RH Secret Stories : « Le jour où j'ai raté un licenciement... »
18 févr. 2025
7min
Dossier insuffisant, annonce maladroite ou bad buzz sur LinkedIn... Même les professionnels les plus aguerris ne sont pas à l'abri d'une erreur aux conséquences fâcheuses. Témoignages.
Selon une étude du ministère de la Justice de 2022, près de 68 % des contentieux aux Prud’hommes concernent des contestations de licenciement, révélant l’ampleur des désaccords autour de ces ruptures de contrat. Si la théorie est claire -respecter le Code du travail, suivre scrupuleusement la procédure, constituer un dossier solide…- la pratique s’avère souvent plus complexe. Un licenciement peut, en effet, rapidement déraper : dossier trop léger qui ne tient pas devant les juges, procédure mal ficelée qui fragilise toute la démarche, ou encore communication maladroite qui transforme une situation déjà tendue en véritable poudrière sociale.
Et les conséquences ne sont pas négligeables, tant par les batailles juridiques engagées qu’à travers la remise en question des pratiques professionnelles des équipes RH concernées. Que faire quand on réalise, trop tard, que l’on a raté un licenciement ? Comment gérer l’après-coup et en tirer les leçons pour l’avenir ? Trois professionnels ont accepté de nous partager ces moments où la réalité les a rattrapés, dévoilant les dessous d’une procédure qui peut parfois échapper à tout contrôle. Mieux encore, Florence Marty, directrice des ressources humaines et de l’innovation sociale chez Social Direct, et auteure d’Entreprises : 7 leviers pour renforcer votre pouvoir d’attraction (Editions Eyrolles, 2022), nous livre ses conseils pour éviter de tomber dans ce piège.
« On pensait avoir tout fait dans les règles »
Quand Louise (1), responsable des ressources humaines dans une PME, reçoit l’appel de son service juridique, elle comprend tout de suite que quelque chose ne va pas. Son entreprise vient de perdre aux Prud’hommes face à un salarié licencié pour faute grave. En cause ? Un dossier insuffisamment étayé. « On s’est fait démolir », confie-t-elle aujourd’hui. Le salarié en question est en poste depuis plusieurs années. Son travail est correct, mais il accumule des comportements inappropriés : remarques déplacées, tensions avec certains collègues, manque d’implication sur certains projets… Pas de motifs assez graves pour déclencher une sanction immédiate, mais des actes qui constituent néanmoins un malaise grandissant au sein de l’équipe.
Mais un jour, un différend éclate en réunion au point que le ton monte. La direction estime alors qu’il faut agir vite. « L’ambiance devenait pesante, on a eu peur que la situation se dégrade davantage », explique Louise. Pour éviter un climat délétère, l’entreprise enclenche une procédure pour faute grave : « À nos yeux, il était évident qu’il ne pouvait plus rester. On voulait couper court. » Néanmoins, lors de la contestation aux Prud’hommes, le verdict est sans appel : l’entreprise n’a pas apporté la preuve d’une faute suffisamment grave pour justifier un licenciement immédiat : « On nous a reproché d’avoir agi dans l’urgence, sans construire un dossier disciplinaire en amont. » Le salarié est donc indemnisé lourdement.
