L’avenir du travail se jouera-t-il (aussi) dans les chambres d’hôtel ?

10 juin 2021

5min

L’avenir du travail se jouera-t-il (aussi) dans les chambres d’hôtel ?
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

Alors que l’hôtellerie a été durement impactée par la crise sanitaire, le secteur tente de sauver les meubles en investissant la tendance de l’hybridation des espaces de travail. Parmi les solutions proposées ? La location de chambres à la journée. Explications.

Après plus d’une année de pandémie et de confinements successifs, le secteur de l’hôtellerie est bien abimé. Des dizaines de milliers d’emplois ont été perdus. Parmi les nombreuses faillites annoncées pour 2021, on comptera certainement beaucoup d’acteurs de l’hôtellerie. Qu’il s’agisse du tourisme de loisirs ou d’affaires, l’activité a été à l’arrêt la majeure partie du temps au cours des quinze derniers mois. Malgré les aides de l’État, les pertes sont considérables.

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De plus, il semble probable que les choses ne seront plus comme avant, même si l’on parvient un jour à tourner la page de la crise sanitaire : il faudra des années pour que le tourisme international reprenne comme en 2019 ; les voyages d’affaires ne seront assurément pas aussi nombreux qu’ils l’étaient autrefois car de nombreux / nombreuses cadres, managers et commerciaux / commerciales ont compris qu’on pouvait souvent se contenter de Zoom. Est-ce bien la peine de prendre un avion et de réserver une chambre d’hôtel pour une seule réunion ? En bref, le secteur a de quoi s’inquiéter.

Mais si les usages traditionnels de l’hôtel semblent promis à une croissance fragile et incertaine, en revanche, des usages nouveaux pourraient se développer et permettre aux acteurs concernés de valoriser leurs actifs immobiliers. Ces nouveaux usages ont tous à voir avec l’avenir du travail et l’hybridation croissante des espaces de travail.

Un intérêt pour le future of work qui ne date pas de la pandémie

La réflexion sur les transformations du travail menée par des grands groupes comme Accor ou Scandic Hotels a commencé bien avant la pandémie. En s’alliant avec Bouygues Immobilier en 2019, Accor se donnait avec sa filiale Wojo les moyens de son ambition d’attaquer le marché du coworking. Puisque le coworking se développe, pourquoi ne pas en faire un levier de croissance, se dit-on depuis la seconde moitié des années 2010.

Mama Shelter avec Mama Works, Ruby Hotels et ses WorkSpaces, et Hoxton avec ses espaces conviviaux sont quelques exemples de grands groupes qui proposent des offres d’espace de travail au goût des travailleurs / travailleuses nomades et des freelances. D’autres chaînes d’hôtels les ont rejoint. En septembre 2020, Scandic Hotels a lancé un immense réseau d’espaces de coworking dans les pays nordiques en proposant des pass à la journée, à la semaine ou au mois grâce auxquels les abonné·e·s peuvent travailler dans tous les lobbys des hôtels de la chaîne en Suède, Finlande, Norvège, Danemark, et d’autres pays encore.

Le deep work loin des corvées domestiques

Entre la crise sanitaire, l’accélération du télétravail et les difficultés actuelles du tourisme, les intuitions d’il y a quelques années semblent se confirmer. S’y ajoutent d’autres idées liées aux nouveaux modes de travail. On l’a bien vu : le télétravail ne se cantonne pas à la maison et les insuffisances domestiques nourrissent un marché d’avenir.

Faute de pouvoir se concentrer dans un espace trop familier, plombé·e·s par la charge mentale des corvées domestiques, perturbé·e·s parfois par des enfants en bas âge, ou bien simplement à l’étroit dans un logement exigu et mal équipé, de nombreux / nombreuses travailleurs / travailleuses cherchent à l’extérieur du domicile un espace de travail propice à la concentration : au café, dans un espace de coworking, dans une cabane de jardin, chez un.e parent.e… ou à l’hôtel !

L’essentiel pour ces télétravailleurs / télétravailleuses hors domicile, c’est de pouvoir travailler à proximité de la maison pour s’épargner les tracas des trajets pendulaires. Cal Newport, l’auteur de Deep Work, appelle ce phénomène « Working From Near Home » (WFNH : travailler près de chez soi). Il est convaincu que c’est une tendance forte qui transforme les espaces de travail autour des notions de proximité et de concentration.

