Télétravail : non, les jeunes ne sont pas près de déserter les grandes villes
15 juil. 2021
5min
Journaliste indépendante
Jean Viard est sociologue et essayiste. Dans son dernier livre, « La révolution que l’on attendait est arrivée » (éd. de L’Aube), il analyse les grandes ruptures à l’œuvre dans notre société depuis la pandémie. Parmi elles, l’installation durable du télétravail et la possibilité pour les habitants des métropoles de quitter les grandes villes. L’occasion de retrouver une certaine qualité de vie dans la “maison avec jardin” à laquelle aspire un nombre croissant de Français·e·s, oui, mais pas à n’importe quel prix. Entretien.
Avec la crise sanitaire et les confinements successifs, les Français·e·s ont été amené·e·s à repenser leur rapport à la mobilité. On le voit notamment avec le télétravail, qui leur permet de travailler de n’importe où - plage, campagne… - et plus seulement depuis un petit appartement… Les grandes villes sont-elles désormais ringardes ?
Le phénomène ne s’observe pas seulement en France. Le problème, c’est que l’on n’est pas encore sorti de la crise, toutes les pratiques sociales n’ont pas encore eu le temps de changer. On fera le bilan plus tard, mais oui il est essentiel de commencer à questionner la grande ville. Au fond, une métropole, c’est un endroit où se croisent, de manière physique et numérique, les cerveaux : décideurs politiques, financiers, artistes, universitaires. Il y a dans ces lieux une concentration de pouvoir et de savoir. Ce qu’on a réalisé avec la pandémie, on l’avait déjà observé mais pas de manière aussi forte : on est obligé d’aller travailler en métropole deux fois par semaine ou une semaine par mois, mais plus d’y habiter. Une partie du lien peut être faite en télétravail et en livraison.
Comment expliquez-vous ce désir croissant de ce que vous appelez la « vie locale » ?
En France, il y a déjà 16 millions de maisons avec jardin, qui concernent donc 63% des français. La ville est en fait déjà minoritaire avec seulement 12 millions d’appartements, souvent occupés par des personnes seules. Parmi ces 12 millions, la moitié possède une résidence secondaire. Ce qui se passe en ce moment, c’est que les populations qui avaient des résidences secondaires se déplacent. Au lieu d’avoir une résidence secondaire en dehors de la métropole, elles auront un lieu secondaire dans la métropole. C’est là qu’est le changement de paradigme.
Les travailleurs·ses s’inscriraient désormais dans un « flux » qui oscille entre passages réguliers par une métropole et vie dans des territoires périurbains ou ruraux. Ce modèle peut-il être adapté à tous les travailleurs ?
Non, il concerne évidemment surtout les métiers de service, le “tertiaire”. Cela dépend donc des métiers mais également de la culture d’entreprise. Cependant, ce qu’on remarque, c’est qu’avant seuls les cadres pouvaient télétravailler, tandis que maintenant, le télétravail peut concerner tous les métiers de service. On passe donc d’un modèle très minoritaire à un modèle qui peut concerner la plupart des travailleurs en France.
Quels sont les avantages de cette nouvelle configuration ? Doit-on s’en réjouir ou s’en inquiéter?
Les avantages principaux sont le gain de temps qui bénéficie aux salariés et les gains de productivité, qui bénéficient, eux, aux employeurs. L’institut Sapiens a calculé que durant la pandémie, la productivité des travailleurs avait augmenté de 22% en moyenne. Sans parler des coûts immobiliers seraient moins importants pour les entreprises, puisque les travailleurs seraient moins nombreux au bureau. En revanche, le télétravail devient plus compliqué dès lors que l’on a des enfants à la maison ou que l’on n’est pas en mesure de gérer son temps de travail. Puisqu’on n’a plus d’horaires, la limite entre temps de travail et temps de loisir est moins claire et peut générer des maladies professionnelles, du stress, des burn-outs.
Dans votre livre, vous estimez qu’une installation durable du télétravail permettrait aux travailleurs·ses de se voir seulement lorsqu’ils en ressentent le besoin, ou l’envie. Et apaiserait de fait leurs relations, dans la mesure où celles-ci ne seraient plus contraintes. Mais n’y a-t-il pas aussi un risque de perte de lien social ?