L’œil de l’experte
La première erreur ici a été de confondre ressenti et réalité. « Le licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse. Il ne suffit pas de percevoir un comportement problématique, encore faut-il pouvoir l’attester avec des éléments concrets », insiste Florence Marty. Pour être valide, la cause du licenciement doit être objective, factuelle et vérifiable : il faut documenter chaque incident. « L’un des plus gros écueils, c’est l’absence de traces écrites », poursuit l’experte. Témoignages oraux, souvenirs d’échanges informels ou sentiment général dans l’équipe n’ont aucune valeur juridique. L’historique doit refléter une démarche progressive d’alerte et d’accompagnement avant d’aboutir à une sanction, avec des avertissements, des comptes rendus d’entretiens, des rapports d’incident…
Ensuite, respecter scrupuleusement la procédure est indispensable. « Il faut impérativement laisser deux jours francs entre l’entretien préalable et la décision finale. Une précipitation administrative suffit à faire tomber une procédure », clarifie Florence Marty. Autre piège à éviter : la sanction informelle avant la procédure. Un mail de reproche peut être interprété comme un avertissement, et selon le principe du non bis in idem, il devient alors interdit de sanctionner une seconde fois pour les mêmes faits. Enfin, si l’entreprise invoque une faute grave, elle doit réagir immédiatement. L’experte insiste : « Un salarié licencié pour faute grave ne peut, par définition, pas rester dans l’entreprise une minute de plus. Ne pas acter une mise à pied conservatoire peut semer le doute sur la gravité réelle des faits. »
« On a géré ce licenciement comme un non-événement, et ça nous a explosé à la figure »
Lorsqu’il repense à cette affaire, Karim (1) ressent encore un pincement au ventre. À l’époque, il est DRH d’une jeune entreprise en pleine expansion, avec une équipe en constante évolution. Les recrutements s’enchaînent, et parfois, certains profils ne font pas l’affaire. C’est le cas de Léo (1), un commercial recruté six mois plus tôt, dont les résultats ne suivent pas. Il peine à atteindre ses objectifs, cumule des retards sur ses dossiers, ses rendez-vous clients sont peu concluants et son manager commence à douter de son engagement. Après plusieurs entretiens et un accompagnement de quelques semaines, la direction tranche : il faut se séparer de lui. « On a voulu faire simple et rapide. Son manager lui a annoncé son licenciement dans une salle de réunion en fin de journée, sans trop de préavis. »
Ce jour-là, il a dû rassembler ses affaires sous les yeux de ses collègues et remettre son badge immédiatement. « Ça ressemblait plus à une éviction qu’à une séparation professionnelle », ajoute Karim, qui reconnaît que cette mise en scène a été une erreur. Léo, visiblement sous le choc, quitte les locaux dans un silence pesant. Dans les jours qui suivent, plusieurs collègues expriment leur malaise. Certains, qui ignoraient les difficultés du commercial, jugent la décision brutale. D’autres s’inquiètent pour leur propre sécurité au sein de l’entreprise. L’affaire aurait pu en rester là, mais une semaine plus tard, Léo publie un message sur LinkedIn où il raconte son expérience, parlant d’un licenciement « humiliant ». Son post devient viral. Résultat : impact sur la marque employeur, candidats refroidis, collaborateurs en perte de confiance.
L’œil de l’experte
Un licenciement, même justifié, peut virer au fiasco si l’annonce est mal menée. L’erreur ici ? Une communication brutale, qui a non seulement impacté le salarié concerné, mais aussi terni l’image de l’entreprise. « Un salarié qui part avec dignité parlera toujours mieux de son employeur que quelqu’un qui a été humilié », rappelle Florence Marty. La clé d’un licenciement réussi réside dans sa préparation et sa communication. L’entretien doit être cadré : il faut annoncer clairement la raison de la rencontre, exposer les faits avec neutralité et laisser un espace de dialogue. « Une annonce bâclée ou agressive exacerbe le sentiment d’injustice. À l’inverse, poser un cadre calme et transparent permet d’amortir le choc », indique Florence Marty. L’enjeu ? Ne pas transformer un licenciement en règlement de comptes.
