaille en dépend. Il nous confie : « J’ai le sentiment que mon job m’a fait vieillir beaucoup plus vite. Je n’ai que 37 ans et j’ai déjà du ventre, des rides et des cheveux blancs. Je suis tombé plusieurs fois en dépression à cause de ça. Même si ma mission n’est pas très difficile en soi, je dois être à l’affût en permanence, m’assurer que le trafic est fluide, transmettre les bonnes informations en temps réel. Et tout ça, de nuit. C’est un métier épuisant. Malgré ça, je ne me vois pas faire autre chose, mon corps s’est habitué à travailler la nuit et je n’imagine pas changer mon rythme pour reprendre une activité de jour. »
« J’ai le sentiment que mon job m’a fait vieillir beaucoup plus vite. » Maxence, superviseur de trafic autoroutier
Pour Mégane, infirmière de nuit dans un grand hôpital parisien depuis 11 ans, c’est un véritable calvaire. Consciente que notre organisme n’est pas fait pour travailler la nuit, elle raconte : « Durant mes jours de repos, j’ai l’impression de me transformer en zombie. C’est difficile de trouver un rythme et je sens que mon corps s’abîme au fil des mois travaillés. Nos organismes se dérègle au fil des années et nos supérieurs ne s’en rendent même pas compte. Beaucoup considèrent qu’il y a moins de travail la nuit et que, par conséquent, ce rythme est plus confortable. C’est totalement faux. Des gens meurent aussi la nuit. Je sens que mon corps a du mal à suivre. »
« L’organisme se dérègle au fil des années et nos supérieurs ne s’en rendent même pas compte. » Mégane, infirmière de nuit à l’hôpital
Un bilan mitigé donc, du côté des travailleurs de nuit. Il faut savoir que le 11 avril 2019, les députés ont adopté la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). Ce texte assouplit notamment les modalités du travail de nuit pour les enseignes alimentaires. Le travail effectué avant minuit n’est plus considéré comme du travail de nuit, ce qui doit permettre aux magasins de rester ouverts plus tard. Une loi qui ne va pas réellement dans le sens des salariés…
Vous l’aurez compris : travailler de nuit peut être un véritable choix de vie, mais peut aussi être un rythme subi par le travailleur, faute de trouver d’autres missions. Même si le travail de nuit peut présenter quelques avantages en apparence, il est important d’avoir conscience des risques qu’il fait courir à votre santé. Si à court terme les effets semblent être mesurés, à long terme le travail de nuit peut avoir un réel impact sur la santé humaine. Ce constat soulève une véritable interrogation : à l’heure où nous cherchons à tout prix à donner du sens à notre quotidien, ne serait-il pas temps d’interroger sérieusement la place du travail dans nos vies, et nos nuits ?
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