« J’ai décidé de travailler moins et je le vis bien ! » Témoignages
04 août 2020
7min
Coordinateur éditorial de Welcome to the Jungle France.
Journaliste indépendante
Senior Editor - SOCIETY @ Welcome to the Jungle
Cet article a été initialement publié dans le magazine n°5 de Welcome to the Jungle, paru en mars 2020. Pour vous le procurer, rendez-vous sur notre e-shop
Parce qu’ils n’en pouvaient plus, voulaient casser les codes ou parce qu’il fallait bien tondre la pelouse et finir ce bouquin, des Français.es ont décidé de lever le pied. À temps partiel, en indépendant, partout en France, ils.elles retrouvent un rythme de vie que l’on pensait disparu. Ces témoignages ont été récuellis dans le monde d’avant, avant la propagation de la Covid-19. On peut parier qu’après avoir vécu le confinement, le chômage partiel, le télétravail généralisé… et toutes les conséquences de la crise liée à l’épidémie, ces témoignages vont inspirer…
10-15h par semaine : « Je prends le temps de m’inspirer, ça nourrit mes cours »
Mathilde, 26 ans, Professeure de yoga, Paris
C’est comme si j’avais tout inversé : ce n’est plus l’argent qui a le plus de valeur, mais le temps. Avant, j’étais cadre, en CDD. Je bossais 39h par semaine, je gagnais bien ma vie, mais je n’avais pas assez de temps. Je flambais tout pour faire le maximum de choses à côté du boulot. Quand on m’a proposé un CDI, ça a été le déclic : ça ne pouvait plus durer. J’ai refusé et suis partie me former au yoga en Inde. Depuis 3 ans, je suis indépendante et ne bosse que 10 à 15h par semaine. Je gagne moins qu’avant, mais c’est le prix à payer pour plus de temps libre : j’arpente les cafés, les bibliothèques, les magasins… Je m’inspire partout. Entre deux postures de l’enfant, je fais des rencontres, teste des recettes, lis, regarde des vidéos de danse africaine, écoute des podcasts, des playlists… ça nourrit mes cours de yoga, mais aussi mon esprit. Le vrai kiff, c’est de pouvoir aller à mon rythme. Surtout quand le ciné ou la piscine sont vides en pleine journée ! Le plus dur, c’est la solitude et la frustration liées à mes horaires atypiques : quand je bosse, mes potes sont dispos, et quand ils ne le sont pas, je le suis.
« Est-ce que je pourrais revenir à ma situation d’avant ? Non, j’ai vraiment l’impression d’avoir trouvé mon rythme naturel. » Mathilde
L’autre difficulté liée à ce choix de vie, c’est la variation de mon salaire chaque mois, puisque cela dépend du nombre d’heures que je fais. Je peux ne travailler que 3h par jour, mais elles doivent être rentables, avec une salle remplie. Si je tombe malade et travaille moins que prévu, je dois prévoir le coup en amont pour payer mon loyer.
Est-ce que je pourrais revenir à ma situation d’avant ? Non, j’ai vraiment l’impression d’avoir trouvé mon rythme naturel. Pour moi, c’est moins stressant et moins fatiguant de vivre ainsi. Je suis persuadée que c’est un mode de vie beaucoup plus durable : je pourrais continuer ainsi jusqu’à mes 80 ans !
