Recruteurs : « Ne laissez plus les candidats ayant connu un burn-out de côté ! »

05 sept. 2024

6min

Recruteurs : « Ne laissez plus les candidats ayant connu un burn-out de côté ! »
auteur.e
Marie-Sophie ZambeauxExpert du Lab

Consultante, auteure et conférencière en recrutement et marque employeur

Grossophobie, âgisme, racisme… certains motifs de discrimination systémiques à l’embauche sont hélas connus de longue date. Mais, parmi eux, se glisse également le regard posé sur les travailleurs anciennement en burn-out. Un évincement que notre experte Marie-Sophie Zambeaux considère tout aussi préjudiciable à ces candidats qui ont fini par « brûler », qu’aux organisations qui s'y adonnent.

Le burn-out touche un nombre croissant de travailleurs en France. Même s’il reste difficile à quantifier précisément -tant il demeure tabou entre les quatre murs de l’entreprise-, ce phénomène est loin d’être anecdotique. Le cabinet Empreinte Humaine avance notamment le chiffre de 2,5 millions de Français concernés par cette problématique d’épuisement professionnel. Mais tandis que ces dernières années, il est devenu un sujet de société en étant progressivement reconnu, les employeurs se sont vus enjoindre de respecter leur devoir de sécurité et de protection de la sécurité mentale et physique de leurs employés.

On a alors regardé du côté de la charge ou de l’environnement de travail, moins celui des processus de recrutement. Pourtant, force est de constater que bon nombre de candidats qui cherchent à rebondir après un burn-out se heurtent aux portes de l’entreprise. Pourquoi le syndrome d’épuisement professionnel reste-t-il préjudiciable aux candidats qui avouent en avoir fait les frais ? Pour quelles raisons cette discrimination de la part des recruteurs et, plus largement, des organisations, persiste-t-elle ? Et comment y remédier pour le bien de tous ?

Un motif de discrimination qui ne dit pas son nom

Commençons par le commencement : « Burn-out ». L’anglicisme est désormais tellement connu que sa définition peut sembler aller de soi. Et pourtant, la notion est plus protéiforme qu’elle n’y paraît. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il s’agit « d’un syndrome d’épuisement professionnel résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès ».

De plus, il est généralement caractérisé par trois éléments factuels :

  • Un sentiment d’épuisement émotionnel : de sorte que ces travailleurs se sentent vidés de leur substance,
  • Le cynisme : par le biais d’un sentiment de négativité lié aux autres et à son travail,
  • Un sentiment de non accomplissement personnel : avec une sensation d’efficacité professionnelle réduite.

Or, si de plus en plus de salariés sont concernés par la problématique, un chiffre a dernièrement retenu mon attention : 7 % seulement osent en parler avec leurs supérieurs, par peur de représailles ou de discrimination. Autant dire que le chiffre est extrêmement faible. Alors imaginez combien de candidats osent être transparents sur le sujet lors d’un processus de recrutement… J’entends déjà certains d’entre vous évoquer le fait qu’un candidat n’a pas à aborder son état de santé lors d’un entretien, tout comme un recruteur n’a pas à lui poser de questions à ce propos. Cela fait légitimement partie des motifs de discrimination réprehensibles. Il n’empêche que je rêve d’un monde du travail où un candidat pourrait sereinement justifier d’un départ ou d’un trou dans son CV en raison d’un burn-out ou d’une dépression.

À juste titre donc, rares sont ceux à oser évoquer cet épisode de leur vie, par crainte d’être purement et simplement évincés du processus de recrutement. Et pour cause, certains recruteurs n’hésitent pas à écarter les profils ayant mentionné un burn-out, voire y ayant simplement fait allusion. La cause ? Ils les jugent à tort comme trop faibles, trop fragiles, trop instables. Un manque de fiabilité supposé qui les fait percevoir comme des éléments à risque ne sachant pas s’adapter, gérer le stress, travailler sous pression, encaisser les critiques, ou encore respecter les deadlines et les engagements. N’ayons pas peur des mots, ils sont considérés comme de véritables « bombes à retardement » qu’il vaut mieux soigneusement et systématiquement ne pas retenir, afin d’éviter toute erreur de casting.

De telles pratiques ne sont bien évidemment pas ouvertement affichées, mais s’appliquent officieusement. Déjà parce qu’elles sont illégales. Mais aussi et surtout parce qu’elles touchent à la santé mentale, l’un des sujets qui fait peur par excellence. La crainte d’être concerné implique que 20 % des profils à risque élevé privilégient le déni. Ainsi, parce que tout le monde peut potentiellement être affecté -et terrifié à la simple idée que cela lui « tombe dessus »-, conjurer le burn-out reviendrait à éloigner le plus possible celles et ceux l’ayant déjà vécu comme s’ils étaient contagieux ! Sans oublier que l’on a tendance à mettre allègrement dans le même panier les notions de dépression, burn-out et bipolarité. Un énorme amalgame est alors entretenu autour des personnalités « à problème ».

Un préjudice pour les candidats comme les entreprises concernés

La double peine pour les candidats lésés

Cette discrimination est un véritable fléau pour les candidats : voir leurs candidatures rejetées les unes après les autres est profondément illégal et injuste, d’autant que cela peut vraiment être vécu comme une double peine. Forcément, alors que ces derniers ont d’abord vécu un épisode de burn-out éprouvant, mettant en cause leur équilibre physique et/ou moral, ils doivent se démener pour remonter la pente. Et lorsqu’arrive le moment de se remettre en selle, voici qu’on leur met des bâtons dans les roues, en écartant leur candidature et en les renvoyant sans cesse à leur burn-out passé. Cela revient, en quelque sorte, à leur faire payer cet événement une seconde fois.

