Campagne de vaccination : les entreprises doivent-elles jouer le jeu ?
02 avr. 2021
4min
UNDER THE LAW - Les rouages, parfois nébuleux de la loi et de la jurisprudence, vous font l’effet d’une plongée dans une langue étrangère dont vous ne saisissez que peu de choses ? Soufflez, notre experte du Lab Anne-Lise Puget décode pour vous le droit du travail appliqué au monde de l’entreprise et vous aide à y voir plus clair dans vos questionnements légaux. CQFD.
Avec un peu plus de 8 millions de personnes vaccinées contre la Covid-19 en France au 1er avril 2021 (ayant reçu la première dose), contre plus de 30 millions de personnes au Royaume-Uni, des difficultés à obtenir des rendez-vous de vaccination et des problèmes d’approvisionnement en vaccins, la perspective de l’atteinte de l’objectif gouvernemental annoncé en janvier dernier et portant sur la vaccination de 70 millions de Français d’ici fin août 2021 s’éloigne. Pour espérer l’atteindre, les regards se tournent désormais vers les entreprises.
Beaucoup se sont portées volontaires pour s’impliquer dans une campagne de vaccination de leurs salarié.e.s (Renault, EDF, Total qui ont créé des comités de veille – avec médecins, RH, Juristes – ou les signataires de la Tribune du JDD le 2 janvier 2021).
Leur souhait est la conséquence de multiples constats :
- le dispositif de vaccination mis en place est lent ;
- certaines entreprises sont rodées à l’exercice grâce aux campagnes de vaccination internes qu’elles mènent notamment contre la grippe saisonnière ;
- leur implication pourra accélérer le processus et permettre plus rapidement une reprise de l’activité économique ;
- de surcroît, cela pourra être valorisé dans le cadre de la RSE.
Qu’en est-il pour les structures qui hésitent encore ? L’employeur peut-il être tenu de mettre en place une campagne de vaccination ? Quels sont les points de vigilance à prendre en considération dès lors ?
L’entreprise peut-elle rendre la vaccination obligatoire ?
En principe, les obligations vaccinales sont prévues par le Code de la santé publique et les cas sont limités. L’article L3111-2 dudit Code en prévoit à peine onze.
Celles liées à une activité professionnelle concernent essentiellement les personnes qui exercent une profession médicale (ou les étudiants qui y aspirent) ou qui travaillent auprès des personnes âgées (Articles L.3111-3, L.3111-4 du Code de la santé publique e.g. hépatite B, polyomiélite, tétanos, coqueluche, rougeole, infection à pneumocoques, etc). La liste des établissements de soin pour lesquels le personnel exposé doit être vacciné (hôpitaux, dispensaires, PMI, blanchisseries, etc.) est ensuite fixée par décret.
La vaccination contre la Covid-19 n’est donc, à ce jour, pas obligatoire pour l’exercice d’une activité professionnelle - y compris médicale.
Pourrait-elle le devenir ? Il ne semble pas que l’on en prenne le chemin pour le moment. En effet, le chef de l’Etat a indiqué que la vaccination ne serait pas obligatoire et la ministre du Travail Elisabeth Borne a affirmé, quant à elle, que les entreprises ne pourraient pas l’exiger de leurs salarié.e.s. Ce qui n’empêche pas, en revanche, l’employeur de la recommander dans la mesure où il est débiteur, en vertu des dispositions de l’article L. 4121-1 du Code du travail, d’une obligation de protection de la santé et de la sécurité des salarié.e.s.
Dans ce cadre, l’article R. 4426-6 du Code du travail dispose que l’« employeur recommande, s’il y a lieu et sur proposition du médecin du travail, aux travailleurs non immunisés contre les agents biologiques pathogènes auxquels ils sont ou peuvent être exposés de réaliser, les vaccinations appropriées ». Concrètement, cela signifie que l’employeur adresse des éléments d’information sur ses salariés et leurs missions au service de santé au travail (SST), qui évalue à quels agents pathogènes ils peuvent être exposés et établit la liste des salariés qui doivent être vaccinés.
Au-delà, l’employeur peut-il être tenu de mettre en place une campagne de vaccination contre la Covid-19 sur le fondement de l’obligation de protection de la santé de ses salariés ? Non, dans la mesure où cette vaccination n’est pas obligatoire. À titre d’illustration, le ministère du Travail a édité un Q&A (questions-réponses, ndlr) relatif à la vaccination par les services de santé au travail, et notamment celle des personnes de 55 à 64 ans inclus atteintes de comorbidités. Or, ce document se contente de préciser que « les employeurs sont encouragés à diffuser l’information à leurs salariés de la possibilité d’être vaccinés par le SST de l’entreprise lorsque cette possibilité existe ».
Quels points de vigilance pour l’employeur qui se lance ?
Si, en dépit de l’absence d’obligation, vous souhaitez vous aussi mettre en oeuvre une campagne de vaccination au coeur de votre structure, certains points de vigilance sont à prendre en compte :
Veillez à bien informer vos collaborateurs/collaboratrices cibles de la mise en oeuvre et des conditions de cette campagne vaccinale : l’information sur la possibilité de bénéficier de la vaccination par les services de santé du travail (SST) doit être portée à la connaissance de l’ensemble des salarié.e.s, y compris ceux/celles placé.e.s en activité partielle ou en télétravail, pour qu’ils/elles se manifestent auprès des SST ou de leur médecin traitant. Toutefois, les médecins devront respecter les recommandations des autorités sanitaires quant à la priorisation des publics cibles.
Appliquez le principe du volontariat : le choix de la vaccination participe de la liberté individuelle des salarié.e.s et du respect de leur intégrité physique. Leur consentement éclairé doit être recueilli avant toute vaccination (articles R. 4127-35 et 36 du code de la santé publique). Dans la mesure où elle n’est pas obligatoire, aucune sanction directe ou indirecte ne pourra être infligée au/à la salarié.e qui la refuse, sous peine de nullité (sanction discriminatoire). L’employeur ne pourra ainsi ni subordonner le retour d’un salarié en entreprise à sa vaccination, ni l’écarter de son poste en cas de refus, même en maintenant son salaire. Le maintien des gestes barrières restera donc essentiel.
Respectez le secret médical : le secret médical est un droit subjectif, le personnel de santé n’est pas autorisé à informer l’employeur de la vaccination de ses salarié.e.s et le/la patient.e ne peut être contraint.e de la révéler. Il/elle peut néanmoins choisir de lever le secret et informer son employeur de sa vaccination.
Veillez à la conformité au RGPD : le Règlement Général sur la Protection des Données du 27 avril 2016, interdit formellement l’établissement par l’employeur d’une liste des salarié.e.s vacciné.e.s contre la Covid-19.
Ayez en tête la responsabilité du bon déroulement de cette campagne, et ses éventuels incidents : la vaccination des salarié.e.s de 55 à 64 ans inclus atteints de comorbidités participe de la campagne vaccinale organisée par les autorités sanitaires. L’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (OMNIAM) assurera donc la réparation intégrale des accidents liés à cette vaccination.
Ne faites pas des coûts une fin de non-recevoir : la cotisation versée annuellement au SST couvre l’ensemble des visites nécessaires, les vaccins sont fournis gratuitement par l’État, les SST mettent leurs ressources à la disposition de la campagne vaccinale. La vaccination n’engendre pas de coût complémentaire pour l’employeur.
Inspirez-vous davantage sur : Under the law
La série qui décrypte les rouages, parfois nébuleux, de la loi et de la jurisprudence grâce à notre experte Anne-Lise Puget.
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