Primo managers : pourquoi sont-ils si peu accompagnés (et comment y remédier) ?
07 janv. 2025
6min
En dépit d’une idée reçue particulièrement ancrée : on ne naît pas manager, on le devient. Pourtant, nombre d’entre eux se voient propulsés dans leurs nouvelles fonctions sans bénéficier d’un accompagnement ou d’une formation préalable. Retour sur une échappée qui peut parfois virer au crash…
« Globalement, l’entreprise ne favorise pas ce passage. Elle le perçoit comme une simple évolution, alors qu’il s’agit d’un véritable changement de rôle. C’est même une reconversion puisqu’on passe du statut de collaborateur ou contributeur individuel, à manager, donc contributeur du collectif. Sa mission change, il ne doit plus briller individuellement, mais faire briller son équipe », constate Ludovic Girodon, auteur et consultant en management. Et pour cause, en France, pas moins de 57 % des managers affirment ne pas avoir été soutenus par leur entreprise dans leur prise de fonction, selon une enquête Robert Walters d’août 2024. Pire, 53 % estiment avoir été promus sans reconnaissance réelle.
Si les organisations soignent de plus en plus l’arrivée de leurs nouveaux collaborateurs, pourquoi pêchent-elles encore sur la formation de leurs primo managers alors même que la fonction appelle de plus en plus d’exigence ? Quelles conséquences ce manquement entraîne-t-il pour les principaux intéressés, leurs équipes ou plus globalement l’entreprise ? Et surtout, sur quelles bonnes pratiques faut-il miser pour faciliter au mieux cette transition ?
Accidental managers : ces primo managers en roue libre
Popularisé par le Chartered Management Institute (CMI) au Royaume-Uni, le concept d’ « accidental manager » désigne une personne promue sur un poste de leadership, sans avoir reçu de formation préalable. Un anglicisme « tendance » qui vient pourtant illustrer un phénomène pas si neuf, mais significativement en hausse ces dernières années. Le plus souvent, ces profils reconnus pour leurs compétences techniques ou opérationnelles gravissent les échelons, sans avoir eu l’opportunité de développer en amont leurs compétences managériales (prise de décision stratégique, culture du feedback, écoute active…) ou la maîtrise d’outils adaptés.
Laurent a vécu cette promotion sous le manteau lorsqu’il est passé responsable d’agence dans le service à la personne. « La prise de poste s’est faite au pied levé, se souvient-il. Le manager sortait et on m’a proposé de prendre sa place. » Propulsé à son nouveau poste sans effet d’annonce, il ne reçoit alors ni passation, ni soutien, ni félicitation. « Ça s’est fait discrètement, je n’ai eu aucune promotion officielle, souffle-t-il. Du coup, c’était le bordel, l’équipe n’a rien compris. J’ai mis un temps fou à me faire reconnaître comme leur manager et à acquérir un peu de respect et de légitimité. J’ai tout fait pour m’imposer et me former tout seul, mais c’était rude. Pour moi, c’est un manque de courage managérial de la direction qui n’a pas assumé, ni assuré. »
Prendre le volant, sans GPS, direction assistée, ni copilote, c’est l’impression ressentie par de (trop) nombreux managers. Des prises de poste qui conduisent, toujours selon l’enquête mentionnée, à l’apparition d’un syndrome de l’imposteur (14 %), d’une surcharge de travail (15 %) et du constat d’un manque de moyens et de soutien (27 %). Pourtant, faut-il le rappeler, devenir manager ne s’improvise pas. Et les principaux concernés en ont bien conscience puisqu’ils sont plus de 7 sur 10 à avoir demandé de suivre une ou plusieurs formations pour se mettre à niveau, alors que seulement 30 % en ont effectivement bénéficié.
Les multiples atouts d’un accompagnement sur les chapeaux de roue
L’accompagnement n’est donc pas une option, mais un réel besoin pour la très grande majorité des primo managers. « Quand j’ai pris mon poste de Head of Sales, je n’avais jamais occupé de fonction managériale, confirme Léonore. Ça me faisait flipper, mais le DG a fait les choses proprement : il a annoncé ma promotion à toute l’équipe autour d’un apéritif, en expliquant son choix et ce que ça impliquait pour chacun. Ensuite, il l’a également communiqué à nos partenaires et clients par newsletter et sur les réseaux. J’ai aussi eu le droit à une formation au management et il a clairement joué un rôle de “parrain” pour m’aider à endosser ce nouveau statut. »
Et lorsqu’elle est rondement menée, autant dire que les bénéfices d’une bonne prise en charge sont nombreux. Pour le primo manager déjà, elle rime avec une diminution du stress et du sentiment de solitude qui peuvent apparaître lorsqu’il faut revêtir de nouvelles responsabilités. « Je me suis sentie épaulée et écoutée. Ça m’a portée et mise en confiance », témoigne Léonore. Pour l’équipe nouvellement managée aussi, cette préparation a toute son importance. En effet, un manager bien formé favorise l’engagement et la satisfaction de son équipe. En mettant en place une communication claire, des objectifs tenables et en étant à même de gérer les conflits, il crée un environnement de travail positif et productif.
