Carrière et parentalité : le soutien précieux des grands-parents

Publié dans Family Friendly

21 mars 2022

7min

Carrière et parentalité : le soutien précieux des grands-parents
auteur.e
Pauline RochartExpert du Lab

Consultante, conférencière et formatrice sur le futur du travail, spécialiste de l’égalité professionnelle, des aspirations des jeunes générations et de la transition écologique

FAMILY FRIENDLY - Vous l’avez entendu plus d’une fois, peut être même avez vous déjà prononcé cette phrase malheureuse : “On ne mélange pas pro et perso.” Mais difficile (vous en conviendrez) de mettre en mute sa vie privée simplement parce qu’on passe la porte de l’entreprise. La charge mentale qu’implique un ou plusieurs enfants, ou encore un proche en situation de dépendance ou de handicap a forcément des impacts sur la vie, tout court. Dans cette série, notre experte du Lab Pauline Rochart revient sur les nombreux enjeux de l’accompagnement de la parentalité, pour des entreprises (enfin) family friendly.

Petite, je n’ai pas été gardée par mes grands-parents. Trop âgés, trop éloignés géographiquement… Pour tout un tas de raisons, je n’ai pas eu cette chance. Récemment, j’ai réalisé que l’intégralité de mes ami·es d’enfance avaient, eux / elles, passé leurs mercredis lové·es chez papi et mamie. Je ne m’étais jamais vraiment intéressée à cette question de la solidarité intergénérationnelle jusqu’à ce que je devienne moi-même mère. En étant parent, vous réalisez vite qu’il y a deux équipes dans ce bas-monde : ceux / celles qui habitent à proximité des grands-parents, et ceux / celles qui n’ont pas ce relais familial. Et croyez-moi, cela fait une sacrée différence ! Problème de transport, casse-tête des vacances scolaires, gastro surprise… Dans bien des circonstances, le soutien des grands-parents se révèle extrêmement précieux, surtout quand il s’agit de concilier votre rôle de parent avec - soyons fous - un travail.

Pouvoir travailler et… souffler

Ma collègue Marion a eu son premier enfant en 2013. À l’époque, elle était consultante et son job lui prenait beaucoup de temps. Mais elle bénéficiait d’un atout de taille : à la moindre contrainte professionnelle, elle savait qu’elle pouvait compter sur sa mère. « Une réunion tardive, un déplacement en semaine, un événement client qui commençait à 8h… Je n’ai jamais dû dire non à une demande du boulot, car je savais que j’avais une solution de repli », explique-t-elle.
Marion est consciente de sa chance. Pendant près de 10 ans, Anne, sa mère, l’a épaulée pour lui permettre de concilier carrière et vie de famille. Aujourd’hui, environ 70% des enfants de moins de 6 ans sont gardés occasionnellement par leurs grands-parents. Ces derniers sont souvent sollicités en complément du mode de garde traditionnel et apportent un soutien en cas de besoin ponctuel ou pendant les vacances scolaires. Mais, près d’un enfant sur quatre est gardé au moins une fois par semaine par ses grands-parents.

Le goûter du mercredi chez mamie est donc loin d’avoir disparu ! Je dis « mamie », parce qu’il est intéressant d’observer que les lignées paternelles et maternelles ne sont pas investies de la même manière. Dans la majorité des cas (58%), les enfants sont pris en charge par les grands-parents maternels et le plus souvent ce sont les grands-mères qui jouent un rôle clé. « La division genrée du travail domestique traverse donc les générations », souligne le sociologue Morgan Kitzmann. Marion confirme : « Mon père a une super relation avec les petits, mais si on est honnête, il est là pour les trucs drôles, pour les loisirs ou quand il s’agit de faire la bagarre avant d’aller se coucher. Pour la logistique, les bains, les devoirs, c’est ma mère qui gère. »

Pour Marion, aujourd’hui mère de deux enfants de 9 et 4 ans, l’aide de sa mère a été décisive. « Sans elle, je me serais cramée », confie-t-elle. Son conjoint aussi en a profité : s’ils ont pu tous les deux s’investir autant dans leur travail, c’est parce qu’ils savaient qu’ils pouvaient compter sur le soutien infaillible d’Anne. Et pourtant, Marion n’est pas une workaholic - contraction de work (travail) et alcoholic (alcoolique) qui équivaut à un bourreau de travail. « On ne parle pas de rentrer à 20h tous les soirs ! Mais simplement de concilier des horaires de bureau avec une vie de famille et de pouvoir souffler de temps en temps », confie-t-elle. Souffler… Il est là, le mot-clé.

