L’après-cancer du sein : « Je ne voulais pas être un boulet au travail »
07 oct. 2021
6min
Journaliste - Welcome to the Jungle
En France, le cancer le plus fréquent chez la femme est celui qui touche le sein, avec environ 60 000 nouveaux cas par an. Au cours de leur vie, 10% des femmes françaises contracteront un cancer du sein, dont une majorité après cinquante ans. Mais si l’incidence a beaucoup augmenté ces dernières années et touche des femmes de plus en plus jeunes, l’amélioration des traitements et le dépistage précoce ont sensiblement amélioré le taux de rétablissement des malades. Pour autant, le retour au travail des femmes guéries d’un cancer du sein n’est pas toujours la règle : selon une étude publiée dans le Journal of Clinical Oncology, 21% des femmes, soit une sur cinq, n’a pas repris une activité professionnelle un an après l’arrêt des traitements. Entre peur de ne plus pouvoir suivre le rythme et d’être un fardeau pour l’entreprise et ses collègues, Louise nous raconte ses premiers pas dans l’entreprise après avoir combattu un cancer du sein de stade 3.
Au bout d’un an et demi de suivi médical intensif comprenant de la chimiothérapie, de la radiothérapie et de l’opératoire, on a fini par me dire que j’avais gagné la bataille, que j’étais une survivante. Mais à peine avait-on prononcé le mot « rétablissement » qu’on m’a demandé : « Alors, quand est-ce que tu reprends le travail ? » Avec le recul, je sais à quel point, il est normal de réagir de cette façon. Tes proches ont envie de te voir reprendre une activité. Même s’il n’est pas toujours simple de comprendre que le chapitre de la maladie s’est refermé et qu’il est temps pour toi de retourner dans le monde, pour eux, cela signifie que tu vas bien, qu’ils vont eux aussi reprendre le cours de leur vie. Pourtant, après la joie de l’annonce de la rémission, c’est une nouvelle difficulté à affronter, et pas des moindre.
« J’ai voulu reprendre le travail en prouvant que j’étais toujours la même »
Pendant le temps de la maladie, j’ai toujours voulu garder un lien avec mon employeur, j’avais une collègue proche qui prenait régulièrement de mes nouvelles et m’informait des changements au sein de l’entreprise. Après, il y a toujours un moment où le malade finit par décrocher. Comme il est plongé dans une sorte de brouillard cognitif à cause des traitements, il n’arrive même plus à ouvrir sa boîte mail. L’entreprise finit elle aussi par s’éloigner, d’abord par peur de déranger, mais aussi parce qu’elle n’a pas le temps. Elle doit continuer à avancer.
Personnellement, j’ai toujours eu hâte de reprendre mon activité professionnelle, surtout qu’à mon âge - la petite quarantaine - ne se posait pas vraiment la question de l’arrêt de travail, sauf pour une grippe ou après un accident de ski. J’étais enthousiaste et impatiente. D’ailleurs, je voyais bien que mon corps récupérait : je ne mettais plus quatre minutes à me lever d’une chaise, je pouvais de nouveau descendre de chez moi pour acheter une baguette, mon emploi du temps géré par l’hôpital pendant toute cette période était délesté de rendez-vous médicaux… J’avais vécu une catastrophe personnelle, oui, mais je reprenais la main sur ma vie. Le travail était l’étape ultime dans ce retour au monde. Le problème, c’est que j’ai voulu reprendre en prouvant que j’étais encore la même. Je m’étais projeté un idéal. Je pensais que j’étais très attendue, que la machine avait tourné au ralenti sans moi et qu’il était temps que j’impulse une énergie nouvelle au bureau. Après tout, je n’avais pas été remplacé pendant mon absence, il n’y avait eu que des solutions d’organisation temporaires. Malheureusement, comme vous pouvez l’imaginer, j’ai très vite déchanté et aujourd’hui je le sais, on ne peut pas revenir dans un poste avec ces idées en tête.
« Le cancer est un révélateur important concernant ton projet de vie »
Après l’arrêt des traitements, est venu le temps du rendez-vous avec la médecine de travail pour mon entretien de pré-reprise. Les stigmates de ma maladie étaient encore visibles : j’avais les cheveux très courts et bruns alors que mes collègues m’avaient toujours connu avec une crinière blonde, je blanchissais comme un linge à chaque coup de fatigue, mais j’ai donné le change. Je pensais que même si je n’étais pas encore totalement remise physiquement et psychologiquement, le travail m’aiderait à aller mieux. À ce moment, c’était à moi d’évaluer si je pouvais prendre le métro, gérer une journée complète au travail, les réunions interminables, les coups de téléphone… et, bien sûr, je surestimais mes capacités. Généralement, après une maladie comme la mienne, la médecine du travail propose un mi-temps thérapeutique jusqu’à six mois qui permet de retourner au travail de façon graduelle, ce que j’ai fait. Aujourd’hui, je conseille à toutes les personnes touchées de le prendre pour éviter les déconvenues, et ce, même si chaque histoire est différente.
