« Attention, le full-remote n'a rien à voir avec le télétravail en confinement »
26 juin 2020
5min
Journaliste indépendante
Je m’appelle Julien et je suis responsable social média en full-remote dans une start-up parisienne. À trente ans, on peut dire que j’ai trouvé l’équilibre, le vrai : depuis trois ans, après le travail, je vais courir au bord de l’océan, à Hossegor, là où je vis. Je préfère la nature au bitume, l’autonomie au présentéisme. Depuis le début de la crise sanitaire, j’ai l’impression que beaucoup d’actifs s’imaginent que le fait de passer en télétravail total s’apparentera aux quelques semaines de travail passées à la maison durant le confinement. Pourtant, je peux affirmer que le full-remote n’a rien à voir avec le télétravail exceptionnel : j’en mettrais ma main à couper !
Télétravail à volonté : la totale liberté
Reprenons depuis le début. Il y a trois ans, quand j’ai pris mes fonctions dans ma boîte actuelle, je n’avais plus envie d’habiter à Paris, où mon métier est plus courant. Quand j’ai suggéré à mon nouvel employeur de partir sur du salariat intégralement à distance pour pouvoir quitter la capitale, il a accepté. Mais honnêtement, il n’y croyait pas vraiment. Quatre ans après, je suis toujours là. Et lui aussi ! Au-delà de l’envie de bosser dans un cadre idyllique, j’avais envie que mon travail soit jugé au résultat et non au temps passé sur mes missions. Je ne comprends pas le principe du présentéisme. Selon moi, je dois pouvoir être libre d’organiser mon temps, sans forcément être de 9h à 18h assis devant mon ordinateur. Et bien que j’adopte des horaires de bureau classiques dans l’ensemble pour m’adapter à mes collègues parisiens, je constate un vrai gain de temps au quotidien. Je peux faire des pauses un peu plus longues selon ma charge de travail, faire des choses depuis chez moi en parallèle de mon travail…
Aller à la Poste ? Faire une machine ? Ouvrir à un livreur ? C’est facile. Maintenant que je l’ai vécu, ça me paraîtrait aberrant de ne pas pouvoir avoir cette liberté de nouveau. Pour moi, ça va devenir la norme. Tout ça pour dire qu’en temps normal, je trouve vraiment mon compte dans cet équilibre. Ce qui est plutôt cool, c’est que cette liberté de télétravailler s’est même étendue au reste de l’équipe, puisque les salariés qui sont à Paris ont aussi un “budget coworking” s’ils le souhaitent ! Ils n’ont pas besoin de motif spécifique : ils peuvent y aller pour changer d’environnement, travailler plus proche de chez eux… J’en suis ravi, car je crois en ce choix professionnel et sociétal. J’aime le vivre mais aussi le défendre, notamment en faisant des interventions sur ce sujet à Hossegor. Même au sein de ma boîte, avec les autres employés en full remote, nous sommes en train de monter un workshop sur le sujet “comment gérer le 100% télétravail”. C’est selon moi plus que nécessaire de communiquer de manière transparente sur la question pour apprendre aux autres à bien gérer ce mode de travail.
Dérapages
Manque de préparation et panique à bord
Pourtant, pendant le confinement, je n’ai pas très bien vécu le full-remote. La vraie difficulté propre à cette situation exceptionnelle, a été de bosser avec 90% de mes collègues qui n’en avaient jamais fait. Au début du confinement, ils me disaient tous : « Ah ça doit être trop cool pour toi, c’est plus facile maintenant que tout le monde est dans ton cas ». Au final, je me suis retrouvé en réunion la plupart du temps, face à quatre-vingt-dix personnes perdues. Il faut dire que pour beaucoup, se motiver à travailler à distance n’était pas automatique. Et puis il peut être difficile de communiquer sans arrêt par écrit. Puis rapidement, beaucoup de mes collègues sont partis se confiner loin de Paris et j’ai pu constater un vrai manque de préparation au niveau des conditions matérielles (une mauvaise ligne Internet, par exemple), au-delà des conditions psychologiques. Il a fallu attendre quelques semaines avant que tout le monde soit plus ou moins calé.
