« Slasheur : cumuler les jobs, un métier d’avenir » de Marielle Barbe
12 juin 2018
6min
« On n’a qu’une vie, alors vivons-en plusieurs. »
Slasheur, pluriactif, multi-casquettes, scanner, zappeur, multipotentialiste, polymathe, polyactif, multitasking, touche-à-tout… autant de termes utilisés pour décrire les personnes qui ont plusieurs centres d’intérêt, activités, métiers. Pour autant, ces profils hybrides peinent souvent à légitimer leur profil de couteau suisse dans un monde du travail normé qui chérit l’idée de « vocation ». Avec cet ouvrage paru en 2017, Marielle Barbe - slasheuse assumée - offre un manuel aspirationnel à tous les slasheurs qui s’ignorent et une véritable boîte à outils pour appréhender la vie en mode « multi ».
Démystifier la « vocation »
Tout commence presque systématiquement et insidieusement par un « Qu’est-ce que tu voudrais faire quand tu seras grand ? » À partir de cette question d’apparence anodine, la machinerie est lancée. Les parents à la maisons, les profs à l’école, la société, la littérature, les médias… tous semblent s’être donnés le mot. Ils nous somment de « choisir ». Marielle Barbe décomplexe avec brio cette « obligation de choisir ». Pour elle, la vocation est une quête illusoire. Nous ne sommes pas tous « appelés » par un métier et destinés à exercer avec passion une même profession toute notre vie. Pour certains, c’est possible. Pour beaucoup, c’est un mythe. Il n’y a pas de parcours linéaire et chaque trajectoire est organique, vivante. Elle s’ajuste à la vie, aux virages de bord, à nos centres d’intérêt mouvants, aux aléas de l’existence, aux opportunités qui surgissent sans crier gare.
Vers un avènement du slashing ?
Marielle Barbe annonce une révolution silencieuse et une propagation douce de cette conception du travail sinueuse et exploratoire mue, tout particulièrement, par les générations Y et Z. Elle cite à cet égard Emmanuelle Duez, cofondatrice de The Boson Project, qui analyse les aspirations de ces jeunes générations et le regard qu’elles portent sur l’entreprise : pour elle, « cette génération fait le pari de faire passer le “pourquoi” avant les “comment”, la flexibilité avant la sécurité, l’exemplarité avant le statutaire, l’ambition de s’accomplir avant celle de réussir_ ». À l’instar de ces jeunes, Marielle Barbe montre que de nombreux citoyens désireux de défendre des idées et des valeurs mais aussi de vivre, consommer et travailler autrement pourraient rendre possible cette autre réalité professionnelle en mode multidimensionnelle.
Les entreprises aussi pourraient en venir à rechercher des profils de slasheurs et l’ubiquité professionnelle devenir une nouvelle norme. L’enjeu de l’entreprise, c’est « l’agilité », cette disposition qui permet de rester en alerte, de rebondir, de questionner, d’essayer, de déconstruire, d’innover. Et comme le souligne Marielle Barbe, les slasheurs ont une belle longueur d’avance en la matière : « Acrobates de la remise en question du « quadryptique » du travail : temps, lieu, action, statut, ils jonglent déjà entre différents employeurs, clients, bureaux, missions, projets, types de contrats… […] Les slasheurs n’ont de cesse d’explorer de nouvelles compétences, de nouveaux métiers. Souvent auto-apprenants, on les a identifiés comme des serial learners. Ils ont le goût du savoir… et de la récidive. » Le recours aux travailleurs multi-employeurs est aussi un bonne façon d’avoir des experts. Les slasheurs, carburants à l’envie, sont moins sujets au burn-out, au bore-out (perte de motivation) et au brown-out (perte de sens).
To be or not to be ?
Pour Marielle Barbe, il y a autant de slasheurs que de façons de slasher. Pour autant, des signes distinctifs permettent de repérer un slasheur. Voici le tableau des aspirations, valeurs ajoutées, difficultés et freins brossés par l’auteure.
Les avantages du slasheur
- La curiosité (insatiable)
- L’envie (à volonté)
- L’enthousiasme (débordant)
- Le goût d’apprendre en explorant (vite et en série)
- L’audace (qui ouvre la porte à la chance)
- L’intuition (à la source de l’inspiration)
- Une créativité exacerbée (au service de l’innovation)
- L’agilité (pour s’adapter en toutes circonstances)
- Le changement (une seconde nature)
- L’art de faire des liens (le cerveau fonctionne en réseau)
- Une vision globale (décalée, transversale) et un esprit critique (aiguisé, exacerbé)
- La synthèse des idées (simplifier ce qui est complexe)
- La tectonique des compétences (l’innovation a lieu aux intersections)
- La capacité à recalculer son itinéraire professionnel (faire face à l’imprévu)
- La polyvalence (pour limiter les risques)
Ses besoins fondamentaux
- L’autonomie (gage de liberté)
- Le champ des possibles (toujours ouvert)
- L’épanouissement personnel
- Le besoin de sens (et d’impact)
Les inconvénients des avantages
- Le dilemme du choix (entre enfermement et liberté)
- Le syndrome de l’imposteur
- Le sentiment d’incompréhension
- Les effets collatéraux de la jalousie
- La difficulté à concrétiser les projets
- La procrastination (anti self-estime)
- La gestion du temps et de l’organisation (un casse-tête)
- Le paradoxe de la transparence
- Le risque d’éparpillement
- La fatigue physique et intellectuelle
- La fuite de l’engagement
- L’instabilité financière
- La difficulté de trouver et prendre votre place
Ses ennemis jurés
- La routine (et l’ennui)
- Le choix unique (et la pensée unique)
- Le diktat de la « norme »
- Les limites du cadre
- Les plans de carrière
Alors, vous en êtes ?
