Absentéisme : 5 mesures qui fonctionnent pour le réduire drastiquement

10 mars 2025

6min

Absentéisme : 5 mesures qui fonctionnent pour le réduire drastiquement
auteur.e
Laure Girardot

Rédactrice indépendante.

contributeur.e

L’absentéisme est souvent réduit à un simple indicateur RH, une donnée chiffrée à surveiller. Pourtant, il reflète bien plus qu’une accumulation de jours d’absence : c’est le symptôme d’un malaise plus large, à la fois individuel et collectif.

Le Datascope 2025 d’AXA France révèle une tendance préoccupante : l’absentéisme des salariés continue de croître, avec un taux de 4,5 %, identique à celui de l’année record 2022. En un an, ce taux a augmenté de 7 %, principalement en raison de la hausse des arrêts de longue durée (+7,5 %). Les troubles psychologiques demeurent la principale cause de ces arrêts, touchant des salariés de plus en plus jeunes. Désormais, un arrêt de longue durée sur deux pour troubles psychologiques concerne une personne de moins de 40 ans, contre 46 % l’année précédente et 40 % en 2021. Mais comment juguler ce fléau de manière efficace ? Quelles solutions faut-il privilégier pour en venir à bout ? Décryptage.

Pourquoi les salariés s’absentent-ils ?

Les deux visages de l’absentéisme : longue durée vs. absences perlées

Avant toute chose, il est important de prendre en compte les différentes formes d’absentéisme :

  • L’absentéisme de longue durée (trois mois et plus) : ces arrêts représentent 61 % de l’absentéisme total et touchent 5,3 % des salariés. Cette typologie poursuit sa progression, avec une hausse de 16 % entre 2022 et 2023, et de 31 % sur les cinq dernières années, touchant l’ensemble des secteurs.
  • L’absentéisme de courte durée et répété ou absentéisme perlé : selon le Baromètre absentéisme 2024 Willis Towers Watson (WTW), les arrêts de moins de trois mois ont diminué par rapport à 2022. Plus spécifiquement, les absences de quatre à sept jours ont presque diminué de moitié et la part des salariés s’arrêtant au moins une fois par an est passée de 43 % à 34 %. Néanmoins, on observe une prévalence de ce type d’arrêts au sein des TPE.

Mais quelles sont les causes profondes à l’origine de ces absences ? Et comment les entreprises peuvent-elles mieux les prévenir ?

Les causes d’un phénomène multifactoriel

« L’absentéisme est un phénomène complexe, influencé par des facteurs multiples et souvent tabous », souligne Anaïs Georgelin, fondatrice et CEO de SomanyWays. Loin d’être un simple marqueur de désengagement, l’absentéisme est le résultat de plusieurs facteurs interconnectés. Entre surcharge de travail, montée du stress, crises économiques et transformation du rapport au travail, plusieurs dynamiques expliquent son augmentation. Voici les quatre causes principales et leur impact.

Facteur n°1 : les conditions de travail, entre surcharge et manque de flexibilité

Les dernières données montrent une progression marquée des absences liées aux conditions de travail. 83 % des salariés arrêtés pour troubles musculosquelettiques (TMS), risques psychosociaux (RPS) ou grande fatigue estiment que leur absence est directement liée à leur environnement professionnel. En effet, l’intensification des rythmes de travail, la surcharge cognitive et le manque de formation des managers sont des facteurs aggravants. Un manque de soutien managérial peut provoquer du stress et des tensions, augmentant le risque d’arrêts maladie. De plus, l’absence de flexibilité dans l’organisation du travail empêche parfois les salariés de concilier obligations personnelles et professionnelles, générant une fatigue accumulée.