Plus après 17h30 : « Quand les garçons sortent de l’école, je ne suis plus disponible »
Patrice, 36 ans, Co-fondateur du Paternel et de Remixt, Paris
Aujourd’hui, je ne suis pas père au foyer, je suis ‘dadpreneur’. Et je peux vous dire que mes prio de temps ne sont plus les mêmes ! Tout a commencé en 2008, quand j’ai co-fondé une boîte en sortant d’école de commerce. On pouvait passer des nuits entières au bureau pour rendre un projet à temps, et c’était ok. On était jeunes, on aimait ce qu’on faisait, on n’avait pas vraiment de vie à côté. En 2014, on a vendu la boîte, j’en suis devenu salarié et mon premier fils est né. Pendant son congé maternité, ma femme m’a fait comprendre qu’il fallait que je rentre à 19h pour prendre le relais (rires). Au bout de trois ans, avec un de mes associés on a décidé de relancer une boîte au moment où ma femme est de nouveau tombée enceinte. On est allés passer ce congé maternité à la campagne, en pensant que j’allais pouvoir bosser à distance sur ce projet de boîte. Sauf qu’avec deux enfants en bas âge, j’avais bien d’autres choses à faire ! J’ai donc tout mis de côté, jusqu’à septembre 2017. J’ai fait un article sur mon congé paternité, et il a cartonné. Avec mon associé, on a donc décidé de lancer Le Paternel, un média sur la parentalité, mais qui s’adresse aux pères ! Au fil du temps, je me suis mis à m’occuper de plus en plus de mes deux garçons. Je les récupère à 17h30, m’occupe d’eux jusqu’au coucher et leur consacre tout mon mercredi après-midi. Je travaille moins qu’avant en terme de temps et contrains mes horaires très fortement !
« Je crois que j’ai juste appris à prioriser. Et le fait d’être limité dans le temps rend nécessairement plus productif. » Patrice
Ne plus être disponible à partir de 17h30, c’est encore difficilement compréhensible et gérable aujourd’hui. Surtout qu’à un quart d’heure prêt, tout est galère, donc j’évite le moindre retard. Mais ça ne me stresse pas : je crois que j’ai juste appris à prioriser. Et le fait d’être limité dans le temps rend nécessairement plus productif ! Il me reste à assumer d’être moins “growing fast” que les autres. Dire que je travaille moins que les autres entrepreneurs n’est pas simple. Si je veux lever des fonds après cette interview par exemple, j’ai peur qu’on se dise que je ne suis pas à 100% (rires) ! Alors que le temps n’a rien à voir avec le résultat…
28h par semaine : « Être bénévole me permet d’être au plus proche du terrain »
Pianine, 32 ans, Chargée de projet et accompagnatrice administrative et financière, Nantes
Lorsque j’ai eu mon fils, l’association pour laquelle je travaille, CCFD Terre Solidaire, m’a proposé un nouveau poste pour marquer mon retour de congé maternité : je passais à 80%, pour un meilleur salaire. En fait, j’allais moins travailler, en gagnant plus ! J’ai évidemment accepté. Depuis, j’ai donc une journée de libre par semaine, et je choisis mon jour. Au départ, je prenais cette journée pour être bénévole pour l’association Cojob qui donne un coup de main et réénergise les demandeurs d’emploi lors de sessions collectives. J’avais beau déjà travailler dans une association sociale et d’entraide, cette expérience de bénévolat me permet d’être au plus près des personnes que l’on soutient. Mon boulot un peu administratif m’ennuie parfois, alors je compense avec cette action plus concrète et locale, qui a un vrai sens pour moi.
« Je considère que j’ai vraiment de la chance que mon salaire me permette de moins bosser et de me consacrer à une autre cause à côté. » Pianine
Dans mon poste salarié, le résultat met plus de temps à émerger, car la structure est plus vieille, il y a plus de strates hiérarchiques, on voit moins l’impact direct de nos actions. Dans l’asso où je suis bénévole, tout bouge vite, je noue de vrais liens au sein du tissu nantais et rencontre plein de monde. Je me fais un réseau pro mais aussi perso. Et puis, ça me donne de la reconnaissance facilement et directement.
En juin 2019, j’ai eu une petite fille : je suis toujours à 80%, mais j’ai donc fait le choix de m’occuper davantage de mes deux enfants durant ma journée hors du bureau. J’accorde toujours du temps à Cojob, à hauteur de deux heures par semaine en moyenne, et d’une journée tous les quinze jours tant qu’il me reste des jours de congé à poser ! Je considère que j’ai vraiment de la chance que mon salaire me permette de moins bosser et de me consacrer à une autre cause à côté.