La « maïeutique » de Marielle Barbe
La boite à outils du slasheur
Dans la deuxième moitié de son livre, Marielle Barbe, nous propose des exercices très concrets pour faire émerger sa singularité de slasheur et répondre à l’invitation de Socrate : « Connais-toi toi-même ». Parmi ce panel d’exercices pratiques à la frontière du développement personnel et du coaching, on peut citer « le cahier des charges », « le jeu des 7 familles » pour identifier ses atouts, « le multikigaï » pour identifier “sa raison d’être”, « la baguette magique » pour ouvrir le champ des possibles, la « bucket list » pour formaliser ses envies, la « chasse aux bonnes excuses » pour lever ses freins ou encore le « mind mapping » ou carte mentale pour matérialiser et lier son offre, son profil.
Valoriser son profil pluriel
Marielle Barbe insiste tout particulièrement sur la nécessité de « trouver son fil rouge, son dénominateur commun, le sens de ses slashs » même si l’exercice peut sembler périlleux au premier abord : « Pour un slasheur, parvenir à identifier ce qui est commun à tous ses slashs est une étape clé vers son affranchissement et son épanouissement. Avoir trouvé ce point d’ancrage, ce « truc » qui fait que l’on se sent toujours soi, à la bonne place, est extrêmement apaisant et rassurant. Alors prenez un soin tout particulier à trouver votre fil conducteur. Ne négligez pas cette étape ». Elle donne quelques exemples de slasheurs qui ont fini par trouver un bout de ce fil et souligne, dans ces raisons d’être, la présence de « notions très universelles et humanistes » :
- La connaissance de soi et des autres, le goût et le besoin de comprendre l’humain, le vivant et le monde sous différents prismes
- Le besoin de contribuer à changer le monde en inspirant, en transmettant des valeurs et des compétences
- Le besoin d’évoluer et d’accompagner la capacité d’évolution chez les autres
- La créativité, la création (de projets, de nouveaux paradigmes, etc…)
Aborder le marché du travail avec confiance
Pour vivre le slashing sereinement, Marielle Barbe livre de précieux conseils de gestion du temps. Parmi eux, oser dire “non” aux sollicitations qui ne sont pas alignées avec vos souhaits ou vos compétences, mesurer la cohérence avec vos besoins et envies avant de prendre un nouvel engagement, adopter les notes et comptes rendus après chaque rendez-vous, pour chaque client et chaque projet pour ne pas perdre le fil des missions.
Elle recommande avant tout de rendre son profil lisible et évident pour exprimer et tester ses slashs sur le marché du travail. Il faut savoir, même en mode « multi », se présenter simplement et efficacement. Dans les bonnes pratiques du slasheur, elle évoque l’élaboration d’un CV unique par compétences ou de CV thématiques selon l’interlocuteur, l’usage des réseaux sociaux professionnels, la cooptation, le blogging. L’important est d’écrire son propre storytelling en veillant à intégrer ce qui nous touche dans les histoires que nous entendons, à exprimer nos engagements et à ne pas occulter les difficultés, les failles, les échecs et les fêlures.
Trouver le statut compatible avec ses besoins pose question. Marielle Barbe consacre plusieurs pages à cette réflexion et présente les statuts fréquemment plébiscités par les slasheurs selon leur profil. Enfin, elle liste dans ce volet pratique du livre, les plateformes de mises en relation entre demandeurs et recruteurs (Malt, Welcome to the Jungle, Keljob, Jaipasleprofil, Side…) pour faciliter la recherche de business.
Gagner la bataille de la légitimité
Marielle Barbe plaide enfin pour une approche décomplexée du travail. Elle invite chacun à « jouer à , prendre l’expérience comme un jeu pour essayer jusqu’au prochain rôle. _» Le frein numéro un à l’épanouissement des slasheurs, c’est le manque de confiance et ce récalcitrant « sentiment d’imposture ». Elle met en garde contre « _ces empêcheurs de tourner en rond » (les freins que l’on se met soi-même) : « ils sont souvent des excuses pour ne pas passer à l’action, créent nos limites, nourrissent nos peurs et nous font adopter insidieusement une posture de victime ». Pour elle, tout est permis et il faut s’autoriser « des bifurcations, une vie professionnelle plurielle, des explorations parallèles et complémentaires » à condition de « rester honnête avec ses recruteurs, ses clients et bien cerner ses limites (identifiables par la capacité et l’envie). »
Bref, le livre de Marielle Barbe fourmille de conseils et belles inspirations pour appréhender le travail autrement et se dessiner « une vie qui nous ressemble ». Son mantra de slasheur à méditer : « On n’a qu’une vie, alors vivons-en plusieurs. »
Photo by WTTJ
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