À l’échelle de l’entreprise enfin, investir dans l’accompagnement des primo managers se traduit par une amélioration du climat organisationnel, une meilleure performance globale et une culture d’entreprise plus forte et cohérente. « Avant de promouvoir un collaborateur, il est important de s’assurer du dispositif encadrant cette promotion. Ne pas former les futurs managers les conduit généralement à l’échec, et cela impacte également l’entreprise. En effet, le management est l’une des raisons principales des départs des professionnels », explique Coralie Rachet, Managing Director du cabinet Robert Walters. Effectivement, 34 % des salariés citent aujourd’hui de mauvaises relations avec leur manager comme un potentiel motif de départ, selon une étude OpinionWay de 2024.
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Pour permettre à vos primo managers de disposer des ressources et du soutien nécessaires afin d’aborder sereinement leurs nouvelles missions, voici quelques bonnes pratiques dignes du meilleur airbag.
Conseil n°1 : donnez une feuille de route claire et objective
On l’a vu : la principale cause du phénomène des « accidental managers » repose sur une inadéquation entre les critères de promotion et les attentes réelles d’un poste de manager. Dit autrement, on promeut un collaborateur pour ses compétences techniques, sans même s’assurer qu’il sera à même d’être un « bon » managers, avec les qualités spécifiques que ce rôle implique. Ainsi, il est primordial de dresser des critères clairs et transparents pour entourer toute promotion managériale (empathie, leadership…). C’est l’assurance de mieux cibler les profils susceptibles d’évoluer sur ces postes de supervision, tout en travaillant à l’ouverture d’autres horizons possibles pour valoriser l’expertise ou l’excellence d’un salarié.
Conseil n°2 : aidez votre collaborateur à se projeter sur sa nouvelle fonction
Au-delà des capacités objectives, il vous revient de vous assurer que votre collaborateur aura toutes les chances de s’épanouir pleinement dans son nouveau rôle. En bref, qu’il a conscience des changements qu’une telle promotion va impliquer dans son quotidien, notamment avec ses collègues. « Quand on passe manager, il faut faire le deuil de son ancien rôle, explique Ludovic Girodon. Vous n’êtes plus le ‘’collègue sympa’’, vous devenez désormais le ou la manager. Il faut être prêt à ce que vous ne soyez plus invité à tous les déjeuners, à ce qu’on parle dans votre dos… C’est un changement de statut et de relation avec les autres qui demande du courage managérial. Tout le monde n’est pas fait pour ça. »
Conseil n°3 : misez sur un re-onboarding spécial manager
Nombreux sont les primo managers qui, par manque de temps (55 %), de ressources (22 %) ou par crainte du jugement de leur employeur (14 %) n’osent pas demander cette formation pourtant essentielle. « Un primo-manager devrait toujours être formé avant sa prise de poste. Dans l’idéal, il faut lui fournir un kit de survie. Puis, il devrait pouvoir bénéficier d’un accompagnement durant les trois premiers mois de sa prise de poste. Par exemple, sous la forme de rendez-vous avec ses mentors (son N+1 et un autre manager expérimenté), toutes les deux semaines pour faire le point sur ses réussites et ses difficultés », conseille Ludovic Girodon.
Conseil n°4 : officialisez le changement
Pour soutenir une promotion interne sur un poste de manager, rien de tel que de clarifier cette évolution par le biais d’une communication officielle dédiée. Selon le poste occupé et les équipes concernées, cette annonce peut revêtir différents aspects à l’interne. De façon globale, à l’aide d’un simple mail ou d’un message sur votre plateforme collaborative. Ou bien pour les collaborateurs managés, le temps d’une réunion d’équipe ou lors d’entretiens individuels. Une telle présentation peut aussi avoir lieu à l’externe, si le nouveau manager a vocation à être régulièrement en lien avec des clients ou des prestataires. Valoriser ainsi les réussites est une manière de renforcer une culture de la reconnaissance où chacun se sent légitime.
Conseil n°5 : proposez une formation continue
Au-delà du re-onboarding durant lequel le mentorat joue un rôle indispensable, des sessions de formation régulières s’avèrent, elles aussi, fondamentales pour permettre au primo manager de relever ses challenges quotidiens et grandir dans son poste. Pour Ludovic Girodon, l’avantage de cette approche est qu’« un suivi continu permet de nourrir les managers dans le temps et de les aider à dépasser leurs freins ». La séquence ? Au moment de la prise de poste, puis à 6-9 mois et ensuite tous les ans. Mieux, la mise en place d’une communauté managériale, à l’image d’un groupe de soutien, permet également aux différents managers de partager leurs retours d’expérience et leurs bonnes pratiques.
Accompagner ses nouveaux managers, comme les plus anciens, n’est pas un « plus ». De par leur rôle pivot en matière de stratégie, de communication et d’engagement, il est plus que nécessaire que celles et ceux qui endossent le statut puissent le faire avec brio, pour éviter toute sortie de route…
Article rédigé par Gabrielle de Lyones et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
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