Facteur n°2 : la pression dûe au stress, à la fatigue et au climat de travail

La montée du stress au travail est un moteur de l’absentéisme : on constate, par ailleurs, un ancrage des arrêts pour troubles psychologiques qui représentent toujours 15 % des arrêts maladie, et un quart des arrêts longs. Cette tendance est renforcée par une pression accrue sur la productivité. Par ailleurs, un autre phénomène reste peu étudié : celui des salariés travaillant malgré la maladie. 57 % des salariés n’ayant pas été absents en 2022 déclarent pourtant avoir travaillé en étant malades. Cet « absentéisme caché » qui concerne 32 % des salariés est ainsi beaucoup plus conséquent que l’absentéisme dit de complaisance qui ne porte que sur 2 % d’entre eux.

Facteur n°3 : un contexte économique anxiogène qui pèse sur l’engagement

Selon Anaïs Georgelin, le climat économique et social joue un rôle clé dans l’absentéisme, ajoutant une pression supplémentaire sur les salariés : « Les crises successives, qu’elles soient sanitaires, économiques ou géopolitiques, créent un climat d’incertitude et d’anxiété qui rejaillit sur le monde du travail. » L’environnement global dans lequel évoluent les salariés joue en effet un rôle majeur : l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat ajoutent un stress financier aux salariés, affectant leur engagement et leur moral. L’incertitude sur l’avenir professionnel, avec les restructurations, licenciements et évolutions technologiques rapides, peut engendrer une forme de désengagement défensif, voire un absentéisme stratégique.

Facteur n°4 : un nouveau rapport au travail

Le lien entre employeur et salarié a évolué. La défiance vis-à-vis du monde de l’entreprise est en hausse : certains salariés ne veulent plus sacrifier leur bien-être personnel au profit de l’entreprise. « L’absentéisme reflète aussi le monde dans lequel on vit et l’évolution du contrat moral avec l’entreprise. Aujourd’hui, de nombreux employeurs constatent des situations inédites, marquées par un changement profond des attentes des salariés. Pour une minorité croissante, l’absentéisme peut même être un acte politique, une forme de rejet d’un modèle perçu comme oppressant », explique Anaïs Georgelin.

Absentéisme : 5 leviers d’action pour mieux anticiper et agir

Face à cette réalité, l’enjeu pour les entreprises est double : mieux comprendre ces causes pour agir en amont et adapter les pratiques managériales et organisationnelles afin de prévenir plutôt que de subir l’absentéisme.
Voici cinq actions prioritaires pour mieux identifier l’absentéisme :

Conseil n°1 : exploitez les données pour détecter les signaux faibles

La problématique : le manque d’exploitation des données sur l’absentéisme dans de nombreuses entreprises.

La bonne pratique sur laquelle miser : pour Anaïs Georgelin, il est essentiel de suivre régulièrement les absences et d’identifier les tendances, plutôt que d’attendre les baromètres annuels. « Tous les mois, il faudrait sortir la liste des salariés absents depuis plus de 30 jours et ceux qui ont eu plus de trois absences courtes en quatre mois. Aujourd’hui, on attend 90 jours, parce que c’est le seuil légal pour enclencher des actions. Mais pourquoi attendre que la situation se détériore ? »

L’objectif : détecter les signaux faibles et engager un suivi avec les managers avant qu’un arrêt de longue durée ne survienne.

Conseil n°2 : formez les managers à un suivi bienveillant et proactif

La problématique : l’idée reçue selon laquelle les managers n’ont pas le droit de contacter un salarié absent.

La bonne pratique sur laquelle miser : l’experte RH recommande une formation spécifique pour aider les managers à détecter les signaux faibles (absences répétées, stress visible…), aborder les absences de manière bienveillante et proactive, puis créer un espace de dialogue pour comprendre les difficultés des salariés (charge de travail, problèmes personnels…). « Un manager a tout à fait le droit de prendre des nouvelles d’un salarié absent, tant qu’il ne lui demande pas de travailler. Il peut lui dire : ‘Comment ça va ? À ta dispo si tu veux qu’on prépare ton retour.’ Ce lien est essentiel pour éviter que l’absence ne se prolonge », explique Anaïs Georgelin.