20h par semaine : « Je ne fais rien d’utile : je dors ou je joue à la console »
Albert, 37 ans, Docteur en neurosciences et psychologue, Paris
J’ai toujours eu un problème avec le format temps plein. Du coup, je me suis toujours débrouillé pour me libérer 1h ou un jour par-ci par-là. En faisant ainsi, j’ai progressivement réduit mon temps de travail, jusqu’à ne travailler que 20h par semaine en quittant l’hôpital pour devenir indépendant. Je voulais voir en quoi ce nouveau rythme de travail allait impacter ma productivité, mon apprentissage, mon sommeil, ma relation aux autres… et si j’allais pouvoir plus jouer à la console !
J’ai vite remarqué que j’étais tout autant productif en travaillant moins, que je me sentais moins débordé et plus apte à faire un tas d’autres choses à côté, telles que lire un livre hyper intéressant, ou même apprendre à crocheter une serrure (mon rêve depuis que je suis gamin !). Je voulais faire autre chose que le sempiternel : bosser, boire un verre, manger, dormir. Je ne remplace pas pour autant mon temps hors du travail par quelque chose d’utile, j’ai juste envie de m’occuper différemment. J’ai inversé mon échelle de valeur, et ne rien faire me paraît parfois infiniment plus important que de faire quelque chose d’utile.
« J’ai inversé mon échelle de valeur, et ne rien faire me paraît parfois infiniment plus important que de faire quelque chose d’utile. » Albert
Avant, je cherchais sans cesse à m’améliorer, à optimiser mon temps et ma productivité pour devenir la meilleure version de moi-même au travail. Désormais, je veux juste faire de mon mieux, sans me tuer à la tâche. Je continue à recevoir des patients un jour par semaine, je suis prof à la fac 3h par semaine et je donne des conférences, j’écris pour l’Express… Si un jour je passe 5h dans un train pour me rendre à un évènement, soit. Et si le lendemain, je peux dormir jusqu’à 17h, tant mieux ! Je n’ai plus aucun jugement sur le temps, et ne me questionne plus à son sujet : je suis comme un agnostique de la vie.
15-20h par semaine : « Je vis des moments plus intenses »
Nicolas, 49 ans, Animateur TV en reconversion, Biarritz
J’ai fait de la télé plus ou moins intensément pendant 23 ans. Le rythme est assez particulier. Tu prépares ton émission puis tu l’enregistres l’après-midi, donc en soi tu ne rentres jamais très tard chez toi. 16, 17h peut-être ? En revanche, il faut sortir, aller à des dîners, se faire voir, networker… Tous ces petits à-côtés qui font que tu restes complètement dans le travail, sans vraiment le réaliser. Le fait est que tu ne profites pas de ton temps libre, tu as cette charge mentale permanente. D’autant plus que depuis trois ans, j’avais de plus en plus de mal à me retrouver dans ce que je faisais. À mon âge, le métier devient compliqué. On t’appelle moins. Et puis, ça pousse derrière, les jeunes ont plus envie que toi. Alors j’ai décidé de partir de Paris, et de quitter progressivement le monde de la TV.
« Je surfe trois fois par semaine, je bricole dans ma nouvelle maison […] Le stress de savoir si mon émission allait continuer ou pas a complètement disparu. » Nicolas
Là, je garde des mini-projets auxquels j’accorde très peu de temps, et je réfléchis à monter une affaire dans le commerce de bouche. Je suis parti vers Biarritz, une région où j’avais des attaches, et j’ai décidé de kiffer un maximum. Je surfe trois fois par semaine, je bricole dans ma nouvelle maison, je me balade en pleine nature… Le stress de savoir si mon émission allait continuer ou pas a complètement disparu. Je travaille moins, mais surtout, je profite davantage de mes moments libres. Parce que tout est prêt ici. Tout est simple. Tu fais deux minutes de scooter, t’as la mer. Tu fais 30 minutes de voiture, t’as l’Espagne. Les moments sont plus intenses. J’ai retrouvé une certaine liberté. Et des plaisirs simples comme planter des légumes, avoir les pieds dans le sable ou tondre la pelouse.
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Photos by Dorian Prost pour WTTJ
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