Les mots choisis sont également déterminants. Un ton accusateur ou des généralisations maladroites (« Vous n’avez jamais fait d’efforts ») braquent immédiatement le salarié. À l’inverse, des formulations neutres et factuelles (« Malgré plusieurs entretiens, nous avons constaté des difficultés récurrentes ») permettent de maintenir un dialogue constructif. Florence Marty rappelle que « la personne en face est en pleine perte de contrôle sur sa situation, inutile d’en rajouter ». Sans compter que l’accompagnement ne s’arrête pas à l’entretien. « Si on licencie quelqu’un alors qu’il est encore en colère ou sous le choc, on s’expose à des représailles », prévient l’experte. Laisser du temps au salarié pour digérer la nouvelle, être disponible pour échanger après coup et anticiper d’éventuelles réactions négatives permet de limiter les tensions. Enfin, il faut penser à l’impact collectif : « Une communication mesurée rassure les équipes et évite l’effet domino. »
« On pensait se débarrasser d’un problème, on l’a rendu dix fois pire »
Quand Claire, DRH dans le secteur tech et son équipe ont décidé de licencier Julien, tout le monde a poussé un soupir de soulagement. Depuis des mois, son comportement posait problème : jeux de pouvoir, critiques constantes de la direction, influence négative sur son équipe… Il entretenait une culture du conflit et créait une atmosphère pesante. « Il était techniquement bon, mais humainement ingérable. Son influence nuisait à la cohésion et il créait une forme de défiance vis-à-vis du management. C’était devenu un problème systémique », raconte Claire. Après plusieurs tentatives d’apaisement, des recadrages et des discussions, la décision est prise de se séparer de lui. La procédure est respectée à la lettre, le dossier bien construit, le licenciement justifié. Mais une fois le licenciement acté, l’histoire ne s’arrête pas là.
Claire et son équipe n’ont pas mesuré l’onde de choc que son départ va provoquer. Dès l’annonce de son licenciement, Julien passe en mode représailles. Il alimente la frustration de certains salariés, en se positionnant en victime d’un management autoritaire. « On avait sous-estimé à quel point il avait installé un climat de défiance. Son départ aurait dû apaiser les tensions, mais au contraire, ça les a exacerbées. » En quelques semaines, plusieurs salariés démissionnent, invoquant une perte de confiance dans l’entreprise. Certains clients avec lesquels Julien entretenait une relation privilégiée font aussi part de leur inquiétude. Pire encore, Julien continue son travail de sape en multipliant subtilement les critiques sur l’entreprise sur LinkedIn, sans jamais la citer. Quelques mois plus tard, Claire admet que si le licenciement était justifié, sa gestion a été trop focalisée sur la procédure légale. « Un licenciement, c’est aussi un sujet de communication et de gestion du climat interne. »
L’œil de l’experte
Un licenciement mal anticipé peut aussi dégénérer en crise de réputation. « Les salariés les plus dangereux ne sont pas toujours ceux qu’on imagine », avertit Florence Marty. « Ceux qui restent étrangement calmes, souriants, cherchant à vous faire parler, sont parfois ceux qui préparent le plus minutieusement leur riposte. » Dès qu’un licenciement semble risqué, mieux vaut ne jamais gérer la procédure seul : « Être accompagné permet de prendre du recul, de sécuriser la procédure et d’anticiper les failles. » Chaque phrase prononcée peut être utilisée contre l’employeur, il faut donc choisir ses mots avec soin. Si la situation est tendue, mieux vaut s’adapter au rythme du salarié plutôt que de précipiter l’annonce. « Un licenciement expédié sans accompagnement émotionnel peut générer de la rancœur, et une personne frustrée trouve toujours un moyen de se venger. »
Une fois le licenciement acté, l’après est une étape clé. Si le salarié manifeste du ressentiment, il faut veiller à ne pas alimenter l’escalade. Dire explicitement « Ne critiquez pas l’entreprise » est contre-productif. Mieux vaut formuler les choses ainsi : « De notre côté, nous resterons professionnels et factuels sur votre départ, et nous espérons la même posture en retour. » Et si la situation dégénère malgré tout ? « Avoir un dossier en béton permet d’être serein face aux attaques », souligne Florence Marty. En cas de bad buzz sur LinkedIn ou Glassdoor, trois options s’offrent à l’entreprise :
- Faire un rappel à la loi : en précisant qu’un ancien salarié reste tenu par une obligation de loyauté
- Vérifier si une erreur a été commise : et si besoin, chercher à rectifier ce qui a pu être mal vécu
- Tenter une prise de contact : si cela peut apaiser la situation. « Un simple appel peut parfois désamorcer un conflit : “J’ai vu vos commentaires et je me demande si j’ai raté quelque chose. J’aurais peut-être dû mieux expliquer les choses.” »
Dans tous les cas, anticiper, structurer et gérer avec intelligence la communication d’un licenciement est le meilleur rempart contre les représailles.
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(1) Les prénoms ont été modifiés
Article rédigé par Sarah Torné et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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