Certains vont reprendre le travail en traînant des pieds, d’autres vont être impatients mais s’apercevoir qu’ils restent dans un poste qui ne leur convient plus ou vont peu à peu retrouver leurs repères et enfin, il y a celles et ceux qui ont des métiers très physiques qu’ils ne pourront plus exercer. Seulement, si chaque personne a ses besoins, ses envies, son parcours, nous ne pouvons pas faire comme s’il n’y avait pas eu de “crabe” en nous. D’autant que le cancer est un révélateur important concernant ton projet de vie, ton projet professionnel, et même ton projet affectif. Avant la maladie, mon travail, c’était ma vie, et fort heureusement, depuis mon premier retour j’ai évolué. Mais il ne faut pas stigmatiser ou juger ceux qui ne veulent plus être dans l’avant ou ne s’en sentent plus capables. C’est très intime.
« Pour éviter d’être un fardeau et montrer que j’étais au rendez-vous, j’ai surjoué »
Quand j’ai remis les pieds au bureau pour la première fois, je me suis rendue compte que mes collègues n’étaient pas prêts, ou du moins qu’ils ne savaient plus vraiment comment communiquer avec moi. Je ne revenais pas d’un tour du monde, ni d’un congé parental, mais d’une maladie qui aurait pu mal tourner avec toutes les croyances que cela implique : elle ne va pas être bien et c’est normal, elle n’a pas perdu de neurones, mais peut-être un peu… Certains vont même nous voir, les survivants, comme des boulets à gérer. Mes collègues avaient beau vouloir prendre soin de moi, ils n’avaient pas toujours le temps de me faire des petits thés ni de me servir des gâteaux. Au travail, il y a une marche à suivre, des plannings à tenir. Alors, pour éviter d’être un fardeau pour les autres et montrer que j’étais au rendez-vous, j’ai surjoué. J’assistais à toutes les réunions, j’enchainais les heures supplémentaires, comme si je devais montrer que j’étais encore plus impliquée dans mon travail. Malheureusement, la fatigue me rattrapait et je voyais que j’étais beaucoup plus irritable, j’imposais mes points de vue, j’étais moins ronde, moins souple, moins disponible. Finalement, j’étais très différente en voulant absolument montrer que j’étais la même. Je n’acceptais pas qu’une partie de moi se soit transformée pendant la maladie.
« Il me fallait plus de temps »
Au bout de trois mois de comédie, j’ai appelé ma directrice des ressources humaines pour lui dire que je n’étais pas rétablie, que j’étais revenue trop tôt, qu’il me fallait plus de temps. Je me suis arrêtée six mois de plus pour prendre un moment pour moi, pour réapprendre à être dans le plaisir, pour faire le deuil de la maladie. J’ai arrêté d’en vouloir à ceux qui ne posaient pas de question, qui ne prenaient pas de nouvelles de moi. Aussi, j’ai compris la charge mentale et psychologique que pouvait représenter une personne comme moi pour mes collègues et ma hiérarchie qui n’avaient jamais connu de retour au travail après cancer. C’est vrai qu’il y a dix ans, les personnes atteintes de cancer ne revenaient généralement pas dans l’entreprise puisque ce genre de diagnostics touchaient presque essentiellement des personnes en fin de carrière. Et puis, le cancer nous touche tous plus ou moins personnellement, moi j’avais gagné la manche, mais peut-être qu’un collègue avait perdu un proche du même mal et que je lui rappelais sans m’en rendre compte…
Mon deuxième retour s’est bien mieux passé. Certains m’ont demandé ce que cette expérience avait changé en moi. Je pense que ce qui évolue fondamentalement, c’est la gestion des priorités : au travail comme dans la vie, tu tranches plus facilement, tu sais ce qui est important, ce qui ne l’est pas. Tu n’es pas forcément moins impliqué dans ton travail, mais tu perds moins de temps avec les autres, avec des broutilles, les enjeux d’ego… Étrangement, comme tu as fait face à tes peurs, tes limites, tu sais de quoi tu es capable et il arrive même que tu te sentes encore plus armé pour la suite.
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Photo by WTTJ
Édité par Eléa Foucher-Créteau
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