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Une perte immense pour les entreprises autrices

Côté organisations, les dégâts sont également nombreux même si, a priori, moins flagrants que pour les candidats :

  • La privation d’un précieux vivier de talents : à l’heure où 57,4 % des recrutements sont jugés difficiles par les entreprises, d’après l’enquête Besoins en main d’œuvre en 2024 par France Travail, avouez qu’il est dommage de faire délibérément une croix sur des candidatures potentiellement pertinentes.
  • La mise à l’écart de candidatures qui pourraient apporter beaucoup : les personnes ayant traversé un burn-out ont d’indéniables atouts : grande résilience, forte capacité d’adaptation, empathie accrue… En bref, elles se montrent plus à même de comprendre les difficultés des autres, ce qui peut être un réel atout dans des postes à responsabilité et/ou nécessitant de travailler en équipe. Enfin, elles disposent d’une meilleure connaissance de leurs limites et de leurs besoins. Après un burn-out, ces travailleurs sont souvent plus à l’écoute d’eux-mêmes. Cela peut leur permettre de mieux gérer leur charge de travail et ainsi prévenir de nouveaux épisodes d’épuisement. Autant de qualités précieuses dans le monde du travail actuel. Les organisations ont donc tout à gagner à intégrer ces profils, afin de tirer pleinement bénéfice de cette diversité de parcours et d’expérience.
  • Le caractère discriminatoire d’une telle pratique pourrait nuire à leur marque employeur comme leur image de marque : qu’une telle éviction des candidats ayant fait un burn-out se sache à l’extérieur, c’est prendre le risque de porter gravement et légitimement atteinte à l’image ainsi qu’à la réputation de son entreprise. En conséquence de quoi sa capacité à attirer comme à retenir aussi bien ses candidats, prestataires et/ou clients serait mise à mal.
  • Un risque de contentieux bien réel : la discrimination des candidats ayant subi un burn-out peut exposer les entreprises à des contentieux juridiques coûteux. Dans les faits, cela reste cependant très difficile à prouver et rares sont les candidats à saisir la justice.
  • Une remise en cause de l’éthique de ces organisations : en tant que premier maillon de la chaîne de l’emploi, il est de la responsabilité sociétale des entreprises de ne pas laisser sur le bas-côté les personnes ayant traversé un burn-out et leur donner la possibilité de se réinsérer.

Certes, mais une fois qu’on a dit ça, comment faire pour améliorer concrètement les choses ?

Burn-out : 3 leviers pour adopter un recrutement plus inclusif

Comme souvent, il n’existe pas de recette miracle pour tout changer d’un coup de baguette magique. Je vous propose néanmoins trois leviers d’action pour faire évoluer, petit à petit, les pratiques au sein de votre organisation, afin de favoriser le recrutement de ces profils ayant vécu un burn-out.

Levier n°1 : former et sensibiliser tous vos collaborateurs

C’est bien connu, ce qu’on ne connaît pas fait souvent peur, et le burn-out ne fait pas exception à la règle. Il est si mal appréhendé que de nombreux clichés circulent à son sujet. Aussi, la première chose à mettre en œuvre est de former et sensibiliser au burn-out toutes les parties prenantes du recrutement, comme tous les collaborateurs de votre entreprise. Définition, symptômes, moyens de prévention, méthodes de guérison… tout doit être passé au peigne fin, afin de permettre à chacun de comprendre et d’intégrer que le burn-out peut toucher tout le monde. Mais aussi pour que recruteurs et managers puissent apprendre à dépasser leurs préjugés discriminatoires, et discernent ainsi mieux les compétences et le potentiel réels des candidats au-delà de leur épisode de burn out.

Levier n°2 : mettre les managers face à leurs responsabilités

Outre la formation, je recommande également une pratique simple mais efficace à mener auprès de vos managers. Il s’agit, en tant que recruteur, de leur demander systématiquement lors de l’étape du recueil du besoin -et donc en amont de la présélection de CV et des entretiens- s’ils sont prêts à examiner des profils ayant fait un burn-out et à les embaucher réellement. Cela a le mérite de poursuivre la sensibilisation des managers, en les encourageant à réfléchir et se positionner sur le sujet. Certes, ils seront toujours susceptibles de faire machine arrière après coup, mais cela contribuera petit à petit à faire passer le bon message.

Levier n°3 : favoriser le dialogue et la transparence

Enfin, ma dernière recommandation sera de favoriser, au sein de l’organisation, le dialogue et la transparence sur le sujet des risques psychosociaux, et plus particulièrement du burn-out, bore-out, brown-out et de la dépression. L’objectif ? Tout d’abord, de permettre à l’ensemble des collaborateurs de se sentir à l’aise et en sécurité pour évoquer leurs propres difficultés. Mais aussi que les managers soient mieux outillés pour réagir comme il se doit et les accompagner en conséquence. Libérer la parole sur le sujet en interne, c’est offrir un climat plus propice à la compréhension et à « l’acceptation » du burn-out des candidats.

Grâce à ces différents leviers d’actions, les entreprises pourront non seulement contribuer à une société plus juste et inclusive, mais également bénéficier d’une performance accrue grâce à une plus large diversité de leurs talents.

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Article rédigé par Marie-Sophie Zambeaux et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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