Sexisme : pourquoi nier le problème, c’est le renforcer !
17 juil. 2020
3min
Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes
NOUS SOMMES TOUS BIAISES - C’est un fait : nous sommes tou·te·s victimes des biais cognitifs. Vous savez ces raccourcis de pensée de notre cerveau, faussement logiques, qui nous induisent en erreur dans nos décisions quotidiennes, et notamment au travail. Dans cette série, notre experte du Lab Laetitia Vitaud identifie les biais à l’oeuvre afin de mieux comprendre comment ils affectent votre manière de travailler, recruter, manager… et vous livre ses précieux conseils pour y remédier.
Les biais de genre sont multiples. Il s’agit de tous les biais cognitifs (notre liste est déjà longue) qui nous font préférer les hommes au pouvoir — à la tête des grandes entreprises, aux plus hauts postes de l’Etat ou en position d’expert. On ne compte que 3 femmes sur 120 dirigeants dans les plus grandes entreprises françaises. Pendant la période de la crise du Covid, les « expert.e.s » interrogé.e.s dans les médias ont été à 80% des hommes, selon l’INA.
En France, des lois récentes obligent les entreprises à mesurer et révéler les chiffres sur les inégalités entre hommes et femmes. Face à des chiffres parfois désespérants, il semble difficile de nier que les femmes sont victimes de discriminations importantes, en termes de salaires, promotions et probabilités d’embauche. Pourtant, quand on parle des biais de genre à certain.e.s managers, on rencontre souvent des personnes qui nient l’existence des biais dans leur organisation. « Chez nous, les hommes et les femmes sont traités pareillement. Il n’y a pas de problème. » « Moi, je ne suis pas sexiste, donc passons à un autre sujet. » « En tant que parent, j’élève mon fils et ma fille de la même manière, donc je fais ma part. » Etc.
Or une étude édifiante parue en juin 2020 dans Sciences Advances révèle que les biais de genre sont perpétués précisément par ceux qui les nient !
Explication
L’étude publiée par des chercheurs/chercheuses de l’Université d’Exeter et Skidmore College montre, chiffres et enquête à l’appui, que les biais sont plus forts parmi celles/ceux qui les nient. « Ceux qui pensent qu’il n’y a pas de biais dans leur organisation ou leur discipline sont les moteurs principaux de ces biais — un groupe à ‘haut risque’ composé d’hommes et de femmes que l’on peut aisément identifier » expliquent les auteur.e.s de l’article.
Dans les organisations qu’on pourrait penser plus égalitaires, où la représentation féminine a (un peu) avancé, il est fréquent que les dirigeant.e.s tombent dans le déni et affirment que les biais et différences de traitement n’existent plus. Cela cause un ralentissement des progrès futurs, voire provoque une régression.
Les progrès en matière d’égalité, de diversité et d’inclusion ne sont en rien linéaires et inéluctables. Ils sont le plus souvent le fruit de ruptures historiques et de mesures contraignantes.
Conséquences pour les ressources humaines
En France, plusieurs lois ont marqué une « rupture » en matière d’égalité entre hommes et femmes en entreprise. La loi dite « Copé-Zimmermann » de 2011 prévoit que les conseils d’administration des entreprises moyennes ou grandes soient composés en « recherchant une représentation équilibrée des femmes et des hommes ». Plus récemment, l’index de l’égalité professionnelle femmes hommes a obligé à mettre en place de nouveaux indicateurs pour lever le voile sur les inégalités en entreprise.
Pourtant, l’écart de revenus entre femmes et hommes s’élève toujours à 25%… et 37% au moment du départ à la retraite. La réduction de ces inégalités et la diversification des ressources humaines est perçue comme un puissant levier de performance pour les entreprises. Les entreprises qui ont plus de diversité sont plus performantes du point de vue financier (d’après une célèbre étude du cabinet McKinsey, “Why Diversity Matters”, les entreprises égalitaires sont 35% plus performantes).
Nier l’existence de biais est non seulement un frein à la performance, mais dégrade considérablement la marque employeur. Il empêche aussi les victimes de discrimination ou de harcèlement d’en parler au département RH, si bien que les dirigeant.e.s en question ont d’autant moins l’impression qu’il y a un problème…
Comment y remédier ?
La seule prise de conscience est en général insuffisante, à cause du biais de compensation morale : « les entreprises qui parlent le plus de méritocratie sont souvent les moins méritocratiques. »
Les programmes de sensibilisation aux biais peuvent néanmoins être vus comme un point de départ, à condition, comme le souligne l’économiste Iris Bohnet dans son livre What Works: Gender Equality by Design (voir notre article « must-read »), de développer l’empathie des participant.e.s. « Les programmes de réduction des biais marchent quand on invite les participant.e.s à se mettre dans la peau des victimes de discriminations. »
Inspirez-vous davantage sur : Laetitia Vitaud
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