Personnellement, ma mère et mes beaux-parents habitent à 300 km de chez nous. Cela signifie concrètement qu’on ne peut pas improviser un pot après le travail, que le planning de la semaine est réglé à la minute près et que la dernière sortie ciné en couple remonte à… bien avant l’accouchement. Alors oui, on pourrait prévoir un budget hebdo de 50 euros en baby-sitting. Mais non. Quand on réalise que nos enfants sont gardés en moyenne 50h par semaine parce qu’on travaille de 9h à 18h, croyez-moi, le sentiment de culpabilité pointe régulièrement. Et accessoirement, on n’est pas Crésus. Pour Marion, c’est différent : « Quand je laisse mes enfants à mes parents, je ne culpabilise pas, ils restent dans le cocon familial. Et surtout, il n’y a qu’auprès d’eux que je peux me délester complètement de la charge mentale, je suis en totale confiance. » Le soutien des grands-parents n’est pas simplement un relais « logistique », c’est aussi un confort psychique.

Des grands-parents demandés et demandeurs

Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il y a quelque chose qui déconne dans nos modes de vie modernes. Historiquement, « le soin des enfants a toujours été l’affaire d’une communauté élargie, faite de transactions entre générations et groupes sociaux », comme le rappelle l’historien Guillaume Lachanal dans cette chronique, « Sans vieux, no future ! ». Une fois qu’on devient parent, on réalise vite que le modèle de la famille nucléaire vivant en appartement, qui dépose les enfants chez les grands-parents deux semaines par an, n’est pas soutenable. Je ne dis pas que les grands-parents doivent être corvéables à merci - ils ont leur vie - mais je constate qu’élever ses enfants en bénéficiant du soutien de la « parenté élargie » rend le quotidien incontestablement plus doux. Cela crée aussi une relation d’attachement incomparable entre les générations.

Et je ne suis pas la seule à le penser ! Depuis le début du Covid, on a beaucoup glosé sur ces Parisiens qui quittent l’Île-de-France pour s’installer en province. Mais il me semble qu’une donnée a été largement tue dans ce débat : le fait de vouloir se rapprocher géographiquement des grands-parents. « Dix couples d’ami·es ont quitté l’Île-de-France récemment, tous l’ont fait pour se rapprocher de leurs parents ou de leurs beaux-parents. Ils ne sont pas allés s’installer à Aix-en-Provence parce qu’il fait beau, mais parce qu’il y a pépé ! », me soufflait récemment une cliente. L’essor du télétravail et l’étroitesse des logements ne sont pas les seules raisons qui poussent les métropolitains à déménager. La parentalité vous fait revoir vos priorités. Comme tout Francilien qui se respecte, mon conjoint et moi avons passé des heures à nous projeter dans les villes à la mode : Nantes, Bordeaux, Marseille… Depuis que nous sommes devenus parents, on cherche à remonter du côté de Dunkerque, et ce n’est pas pour le climat, vous vous en doutez.

Anne est devenue grand-mère à 52 ans (en France, on devient grand-mère en moyenne à 54 ans et grand-père à 56 ans). À l’époque, elle était responsable paie dans la grande distribution et dirigeait un service de 12 personnes. À la naissance de sa petite-fille, elle a tout de suite averti son employeur que sa famille passerait en priorité. Elle refusait les réunions en fin de journée, quitte à se reconnecter régulièrement le soir pour terminer son travail. « Mon chef a toujours été compréhensif puisque le travail était fait en temps et en heure. Je m’organisais juste différemment », explique Anne. Si elle s’est tant impliquée dans son rôle de grand-mère, c’est qu’elle a conscience de la difficulté de concilier parentalité et carrière : « Si je n’avais pas fait cela, Marion aurait dû faire comme moi quand j’ai eu mes enfants : j’ai pris un temps partiel pendant leurs trois premières années de maternelle. » En effet, une femme sur deux en moyenne réduit temporairement son activité professionnelle à l’arrivée d’un enfant (contre un homme sur neuf).

