Brown out : comment prévenir et surmonter ce syndrome pernicieux ?
28 févr. 2024
5min
Journaliste freelance
Le syndrome du brown out, défini pour la première fois par le psychologue du travail français Christophe Dejours dans les années 70, est un danger méconnu pour les salariés et les entreprises. Alors que le burn out et le bore out sont désormais identifiés, le brown out, lui, se distingue par son lien étroit avec la perte de sens au travail.
Qu’est-ce que le Brown Out ?
Le brown out, également appelé « syndrome de désengagement professionnel », se caractérise par un manque de sens dans son travail, notamment dû à la réalisation de tâches non stimulantes. Contrairement au burn out, où l’épuisement provient d’une surcharge de travail, le brown out survient lorsqu’on se sent déconnecté de nos missions ou de nos objectifs professionnels. En France, on compte pas moins de 54% de travailleurs désengagés ou démotivés par leur travail. Le chiffre diminue et atteint 37% pour la moyenne mondiale, selon une enquête Ipsos. Pour Ariane Giannaros, consultante et thérapeute spécialisée dans l’accompagnement des managers et des dirigeants, « c’est un cas de figure que j’observe de plus en plus souvent, bien que les bonnes pratiques se répandent et que les entreprises sont plus à l’écoute sur ce sujet. »
Quelles différences avec le burn out et le bore out ?
Burn out : il s’agit d’un état d’épuisement physique ou mental causé par une dégradation des conditions de travail (perte d’autonomie, surcharge de travail, manque de reconnaissance), se manifestant par un niveau élevé ou chronique de stress, qui peut conduire à des problèmes de santé graves tels que la dépression.
Bore out : il résulte quant à lui d’une sous-charge de travail, provoquant un ennui total avec des effets similaires à ceux de l’épuisement professionnel.
Brown out : plus difficile à identifier précisément, le brown out décrit un état où on « manque de jus », lorsqu’on effectue nos tâches de façon mécanique et sans souci de qualité. Plus insidieux, il nécessite une attention accrue des managers.
Comment se manifeste le brown out ?
Les manifestations du brown out se développent progressivement dans le temps et ne sont pas toujours évidentes à déceler. Contrairement au burn out, qui peut se manifester brusquement avec un épuisement impactant la performance au travail, le brown out s’installe furtivement. On vaque à nos tâches sans subir un épuisement soudain, mais le désintérêt pour nos missions engendre une perte croissante de motivation. On peut alors ressentir un sentiment d’inutilité, une impression d’accomplir des tâches absurdes, de perdre notre temps ou même de ne pas être en adéquation avec notre rôle. Le brown out peut également émerger d’une incompréhension des ordres hiérarchiques et des valeurs fondamentales de l’entreprise.
Ces sentiments mènent inévitablement à un désengagement de notre part. Nous sommes alors partagés entre la nécessité de conserver notre emploi et l’impression de devoir réaliser des tâches non productives, vaines et dénuées de sens. Conséquences potentielles ? Une diminution de l’attention, une baisse de la qualité et de la productivité, des relations professionnelles altérées (isolement, agressivité, cynisme), une remise en question à la fois professionnelle et personnelle, une profonde dévalorisation de soi et de son travail, des troubles du sommeil, un état d’anxiété voire de dépression, ainsi que des absences fréquentes au travail.
Quels sont les profils les plus touchés par le brown out ?
Le brown out est fréquemment associé à l’émergence des « bullshit jobs » (littéralement : « emplois à la con »). Ces positions peu stimulantes ont proliféré avec l’avènement du web et des nouvelles technologies. Les secteurs les plus affectés ? L’e-commerce, le management, les ressources humaines, la communication et le marketing… Alors que le burn out affecte généralement les cadres et les professions intermédiaires, le brown out se manifeste principalement chez les jeunes salariés surqualifiés dont les compétences sont sous-exploitées, occupant des postes peu gratifiants. Ariane Giannaros affirme que « les personnes les plus à risque sont celles qui surinvestissent leur travail, qui s’épanouissent aussi quand on attend beaucoup d’eux, car ils aiment les challenges… Sauf que tout le monde a ses limites, et parfois, ça craque ! »
Cependant, ce syndrome peut toucher toutes les catégories de salariés. Moins visible et moins médiatisé que le burn out, il est pourtant plus répandu. Un autre profil susceptible d’en souffrir est celui des travailleurs qui ont choisi leur voie par « vocation » mais qui, une fois sur le terrain, se trouvent confrontés à une réalité bien éloignée de leurs attentes (comme certains enseignants, par exemple). « Il y a aussi ceux qui se retrouvent surchargés de tâches pas du tout diversifiées… Forcément, au bout d’un moment, ils vont lâcher ! », note Ariane Giannaros. Le brown out peut également survenir à la suite d’une évolution de poste ou d’une modification des conditions de travail, en particulier dans les start-ups, où les changements rapides exigent une adaptation constante à de nouveaux outils, processus et objectifs.
