« L’exclusion aura pour conséquence la fuite de nos talents dans d’autres pays »
17 sept. 2024
5min
Journaliste, éditrice et auteure de documentaires pour la jeunesse
L’inclusion est-elle la solution face à la pénurie des talents ? Anthony Babkine en a fait son combat. À l’opposé des positions du Rassemblement national, le fondateur de Diversidays mise sur la diversité comme facteur de réussite des entreprises et des personnes.
Ses profs le disaient rêveur. Anthony Babkine a d’abord été en échec scolaire avant de déjouer les pronostics. Poussé vers les études par ses parents, il bosse, s’accroche et casse le game. À 29 ans, devenu directeur général adjoint de l’agence de communication TBWA/Corporate, il navigue désormais dans le monde des dirigeants. Un monde qu’il juge figé à cette époque. Anthony Babkine se demande : « Où sont les femmes aux postes de dirigeantes ? », « Où est la diversité sociale et ethnoculturelle de son enfance ? ». Un an plus tard, en 2017, il cofonde Diversidays, un mouvement pour l’égalité des chances qui fait du numérique un levier d’inclusion. En sept ans, l’association a accompagné 13 000 personnes, obtenu le soutien de 70 entreprises et institutions publiques et privées, et noué des partenariats avec France Travail, l’Agefiph, AXA, google.org ou encore l’APEC. Sélectionné parmi les leaders européens portés par la Fondation Obama, Anthony Babkine arrive en première place du top 35 des « jeunes leaders positifs » en 2023. À l’heure de la montée du Rassemblement national, il œuvre pour mettre les questions de diversité et d’inclusion au centre de la table, et rêve d’un sursaut de la part de la nouvelle génération de dirigeant·es.
En juillet 2024, vous avez cosigné une tribune dans Politis avec les 25 jeunes leaders positifs contre l’extrême droite. Quel péril représente ce parti pour les politiques d’inclusion dans les organisations ?
Le Rassemblement national de 2024 est le même que le Front national de 2002, seule la stratégie de communication a changé. La vague de propos racistes et homophobes à laquelle nous avons assisté le prouve. Pour le RN, tout ce qui est assimilé aux politiques d’inclusion est rangé dans la case « wokisme ». Ce parti balaie d’un revers de main tout ce qui pourrait permettre l’inclusion des personnes susceptibles d’être discriminées, caricature et compromet le travail des acteurs de l’égalité des chances. Or, notre action est profonde : on parle de la destinée de chacune et de chacun au sein de la société. Les politiques de diversité sont subtiles, elles font appel à l’intelligence collective, à la capacité à se remettre en question. Ce combat demande du temps et des moyens.
Vous avez grandi en banlieue parisienne, « un terreau de diversité et de richesse », à mille lieues des positions xénophobes rabachées par le RN…
Toute mon enfance à Évry-Courcouronnes, j’ai été baigné dans la mixité sociale et culturelle. Alors forcément, le jeune homme que j’étais a pris une claque le jour où il a découvert ce que l’on appelle l’entre-soi « parisien ». Le milieu de l’entreprise est très codifié, et cette baffe en tant qu’enfants dits « transclasse », nous sommes nombreux à la recevoir au moment d’entrer dans la vie active. À mon sens, il est urgent de créer des ponts entre les quartiers et les entreprises, les zones rurales et les villes. Mais nombre de nos concitoyens sont enfermés dans des bulles informationnelles véhiculées par les écrans et les médias sociaux. Résultat : on ne confronte plus ses idées, on se conforte. C’est le mal du siècle. Je vis aujourd’hui en zone rurale, un territoire où l’on rencontre peu de personnes étrangères ou racisées. Le RN y a réalisé le score historique de 60 % aux dernières législatives. L’idée d’avoir affaire à deux France me fait très peur.