J’ai pu constater un vrai manque de préparation au niveau des conditions matérielles (une mauvaise ligne Internet, par exemple), au-delà des conditions psychologiques
L’équilibre vie pro/vie perso brisé
Le contexte était anxiogène pour tout le monde, et encore plus pour ceux qui n’avaient pas fait le choix d’être en télétravail total, contrairement à moi. Par exemple, certains avaient une double responsabilité : professionnelle et parentale. Cela fait partie des problématiques que la plupart des personnes n’auraient pas eu en temps normal en full-remote. Me concernant, je me suis retrouvé à travailler uniquement de chez moi. Fini, le coworking ! J’avais déjà parfois du mal à délimiter le pro du perso avant la crise du Covid-19 et cette porosité s’est exacerbée avec le confinement ! Notre vie s’articulait autour des heures passées devant notre écran. C’était très dur d’avoir un quotidien sain, alors que c’est justement ce qu’on recherche lorsqu’on passe en remote, hors-crise. Je ne pouvais même plus compter sur le coworking pour m’aider à faire la scission vie pro / vie perso. Et étant confiné avec ma copine, nous avions le sentiment de ne pas avoir assez d’espace pour travailler calmement, surtout lorsque nous devions passer des appels. C’est un peu comme si on envahissait son espace personnel, avec notre vie professionnelle. La solitude aussi a été lourde à porter pour un grand nombre, alors qu’en 100% télétravail, toujours hors-confinement, il suffit de s’organiser pour garder du lien social : on peut rencontrer d’autres remotes ou des freelances, aller voir des amis, etc.
Choisir, c’est se préparer
Selon moi, la différence entre le remote “en temps normal” se choisit et s’organise, tandis que le télétravail et en temps de crise a été plutôt soudain et donc subi. Dans l’idéal, les salariés choisissent délibérément de passer en full-remote, et l’entreprise les accompagne. C’est notamment primordial que la boîte ait la culture du remote, pour bien s’organiser. Par exemple, dans mon entreprise, certains d’entre nous sommes habitués aux réunions à distance, nous avons aussi l’habitude de communiquer en interne par écrit, sur des outils tels que Slack (messagerie interne professionnelle, ndlr). Ça nous a aidés à garder le lien en ayant aussi des conversations informelles. À côté de ça, de nombreuses boîtes n’ont jamais utilisé de tels outils et se sont toujours limitées aux mails et aux appels téléphoniques. En d’autres mots, elles n’étaient pas prêtes au 100% télétravail ! Il leur manquait à la fois cette culture remote, et cette culture digitale. Et encore, ma boîte est assez ouverte sur le sujet, et ça n’a pas toujours été simple pour autant.
Avant de se lancer, lorsqu’on a le choix et que ça n’est pas imposé, il faut se préparer à la fois psychologiquement et matériellement en amont, en réfléchissant aux raisons d’adopter un tel fonctionnement, à la manière de le faire, où, quand, etc. Par exemple j’ai dû me poser les questions suivantes : Est-ce que je saurais m’organiser ? Ne vais-je pas manquer de lien social ? Suis-je capable de m’auto-discipliner ? Ces questions n’ont pas été posées avant le confinement puisqu’il nous a tous pris de court. Mais si l’on veut définitivement télétravailler, il faut bien les préparer pour que ça marche.
En amont, il faut réfléchir aux raisons d’adopter un tel fonctionnement, à la manière de le faire, où, quand, etc.
Paradoxalement, je suis étonné devant les nombreuses prises de consciences. De plus en plus de gens m’ont compris, ont compris l’intérêt du “truc”. Malgré ce contexte exceptionnel, le confinement a permis aux entreprises de progresser même celles qui n’y croyaient pas… Donc malgré les barrières au premier abord, il y a des côtés positifs et l’expérience a été globalement positive pour plein de gens au final. Tout n’est pas à jeter dans tout ce qu’on a inventé pendant le confinement ! Par exemple, j’ai parfois ressenti un peu plus de lien social que d’habitude, comme pendant les afterworks sur Zoom. Je pense qu’on devrait garder ce genre d’initiative, surtout pour ceux qui sont en remote habituellement.
Que l’expérience du télétravail forcé ait été positive ou négative, il serait dangereux d’idéaliser ou au contraire de condamner le full-remote, qui est bien différent. Alors, si vous souhaitez passer le cap, vous pouvez vous assurer en amont que ce modèle pourrait vous convenir, d’abord en le distinguant de votre quotidien de travailleur confiné, et aussi en s’y préparant avec l’aide de votre employeur.
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Photo d’illustration by WTTJ
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