Être "cadre", qu'est-ce que ça veut dire au juste ? Tour d’horizon de ce statut
23 sept. 2020
5min
Rédacteur & Photographe
Difficile de savoir ce qui entre dans le statut du “cadre”. Il n’est pas forcément “encadrant”, mais souvent autonome et polyvalent. Il n’est pas non plus forcément supérieur hiérarchique, mais il se singularise par son expertise reconnue et ses compétences multiples. En tous cas, le nombre de cadres explose et beaucoup de profils distincts sont susceptibles d’y accéder. Difficile de s’y retrouver ! On vous rassure tout de suite, on n’est pas les seuls à s’emmêler les pinceaux. C’est même si compliqué que l’ANI (Accord National Interprofessionnel) s’est emparé du sujet le 18 juin dernier, pour tenter de redéfinir des contours plus précis à ce fameux statut de cadre. Explications.
Les archives du cadre
Qui sont-ils ? À quand remonte ce statut ? Pour mieux comprendre, un petit rappel historique s’impose…
Un mot issu du vocabulaire militaire
Le concept est très franco-français, puisqu’on ne lui trouve pas d’équivalent hors de l’Hexagone… C’est dans un contexte militaire qu’apparaît le mot pour la première fois. Autrefois, le “cadre” c’était le tableau où étaient inscrits les noms des officiers et sous-officiers. Puis, il a été employé pour évoquer les officiers eux-mêmes. Dans son ouvrage Le Capital, Karl Marx appelait ainsi les cadres dans « l’armée industrielle » comme une « espèce particulière de salariés », composée des « officiers supérieurs » et « officiers inférieurs ». Le terme cadre renvoie donc, depuis son origine, à l’idée d’un grade, d’une hiérarchie.
C’est seulement au cours des années 30 que le “cadre”, tel qu’on le connaît aujourd’hui émerge. Les événements du Front populaire ont conduit les chefs administratifs et les ingénieurs à se regrouper pour se différencier des patrons et ouvriers. Après la Seconde Guerre mondiale, cette population se réunit en un collège donnant naissance à la CGC (confédération générale des cadres, devenue CFE-CGC). Distingués par leurs salaires plus élevés que la moyenne, entraînant de fait d’importantes cotisations sociales, les cadres exigent la création en 1947 de leur propre caisse de retraite complémentaire, l’AGIRC.
Quand le cadre explose…
Selon une étude publiée par l’Apec (l’Association pour l’emploi des cadres) en 2019, en trente ans le nombre de cadres a doublé en France. Ils sont sur-représentés dans le secteur des services, en pleine expansion. Leur augmentation est aussi plus globalement associée aux profondes transformations du monde du travail : mondialisation, transformation numérique, ubérisation. Des changements qui induisent une montée en compétences que l’on retrouve chez les cadres. Résultat ? Passent cadres ceux qui n’avaient pas vocation à l’être ! L’explosion de cette population devenue composite, pulvérise d’ailleurs les contours de sa première définition. Au point que l’on ne sache plus vraiment qui est cadre, ou qui ne l’est pas…
Définition : un cadre flou
Dans leur ouvrage Cadre qui êtes-vous ?, les auteurs s’interrogent : « Personne ne sait ce qu’ils sont, d’où ils viennent, vers quoi ils vont. Le mot lui-même est flou, ambigu, intraduisible dans une autre langue. » Tentons donc de tirer au clair cette notion flottante qui entoure ce statut…
Le cadre n’est pas forcément “encadrant”
Ne cherchez pas dans le Code du travail, il n’existe aucune définition juridique du cadre. Est-ce que cela a un rapport avec la hiérarchie ? Faut-il encadrer une équipe pour être cadre ? Pas nécessairement. L’évolution des modes de travail fait que de plus en plus de cadres “n’encadrent pas” à proprement parler. Mais l’usage veut que les cadres occupent des fonctions au-dessus de l’exécutant, entre le patron et les salariés. Comme l’explique l’économiste Olivier Passet dans une interview accordée au à la revue audiovisuelle Xerfi Canal : « C’est un objet hybride entre l’employé et l’indépendant. »
La réforme qui pose le cadre
Depuis le 1er janvier 2019, un grand changement déséquilibre le cadre… L’Argic, la caisse retraite complémentaire qui leur est propre, a fusionné avec celle des salariés du privé. Le cadre entre donc dans le régime général et ainsi voit un de ses piliers s’effondrer. Pour sauver une catégorie socio-professionnelle menacée de disparaître, il a fallu fixer ce qui la caractérisait.
