Autohypnose : « interagir avec notre inconscient peut nous aider au travail »
31 mars 2022
8min
Photographe chez Welcome to the Jungle
Journaliste - Welcome to the Jungle
« Il va falloir que tu te concentres là », « on va avoir besoin que tu redoubles de créativité », « la clé, c’est d’avoir confiance en soi ». Au travail, on nous demande presque tous les jours d’activer des compétences… sans vraiment nous expliquer comment. Pour nous aider à tirer pleinement profit de nos capacités, Kevin Finel, fondateur et président de l’ARCHE, l’institut de formation et de recherche en hypnose Ericksonienne, a réuni des dizaines d’exercices pour se familiariser avec l’autohypnose dans le but de prendre le contrôle de nos facultés cognitives dans son dernier livre Explorez les capacités de votre cerveau avec l’autohypnose (1). Nous l’avons rencontré au sein de son école à Paris pour comprendre comment interagir avec notre inconscient peut nous aider dans notre vie professionnelle. Schlafen !
Kevin Finel, dans votre dernier livre, Explorez les capacités de votre cerveau avec l’autohypnose, vous donnez des exercices pour développer des compétences grâce à cette discipline. Dans la vie professionnelle, en quoi cette pratique est-elle bénéfique selon vous ?
Il peut être intéressant de se former à l’autohypnose car elle fournit un mode d’emploi pour développer des capacités déjà présentes en nous mais qu’on ne nous a pas appris à dompter. Que ce soit à l’école ou au travail, on exige beaucoup de choses de nous : être concentré, créatif, ou encore confiant, mais on ne nous a jamais expliqué comment y parvenir concrètement. Cela nécessite de plonger en soi et d’identifier ce qui favorise ou empêche le développement de ces capacités. Au travail, les exercices d’autohypnose peuvent nous aider à gérer notre stress, à digérer une émotion, à entrer en état de flow, à se libérer du regard des autres, à développer son intuition… D’autres exercices sont aussi bénéfiques dans la recherche de sens en travaillant sur nos valeurs et la construction de notre identité. L’autohypnose peut donc suffire pour améliorer son quotidien, mais bien sûr, si vous rencontrez un problème sérieux plus enfoui, mieux vaut privilégier l’accompagnement d’un professionnel dans le cadre d’une thérapie.
En quoi consiste l’autohypnose, concrètement ?
L’autohypnose, c’est tout simplement le fait de s’hypnotiser soi-même. On pense souvent que seul un spécialiste peut nous guider pour atteindre cet état de conscience modifié, mais on peut très bien y arriver tout seul, à la force de notre pensée et de notre imagination. C’est même assez facile à apprendre !
Quel est donc le secret pour être plus à l’écoute de son inconscient ?
Notre cerveau est un organe très attaché à la routine. Pour lui, nous sommes un ensemble d’habitudes très cadrées et codifiées depuis l’enfance. La clé pour communiquer avec son inconscient, c’est justement de perturber le cerveau en lui demandant de faire quelque chose d’inhabituel. Par la force de notre imagination, on le pousse dans une certaine instabilité, on le fait sortir des ornières de notre quotidien. Si l’hypnose est souvent associée à une forme de magie ou d’ésotérisme, il n’en est rien. Depuis plus d’un siècle, des milliers d’études en sciences cognitives et neurosciences ont réussi à expliquer ces phénomènes et approuvent les résultats que l’on peut obtenir en le pratiquant.
« Au travail, les exercices d’autohypnose peuvent nous aider à gérer notre stress, à digérer une émotion, à entrer en état de flow, à se libérer du regard des autres, à développer son intuition. »
Il y a donc encore beaucoup d’idées reçues sur cette discipline… Nombreux sont ceux qui imaginent que l’état d’hypnose induit une perte de contrôle et donc s’y refusent. Mais pour vous, c’est au contraire un bon outil pour se sentir plus en maîtrise de sa vie professionnelle ?