L’objectif : préparer le retour, ne pas perdre le lien et éviter des conflits ou malentendus que peuvent générer des périodes silencieuses entre managers et managés.

Conseil n°3 : agissez dès les premières absences courtes

La problématique : des absences répétées peuvent cacher un problème sous-jacent (surcharge de travail, conflits internes, état de santé…). Mieux vaut agir avant qu’un salarié ne s’éloigne durablement.

La bonne pratique sur laquelle miser : Anaïs Georgelin recommande de mettre en place un rituel de discussion après plusieurs absences courtes, pour identifier d’éventuelles difficultés et éviter une dégradation progressive de la situation. « Après trois absences courtes en quelques mois, il faut prendre un moment pour parler avec le salarié. Lui dire : ‘J’ai remarqué que tu as été absent plusieurs fois récemment. Est-ce qu’il y a un sujet dont tu aimerais parler ?’ Souvent, c’est à ce moment-là que des choses émergent : surcharge de travail, problèmes personnels, tensions avec un collègue… »

L’objectif : il s’agit de détecter en amont les dysfonctionnements possibles, relationnels ou organisationnels voire managériaux. Il s’agit aussi de mettre en place de manière collaborative des solutions pour éviter des conflits larvés qui peuvent se transformer en absences de longue durée et de désengagement.

Conseil n°4 : adaptez vos politiques RH aux réalités des salariés

La problématique : l’absence d’analyse fine des causes de l’absentéisme. « Si un pourcentage important des absences courtes sont liées à des enfants malades, il faut peut-être revoir la politique RH et accorder plus de jours en ce sens pour éviter que ces absences soient prises sous forme d’arrêts maladie. »

La bonne pratique sur laquelle miser : l’idée est de prendre le temps d’analyser les causes de l’absentéisme et d’activer les leviers organisationnels, parfois plus simples à ajuster. En ce sens, Anaïs Georgelin plaide pour des mesures favorisant l’équité entre les salariés : « On ne peut pas avoir d’un côté des cadres en télétravail trois jours par semaine et de l’autre des ouvriers ou employés en présentiel avec zéro flexibilité. Des modèles comme la semaine de quatre jours sont des leviers intéressants pour redonner du pouvoir de choix aux salariés qui n’ont pas accès à la flexibilité des cadres ou du tertiaire. »

L’objectif : cela vous permet d’adapter les politiques RH et sociales en fonction des besoins individuels des salariés. Ces derniers évoluant en fonction de leurs événements de vie (parentalité, aidance, divorce…).

Conseil n°5 : instaurez une culture de coresponsabilité avec un « Culture Book »

La problématique : l’absence de politique de prévention de l’absentéisme, intégrée dans la culture de l’entreprise.

La bonne pratique sur laquelle miser : une entreprise peut co-construire avec l’ensemble du corps social son Culture Book, incluant un volet « gestion des absences ». Ce document reprend alors les engagements concrets, comme la mise en place d’un « entretien de retour » systématique après un arrêt prolongé, les attentes en termes de management, les comportements à privilégier ou à proscrire… « Il faut formaliser les responsabilités de chaque acteur : l’entreprise doit offrir un environnement de travail sain, les managers doivent ouvrir le dialogue et les collaborateurs doivent oser exprimer leurs difficultés avant que la situation ne se dégrade », recommande Anaïs Georgelin.

L’objectif : créer un référentiel commun et encourager une approche co-responsable de la gestion des absences pour mieux accompagner tous les salariés.

Le phénomène d’absentéisme montre à quel point le rapport au travail est en mutation, influencé par des facteurs qui dépassent le cadre strict de l’entreprise. La question à se poser n’est plus seulement « comment réduire l’absentéisme ? », mais comment repenser le travail pour l’adapter aux évolutions sociétales et aux nouvelles attentes des salariés.
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Article rédigé par Laure Girardot et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.