Juliette, responsable RH dans une grande entreprise, me confirme cette tendance : de plus en plus de salarié·es souhaitent trouver du temps pour s’occuper de leurs petits-enfants. « Avant, il n’y avait que les parents qui se battaient pour poser les vacances scolaires. Aujourd’hui, il faut compter aussi avec les grands-parents ! », observe-t-elle. Les salarié·es de plus de 55 ans sont de plus en plus nombreux, et la tendance va croissant. D’après l’INSEE, les actifs de plus de 55 ans seront 6 millions en 2030, soit deux fois plus que les 15-24 ans ! Et ces dernier·es souhaitent, aussi, pouvoir concilier vie professionnelle et engagement familial…

La solidarité intergénérationnelle pour une meilleure conciliation vie pro/perso

Pour Isabelle, grand-mère et ancienne salariée dans la banque, cela ne fait pas de doute : « Le temps consacré aux enfants doit être davantage partagé entre les générations, et c’est tout le système qui doit bouger ! ». Isabelle a terminé sa carrière à de hautes responsabilités, ex-secrétaire générale du Crédit Mutuel de Bretagne, elle pense que ce sujet est proche de celui de l’aidance. « À 50 ans, quand tu es encore en poste, tu te retrouves à devoir gérer deux sujets en même temps : tes propres parents dont la santé faiblit et tes enfants qui ont besoin de ton aide ponctuellement. Pour moi, les entreprises doivent prendre en compte cette réalité, c’est un vrai sujet de RSE », estime-t-elle.

Et concrètement, que peuvent faire les entreprises ? En France, il n’existe aucune disposition particulière dans le Code du travail en faveur des grands-parents. Chez nos voisins britanniques, il a été question d’étendre le « congé parental partagé » aux grands-parents, mais la réforme a finalement été abandonnée. Mais, à la faveur du COVID, les entreprises ont pris conscience qu’une partie des salarié·es avaient sacrifié leur emploi ou pris des congés pour aider leurs familles à s’occuper des enfants. Afin de retenir ses salarié·es expérimenté·es, une compagnie d’assurance propose désormais une semaine de congés payés pour la naissance d’un petit-enfant. En 2010, le groupe français Rhodia avait également communiqué sur l’instauration d’un « congé grand-parental ». En vérité, il s’agissait d’octroyer aux salarié·es de plus de 50 ans - grands-parents ou non - un temps partiel de 80% en contrepartie d’un allongement de la durée de leur carrière. Pour Isabelle, le recours au temps partiel n’est pas forcément la bonne idée : « En entreprise, c’est précisément autour de 50 ans que tu as l’opportunité de prendre des responsabilités ou des fonctions exécutives ; plutôt qu’un temps partiel, un stock de jours flottants me semblerait plus utile ».

Pouvoir se rendre disponibles au retour de la maternité ou garder ponctuellement les enfants malades, c’est de cela dont auraient besoin les grands-parents. Les salarié·es qui ne bénéficient pas de nombreux RTT se retrouvent souvent obligé·es de poser des congés pour pouvoir aider leurs familles. Ainsi, voici quelques mesures qui pourraient faciliter le quotidien des salarié·es grands-parents :

  • Disposer de jours de congés payés « accueil naissance »
  • Bénéficier de jours « petits-enfants malades »
  • Faciliter la prise de congés pendant les vacances scolaires
  • Pouvoir prétendre à des places en crèche d’entreprise

Le vieillissement de la population active est un vrai défi pour les entreprises. Si « l’aidance » est un sujet de plus en plus pris en compte dans les politiques RH, celui de la « grand-parentalité » est pour le moment complètement en friche. À titre personnel, je me dis régulièrement que la réduction du temps de travail devrait être l’ambition générale pour nous permettre la fameuse « conciliation des temps de vie ». Mais en attendant, si on se concentre sur le monde tel qu’il est, l’entreprise dispose de leviers pour permettre aux salarié·es de se rendre disponibles pour leurs proches. La solidarité intergénérationnelle en est un.

Article édité par Mélissa Darré. Photo par Thomas Decamps
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