Cette croyance selon laquelle on perdrait tout contrôle sous hypnose assez répandue, mais elle est fausse. Il y a encore un long travail de pédagogie à faire à ce sujet même s’il a déjà commencé à porter ses fruits depuis quelques années. Les spectacles d’hypnose ont tendance à entretenir ce mythe autour duquel on pourrait forcer des gens à faire des choses, leur enlever leur consentement ou leur libre-arbitre. D’ailleurs, il y a une grosse part de mise en scène dans ces shows. Des études ont évidemment été menées pour répondre à cette question et les résultats sont formels : on ne perd absolument pas le contrôle. Au contraire même, cette pratique nous ouvre les portes très intimes d’une part plus profonde de nous. Alors que finalement, c’est peut-être plutôt en état de conscience normal qu’on accepte de subir ou de faire des choses qui dépassent nos limites, non ?
Passons à l’aspect pratique : pouvez-vous nous donner un exemple d’exercice d’autohypnose qui puisse servir dans le cadre professionnel ?
Bien sûr ! Concentrons-nous par exemple sur le stress, une émotion dont tout le monde a déjà plus ou moins fait l’expérience. L’hypnose nous apprend déjà une chose fondamentale : il est tout à fait possible d’en amplifier ou d’en diminuer son niveau. Même si faire augmenter son stress paraît contre-intuitif, il est toujours intéressant de savoir qu’il est possible de modifier son volume comme avec un curseur, ne serait-ce que dans le cadre de l’expérimentation.
Un exercice efficace pour arriver à gérer son stress consiste à se remémorer un ou des moments où on l’a expérimenté et à se demander comment cette tension a tendance à se manifester dans notre corps : par des maux de ventre ? La gorge sèche ou nouée ? Des tremblements ? Chacun le vit différemment. Ensuite, il faut s’imaginer notre stress de manière visuelle. Si vous deviez l’objectifier, à quoi ressemblerait-il ? Pensez à sa forme, sa couleur, son poids, sa température, son mouvement… Le langage inconscient est très symbolique et se nourrit d’images. Enfin, pour le diminuer, il suffit de faire varier les paramètres de cette image. Par exemple, si mon stress prend la forme d’une boule rouge, chaude qui tourne et qui pulse, que se passe-t-il si elle devient plus légère, verte, si elle tourne moins vite ou si elle se déplace dans mon corps… ? Ça va brouiller le cerveau qui ne saura plus très bien ce qu’il doit faire et l’émotion va diminuer. À l’inverse, si on renforce ce que le cerveau fait (par exemple en visualisant une boule rouge qui tourne plus vite encore), ça va l’intensifier. Vous voyez, c’est comme si on rentrait dans le code de l’inconscient, qu’on interagissait avec lui pour ne plus subir ce qu’il nous arrive.
Ici, on fait donc appel à notre imagination, sur quels autres procédés reposent les exercices que vous recommandez ?
On peut par exemple chercher à identifier les causes d’un problème grâce à l’hypnose, notamment dans des cas de déficit de confiance ou d’estime de soi. La plupart du temps, ce mal-être résulte d’un décalage entre ce qu’une ou des personnes - cela peut être un parent, un enseignant, un collègue, ou nous-même - attendent de nous et qu’on n’arrive pas à combler. Ça peut se déclencher à travers une phrase que quelqu’un nous a dite ( « tu n’es pas assez intelligent », « tu n’y arriveras jamais »…) et qui résonne en nous des années plus tard sans que l’on se rende vraiment compte. Alors avec l’hypnose, on travaille sur l’histoire intérieure. Un peu comme si on réécrivait un scénario imaginaire pour stopper un apprentissage inconscient selon lequel on ne serait pas assez bien. Dans le cas où un instituteur nous aurait fait une remarque cassante dans notre scolarité, on peut revenir dans ce souvenir avec l’hypnose et redonner à cet enseignant ce qui lui appartient : c’est son point de vue, mais pas le nôtre.
« Les spectacles d’hypnose ont tendance à entretenir ce mythe autour duquel on pourrait forcer des gens à faire des choses, leur enlever leur consentement ou leur libre-arbitre. »
Quel est le meilleur moment pour se prêter à ces exercices d’autohypnose ? Vaut-il mieux y avoir recours en situation, en s’isolant dans les toilettes du bureau si on a un pic de stress par exemple ? Ou le faire à la maison ?