Quelles solutions pour prévenir et surmonter le brown out ?
Le brown out n’étant pas seulement le résultat de mauvaises conditions de travail, sa prévention est difficile à maîtriser Vous pouvez, si vous êtes en recherche d’emploi, favoriser des entreprises où les feedback mettent en avant un environnement professionnel positif qui met l’accent sur la communication, la reconnaissance des employés et le développement personnel. Si vous êtes en poste, vous pouvez demander s’il existe dans votre entreprise des programmes de soutien psychologique, ils sont parfois nécessaires pour identifier des cas et les accompagner. Vous pouvez aussi contribuer à donner un sens à votre travail en identifiant des objectifs professionnels significatifs et en établissant des limites claires entre vie professionnelle et vie personnelle. « Les profils qui prennent énormément de plaisir à performer au travail mettent parfois de côté leur vie personnelle… Or, pour que l’équilibre soit respecté, il faut se forcer à se demander ce qui compte pour soi en dehors du travail et développer aussi ce champ-là », explique Ariane Giannaros.
Voici quelques pistes pour vous éviter le brown out :
Compréhension et valorisation de vos missions : demandez à votre manager de vous expliquer régulièrement vos missions et celles de vos collaborateurs, en les replaçant dans le contexte global de fonctionnement de l’entreprise ;
Diversification des missions : faites connaître votre envie de diversifier les types et la durée de vos missions ;
Management horizontal et travail collaboratif : préférez les entreprises qui ont un management horizontal, où le travail collaboratif et le partage d’informations contribue à renforcer la cohésion et l’implication au sein de l’équipe, ce qui vous permettra de vous sentir à votre place ;
Gestion séquentielle des projets : s’assurer qu’un projet est achevé avant d’en lancer un autre permet de marquer concrètement la réussite des actions de chacun, évitant ainsi le sentiment de dispersion. Soyez transparent à ce propos avec votre manager ;
Mise en avant des progrès et des résultats : souligner constamment les points de progression et les éléments concrets d’avancement des travaux lors des présentations et réunions peut contribuer à maintenir une motivation élevée. Faites-le avec vos collègues, cela peut être un cercle vertueux qui permettra à votre supérieur d’instaurer le « management par les forces » ;
Optimisation de l’organisation des réunions : une révision de l’organisation et du timing des réunions peut les rendre plus efficaces, impliquantes et moins chronophages. Ne transigez pas là-dessus ;
Moments de convivialité et temps de respiration : le développement de temps de convivialité, de moments de respiration et de formations pratiques en petits groupes contribue à renforcer les liens au sein de l’équipe et évite donc le sentiment d’isolement. Faites savoir à votre manager que cela peut profiter à vos collègues et à vous-même, en étant pro-actif sur le sujet.
En somme, c’est le dialogue constant entre le manager et le salarié qui demeure l’outil le plus efficace pour prévenir le brown out… S’il est trop tard pour la prévention et que vous commencez à ressentir un manque de sens au travail, le plus important est d’en parler sans tabou. Et en la matière, le meilleur interlocuteur que vous puissiez trouver est un psychologue du travail et des organisations. « Solliciter un regard extérieur professionnel peut être nécessaire pour explorer la place que l’on donne au travail dans sa vie… En règle générale, la meilleure manière de lutter contre le brown out, c’est de reconnecter avec l’envie. Et c’est une démarche globale ! », conclut Ariane Giannaros.
Article édité par Gabrielle Predko et Marguerite Valiere, photo Thomas Decamps pour WTTJ
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