À mon avis, non. Les entreprises doivent trouver de nouvelles modalités de travail. En France, par exemple, nous passons beaucoup de temps en réunion. À nous de voir si nous les préférons en présentiel ou en distanciel. Il y a toute une culture de l’échange entre les salariés, qui doivent se voir de manière informelle. C’est la fameuse « machine à café » autour de laquelle les salariés sont souvent les plus innovants. En France, on a remarqué que sur un temps de 35 heures, les salariés sont absents soit le mercredi pour garder leurs enfants, soit le lundi et le vendredi pour prolonger leur week-end. Aux entreprises de s’adapter. Elles devront le faire d’autant plus rapidement que les travailleurs veulent télétravailler maintenant et que l’évolution de la loi sera trop lente par rapport aux usages qui ont déjà changé.
Puisque le modèle de “l’appart en ville et de la résidence secondaire” vous semble dépassé, qu’est-ce qui viendrait le remplacer ?
Pour les travailleurs, il faudrait réfléchir à des modes d’hébergement dans les grandes métropoles à raison de deux nuits par semaine. Vous viendriez avec votre valise, on vous lave votre linge sur place que vous pouvez laisser. Quelque chose à mi-chemin entre l’hôtel et la location. La SNCF a déjà modulé une offre qui va dans ce sens, spécialement dédiée aux télétravailleurs : vous déclarez votre nombre de jours de télétravail et ne payez le transport que pour deux ou trois jours.
Il y a, c’est vrai, une population en rupture, qui quitte son travail et part à la campagne pour gagner sa vie autrement. (…) Mais même si la pandémie a favorisé les ruptures, ces catégories de personnes restent tout de même une minorité.
Cependant, pour que les territoires ruraux soient réellement réinvestis, ne faudrait-il pas que ceux-ci soient mieux équipés ? Le géographe François Taulelle a par exemple démontré que les villages restaient largement délaissés en raison de leur manque de services, qui décourage beaucoup les urbains.
C’est pour cela que le phénomène concerne plutôt les villes moyennes. On parle de bourgs situés à une heure en train des métropoles, comme Reims, Amiens ou Angers pour Paris. Il s’agit d’urbains qui souhaitent vivre dans des logements plus grands, avec un certain standard de vie : aller au théâtre, etc. Ce n’est pas un rejet de la ville comme après Mai 68, mais plutôt une autre manière de l’utiliser en passant par les villes moyennes. Il y a peu de « néo-ruraux », ou alors dans des campagnes proches de grandes villes.
Donc les néo-ruraux sont plutôt un épiphénomène ?**
Il y a, c’est vrai, une population en rupture, qui quitte son travail et part à la campagne pour gagner sa vie autrement. Par exemple, en ouvrant une épicerie ou une librairie dans des zones blanchesoù les commerces de proximité n’existent plus. Mais même si la pandémie a favorisé les ruptures, ces catégories de personnes restent tout de même une minorité.
Vous, vous insistez sur les tiers-lieux pour attirer les citadins. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’un lieu où vous pouvez venir travailler avec votre ordinateur, manger etc. Il peut y avoir une pépinière de start-up, des artistes qui exposent, des événements culturels le soir… On peut aussi imaginer qu’il y aurait des fonctionnaires, chargés de traiter les dossiers pour l’Urssaf et autres charges administratives des travailleurs sur place. Des chaînes d’entreprises sont en train d’imaginer des espaces de coworking sur ce modèle. Beaucoup de modèles existent. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il s’agirait d’un lieu de sociabilité créé autour du numérique, qui prendrait des formes différentes selon la culture des villes. Une sorte de maison du peuple numérique, où l’on peut travailler et se rencontrer.
Selon vous, quelles sont les caractéristiques principales qui attireront les travailleurs dans une ville ou un village demain ?
Tout dépend de quels travailleurs on parle. Les jeunes continueront d’être attirés par les métropoles. La ville est aussi un lieu de passage de la jeunesse, où l’on peut s’initier à l’amour, la culture, faire des rencontres. Quand, vers trente ans, ils sont plus stables au niveau professionnel et amoureux, les actifs ont tendance à quitter la ville. Il s’agit moins d’une désertion de la ville qu’une transformation de ses usages, qui varierait en fonction de l’âge.
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Photos : Alexandre Dupeyron et Thomas Decamps pour WTTJ ; Article édité par Clémence Lesacq
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