Une chambre à la journée ?

L’hôtellerie l’a bien compris : dès 2020, faute de louer leurs chambres aux touristes absents, certains hôtels ont imaginé les louer à des télétravailleurs / télétravailleuses en mal de concentration ou de wifi. Par exemple, à partir d’août 2020, le groupe Accor a proposé la location de chambres de 9h à 18h dans ses 250 hôtels de Grande-Bretagne, puis a étendu son offre ailleurs en Europe. D’autres hôtels et chaînes comme Best Western ont fait de même. Depuis 2016 déjà, la startup Day Use propose une place de marché pour aider les voyageurs / voyageuses et travailleurs / travailleuses à trouver une chambre à bon prix pour la journée.

Jusqu’à maintenant, la location d’une chambre à la journée était quelque chose de secret voire tabou. Les hôtels offraient toute la discrétion possible aux amants qui se retrouvaient en journée. Mais à cause du tabou de la prostitution et surtout du soupçon de proxénétisme, on jetait un voile pudique sur ce type d’offre de location. Don’t ask, don’t tell (« Ne demande pas, ne dis pas ») était la règle d’or.

Comme par une curieuse ironie de l’histoire, la location de chambres à des fins sexuelles est en perte de vitesse, probablement autant que l’activité sexuelle tout court chez les jeunes générations. Et cette offre si discrète qu’était la chambre à la journée est aujourd’hui confrontée à un défi marketing. Non seulement le tabou tombe mais on veut faire savoir à tou·te·s les cadres en mal de wifi et de calme qu’ils / elles peuvent venir « prendre leur pied » sur Zoom ou Excel dans une chambre bien équipée.

Ces glissements d’usages s’accompagnent aussi d’investissements dans les équipements et mobiliers : petit à petit, les tables, chaises et la connexion wifi deviennent des arguments plus importants que la qualité de la literie.

Comment se différencier dans le coworking ?

La location de chambres pour travailler restera peut-être anecdotique (car chère) en comparaison avec la mise à disposition des lobbys et salles communes pour les télétravailleurs / télétravailleuses. C’est pourquoi les hôtels rêvent d’un avenir radieux dans le coworking. Au télétravail de proximité s’ajoute la tendance à l’hybridation des espaces de coworking eux-mêmes. De nombreux cafés et restaurants voient aussi dans ces nouveaux usages une opportunité commerciale. Certains de ces lieux deviennent des « quasi » coworking et changent leurs modèles : au lieu de payer les cafés consommés, les client·e·s payent au temps passé.

Où est la frontière entre un espace de coworking, un café et un lobby d’hôtel aménagé pour le travail ? Les espaces de coworking jurent que « nous, c’est la communauté et les échanges » ; les cafés insistent que « nous, c’est le café et la gastronomie » et les hôtels pourraient dire, « nous, c’est le confort et l’anonymat ». En réalité, on peut trouver plusieurs de ces choses dans des lieux de nature différente. Elles s’hybrident de manière croissante.

Et les entreprises sans bureau : une aubaine ?

Alors que l’immobilier de bureau vit un chamboulement sans précédent et qu’il paraît désormais évident qu’il y a trop de mètres carrés de bureaux sur le marché, en particulier dans les quartiers d’affaires des grandes villes (notamment à Londres), les hôtels surveillent de près les tendances du futur du travail, les nouvelles mobilités et les évolutions de l’immobilier. Après tout, ils sont au croisement de toutes ces problématiques.

Le team building, les séminaires d’entreprises et les voyages d’affaires représentent pour certains hôtels une part essentielle du chiffre d’affaires. LA question du futur du travail qui se pose à eux est celle-ci : le déclin des voyages d’affaires du quotidien sera-t-il compensé par la hausse des séminaires et retraites d’équipes sans bureaux qui se reposent sur l’hôtellerie pour consommer des espaces à la demande ?

Il est encore trop tôt pour le dire. Les défis liés au repositionnement des offres occupent aujourd’hui pleinement les acteurs de ce secteur. Si l’avenir semble incertain, il est en revanche probable qu’il faudra compter avec l’hôtellerie dans le futur du travail.

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Photos par WTTJ

Article édité par Paulina Jonquères d’Oriola

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