« Si on veut cultiver ce que notre pays a de plus beau, c’est-à-dire sa diversité, il faut créer des opportunités pour reconnecter les univers. »
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Selon une étude publiée par Mozaïk RH en décembre 2021, 50 % des entreprises du CAC40 n’ont aucune diversité ethnoculturelle dans leurs Comités exécutifs qui ne comptent que 23 % de femmes. Autrement dit, 90 % des membres de Comités exécutifs sont blancs et dotés de patronymes à consonance européenne…
On a un peu avancé ces dernières années sur la place des femmes, mais on doit faire mieux. Pour les personnes aux origines sociales moins privilégiées et les minorités ethnoculturelles, le chantier est immense. À peine 5 % des dirigeants viennent de la diversité socioculturelle. Le plafond de verre existe aussi à ce niveau-là. L’enjeu consiste à mener un travail d’empowerment auprès des nouvelles générations pour qu’elles s’autorisent à aller massivement vers les grandes écoles et qu’elles puissent rejoindre les postes à responsabilité. Des associations comme Camplus, Destins Liés et Ghettup mènent ce travail de fond au quotidien. Mais il reste aussi à faire un énorme travail auprès des recruteurs. Cela va de pair, car dans l’esprit des jeunes diplômés moins privilégiés, l’équation est simple : à quoi bon monter en compétences si à l’arrivée les portes restent fermées ? L’exclusion aura pour conséquence la fuite de nos talents dans d’autres pays. La lutte contre les discriminations nous concerne tous. Un salarié sur deux redoute d’en être victime. L’âge, le genre, le poids, la couleur de peau, le handicap visible ou non… Il existe 25 critères de discrimination en France. Ce sujet devrait être une priorité nationale.
En quoi les entreprises et notamment le secteur du numérique auraient tout à gagner à se nourrir de la diversité culturelle et sociale ?
Les entreprises sont nombreuses à souffrir de la pénurie de talents. De l’autre côté, beaucoup ne postulent pas et s’autocensurent, soit en raison de leur âge, soit parce qu’ils ne s’estiment pas assez diplômés, ou se pensent trop loin géographiquement du poste. Une solution serait que les entreprises programment des formations internes pour miser davantage sur le potentiel des candidats plutôt que sur leurs diplômes. Certaines ont franchi le pas, à l’instar de la SNCF, mais elles sont encore trop peu nombreuses. D’autres pistes en expérimentation peuvent faire leurs preuves, comme former les dirigeants au recrutement inclusif, les inciter à l’effort de sourcing pour diversifier les viviers. Les organisations grandissent, s’internationalisent et se doivent d’être le reflet de leur pays, afin de devenir inspirantes au risque de s’asphyxier. Nous n’avons pas d’autre option, et je suis surpris qu’elles n’aient pas encore opéré leur mue. Celles qui ont une vraie politique de diversité au sein de la French Tech Next40 / FT 120, sont rares. Moins de 13 % affichent une politique de diversité et d’inclusion. Tout reste à construire !
Quels outils les entreprises peuvent-elles mettre en place pour favoriser la représentation des profils issus de la diversité dans leurs instances exécutives ?
La clé est de transformer le recrutement. D’ici 2030, il manquera 1 million de personnes pour occuper les postes de la Tech, d’après l’Institut Montaigne. Les entreprises doivent oser le pas de côté, c’est l’enjeu des prochaines années. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe plein de leviers : nouer des partenariats avec des écoles autres que les très grandes écoles, aller vers les facs, les IUT, les filières technologiques, s’intéresser à la reconversion professionnelle ou à des méthodes alternatives comme l’entretien par simulation proposé par France Travail depuis une vingtaine d’années, qui permet d’évaluer le niveau de compétence d’un candidat grâce à des mises en situation. On peut aussi accompagner le changement de façon plus globale. Dans cette optique, Diversidays s’est associée à la Fondation Mozaïk pour lancer Tech Your Place et aider les entreprises de la Tech à renforcer leurs politiques d’inclusion en formant leurs équipes au cadre légal et aux pratiques inclusives tels que les job datings. Aujourd’hui, une cinquantaine d’entreprises (start-ups, grands groupes et fonds d’investissement) adhèrent au dispositif. Nos organisations ont un rôle immense à jouer dans la lutte contre le repli sur soi. Elles ont les clés pour favoriser l’essor de nos territoires. Plus elles seront innovantes en matière de recrutement, plus elles pourront remplacer les murs par des ponts.
Article écrit par Sophie Dussaussois, édité par Ariane Picoche, photos : Thomas Decamps pour WTTJ
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