Je recommanderais plutôt de pratiquer les exercices une ou deux fois tout·e seul·e à un moment où on se sent bien avant de l’utiliser en situation pour éviter d’être submergé par les émotions ! Si ces exercices demandent un peu d’entraînement, il n’y a pas non plus besoin de pratiquer tous les jours pour avoir des résultats, c’est assez efficace.
En tant qu’hypnothérapeute, quels sont les obstacles ou les blocages professionnels que vous observez le plus fréquemment chez les personnes que vous suivez ?
Ça dépend, mais en ce moment, je constate qu’il y a beaucoup de demandes de personnes qui ressentent une certaine pression à répondre aux nombreuses sollicitations, qui ont du mal à couper du travail et à trouver un équilibre entre leur vie personnelle et professionnelle. Ça se manifeste souvent par du stress, une sensation de ne jamais en faire assez et certains frôlent même le burn-out.
Nous sommes de plus en plus sensibilisés à ces problématiques de santé mentale au travail et l’hypnose semble être une solution pour en prendre soin. Mais en se lançant dans une telle démarche de travail sur soi-même, ne risque-t-on pas de se tenir responsable de tous nos malheurs ? Parfois, nous n’avons pas confiance en nous parce que notre environnement professionnel nous a fait perdre toute estime de nous-même…
Tout à fait. Mais cette injonction à devoir agir pour se sentir mieux à tout prix sans vraiment prendre en compte le contexte est plutôt une dérive du développement personnel. En hypnose, lorsqu’on travaille sur notre identité, on apprend à déterminer ce qu’on accepte ou pas. Quand on soulève des problématiques de harcèlement par exemple, je vois bien que certaines personnes se rendent compte trop tard qu’elles n’avaient pas conscientisé leurs limites et restaient donc passives dans des situations d’abus ou de manipulation.
« Avec l’hypnose, on travaille sur l’histoire intérieure. Un peu comme si on réécrivait un scénario imaginaire pour stopper un apprentissage inconscient selon lequel on ne serait pas assez bien. »
Dans votre livre, vous abordez des thématiques communes à celles du développement personnel comme la confiance en soi, la procrastination, la peur ou encore la gestion de l’échec. En quoi l’approche de l’hypnose se distingue-t-elle ?
Elle est très différente. Quand le développement personnel met l’emphase sur la volonté de changer à tout prix quitte à forcer les choses, l’hypnose va plutôt inciter à engager une négociation avec soi-même ce qui est plus efficace. Si par exemple, vous avez envie d’arrêter de procrastiner ou de faire un régime, le développement personnel vous recommandera d’être dur avec vous-même, d’être déterminé et d’agir. Mais le problème, c’est qu’il ne prend pas en compte notre inconscient qui a aussi ses raisons de ne pas vouloir avancer dans ce sens. Alors on donne tout jusqu’à s’épuiser puis à abandonner. L’hypnose, elle, ne dit pas aux personnes qui n’arrivent pas à changer que c’est par manque de volonté, elle compose de manière plus réaliste avec ce que nous dit notre inconscient.
Pour finir, quel exercice simple à réaliser recommandez-vous pour se familiariser avec l’autohypnose ?
Il y a un exercice très basique pour appréhender les sensations de l’autohypnose et se détendre à la fois qui consiste à faire léviter un membre de notre corps. La plupart du temps, quand vous bougez, vous avez pleinement conscience des mouvements que vous exécutez. Mais imaginez que votre main commence à bouger toute seule ? Cela recentre votre attention sur votre corps au détriment de votre pensée, vous allez avoir l’impression de vous dissocier. L’exercice est simple à réaliser. On peut se mettre debout, les bras le long du corps, observer notre respiration et notre équilibre, puis focaliser notre attention sur une main. Ensuite, on l’imagine toute légère. Si légère qu’elle serait attirée par le ciel. Au bout de quelques minutes, votre main va se lever toute seule, sans que vous ayez besoin de la contrôler. Laissez-la léviter et ressentez au bout de quelques minutes la sensation de légèreté envahir le reste de votre corps… Les effets sont comparables à une séance de méditation assez profonde car cela demande un vrai travail de centrage sur soi-même…
(1) Explorez les capacités de votre cerveau avec l’autohypnose, de Kevin Final, à paraître le 12 avril 2022 aux Éditions Leduc, 18 euros.
Article édité par Romane Ganneval. Photo de Thomas Decamps
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