C’est chose faite avec l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 18 juin 2020. Dans sa nouvelle définition, le cadre dispose d’ « une aptitude à des fonctions à caractère intellectuel prédominant », « il implique des fonctions conditionnant ou induisant la réflexion et/ou l’action d’autres salariés », il jouit d’ « une marge suffisante d’initiative et/ou d’autonomie dont l’amplitude dépend des responsabilités et/ou de la délégation de pouvoirs qui lui sont confiés » et enfin, est doté d’une « responsabilité effective contribuant à la marche et au développement de l’entreprise ». En d’autres termes, le cadre est reconnu par son diplôme ou son expérience. Aussi, il est autonome et susceptible de manager une équipe.
En même temps, l’ANI précise « qu’il n’y a pas de définition univoque du cadre et que chaque branche peut donc définir, le cas échéant, ce qu’est un cadre selon ses propres critères dans le contexte sectoriel qui est le sien ». Nous voilà bien avancés…Toujours est-il que n’est pas cadre qui veut. Si ce statut peut paraître attrayant pour beaucoup, “passer cadre” présente aussi quelques inconvénients…
“Passer cadre” : bonne ou mauvaise idée ?
Dans l’imaginaire collectif, le cadre est celui qui dirige. Un mot qui s’apparente à une certaine réussite sociale. Mais qu’en est-il réellement ?
Un cap psychologique
« Je suis passé cadre », annonce-t-on fièrement… Cette phrase sonne comme une promotion. La première conséquence est donc psychologique. À compétences égales et à responsabilités identiques, du jour au lendemain, on se sent monter un échelon.
Une conséquence pécuniaire
Selon une étude récente, la rémunération brute annuelle médiane des cadres était à hauteur de 50 000 euros en 2019. Devenir cadre s’accompagne souvent d’une augmentation de salaire. Cependant, cette conséquence pécuniaire n’est pas toujours celle escomptée… Le cadre cotise davantage et, à salaire égal, le passage à ce statut n’est pas nécessairement plus favorable. Au lieu de voir le montant de votre rémunération grimper, elle pourrait s’abaisser. Surtout que les cadres sont tenus d’être plus investis que les autres salariés et généralement on attend d’eux qu’ils ne comptent plus leurs heures. La plupart du temps, le calcul de leur temps de travail n’est plus de 35 heures hebdomadaire, mais compté en forfait jours, dans la limite maximale de 218 par an. En contrepartie, ils bénéficient en théorie de jours de RTT… Mais encore faut-il qu’ils prennent le temps de les poser !
Pour les cadres, l’autre option : le forfait en heures, qui peut être hebdomadaire, mensuel ou annuel. Ce dispositif permet de simplifier la gestion administrative de la paie en prévoyant de rémunérer systématiquement (avec des majorations) un nombre d’heures supplémentaires accomplies de façon régulière par le salarié. Le forfait peut ne pas inclure d’heures supplémentaires ; cette hypothèse concerne principalement les salariés sous convention de forfait annuel (soit 1607 heures), qui peuvent alors s’organiser librement dans leur temps de travail sans être soumis aux horaires collectifs.
Un avantage social
Autrefois les cadres cotisaient beaucoup mais bénéficiaient d’une complémentaire retraite avantageuse. Avec l’entrée des cadres dans le régime général, cet avantage a disparu. Désormais, les cotisations permettant d’acquérir des points de retraite sont calculées de la même manière. C’est le montant du salaire qui détermine le niveau des droits à retraite et non plus la qualification de cadre ou de non-cadre.
Mais rassurez-vous, il existe d’autres intérêts à franchir ce cap. Certaines entreprises ont mis en place des politiques avantageuses pour les cadres : assurance vie, mutuelle santé de qualité, avantages en nature (véhicule de fonction, téléphone et ordinateur…). Ensuite, ils bénéficient d’une réelle protection en matière de licenciement. Leur préavis est plus long que ceux des salariés. En cas de problème, ils disposent donc de 3 mois de préavis pour se retourner. En contrepartie, leur période d’essai dure plus longtemps (3-4 mois renouvelables). Mais aussi, le cadre jouit de conditions privilégiées lorsqu’il se retrouve au chômage, puisqu’il a droit à deux ans de chômage à taux plein !
Alors, le bilan ? Plus de responsabilités, plus d’autonomie, moins de temps pour soi, davantage de stress, mais aussi plus de confort… Généralement les avantages financiers et matériels viennent compenser la brutalité de ce changement de cap. Au fond, la vraie question est : êtes-vous prêt ?
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Photo d’illustration by WTTJ
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