Perfectionniste, sensible… certains profils sont-ils plus à risque de burn-out ?
17 juil. 2024
8min
Alarmant mais vrai : 3,2 millions d'employés français, soit 12 % de la population active, présenteraient un « risque de burn-out ». Mais au-delà des facteurs externes (culture, environnement…) existe-t-il un terreau particulièrement fertile à l'épuisement professionnel chez certains travailleurs ? Est-on prédisposé à flirter avec la ligne rouge au travail ?
Révélée par une étude du cabinet Technologia, cette statistique trouve un écho tout aussi inquiétant dans les chiffres récents d’Opinion Way, qui nous parle d’une détresse psychologique persistante chez 41 % des salariés, avec une portion non négligeable de 14% en situation de haute détresse. Plus grave encore, 34 % des travailleurs seraient déjà pris dans les filets du burn-out, dont 13 % dans une forme qualifiée de « sévère ». Mais qu’est-ce qui fait que certains plongent plus que d’autres dans cet abîme ? Et surtout, comment ceux à risque peuvent-ils détecter les premiers signes et prendre les mesures nécessaires pour éviter que le travail ne consume entièrement leur santé mentale et physique ? Nos experts Sandra Fillaudeau, spécialiste de l’équilibre au travail, et Christophe Nguyen, psychologue du travail, nous dévoilent leurs avis sur la question.
Les visages du burn-out
Profils à risque : qui sont les plus vulnérables ?
Le burn-out apparaît non seulement comme un risque individuel, mais aussi comme un symptôme de dysfonctionnements plus larges au sein de nos sociétés et organisations.
Néanmoins, certains traits de personnalité semblent prédisposer les individus à cette forme extrême d’épuisement professionnel :
- Le perfectionniste : le perfectionniste ne se contente pas de bien faire, il est mû par un désir incessant de répondre à des standards souvent inatteignables. Il souhaite toujours faire mieux, souvent au détriment de sa santé mentale. Ces travailleurs s’imposent des exigences irréalistes, tant vis-à-vis d’eux-mêmes que de leur travail. Pris dans une quête incessante de contrôle et de perfection, ils s’interdisent toute forme de compromis. « Ces personnes sont dans une certaine forme de rigidité qui peut mener au burn-out, car elles n’acceptent pas l’échec ou l’imperfection, même mineure », explique Christophe Nguyen.
- L’hyper-engagé : les personnes hyper engagées dépassent souvent les attentes, non seulement celles de leurs employeurs mais également les leurs. « Ce sont ceux qui ont un fort rapport d’engagement au travail qui sont les plus touchés. C’est un drame lorsqu’elles se retrouvent face à l’impossibilité de répondre à ces attentes surhumaines », souligne Sandra Fillaudeau.
- Le compétiteur « type A » : dotés d’un esprit de compétition acharné, les individus de type A travaillent constamment sous stress et urgence. Colériques, autoritaires et toujours en mode combat, ils ne reculent jamais, même face à des exigences croissantes. Christophe Nguyen ajoute que ces individus « ont tendance à voir le stresseur (la charge de travail, le changement, la difficulté d’une situation…) comme étant un défi auquel il va falloir répondre ».
- L’ultra-responsable : lorsqu’on se sent responsable de chaque détail, chaque projet, chaque deadline, la pression peut rapidement devenir insupportable. « Ces personnes ont un sens des responsabilités très élevé et se sentent investies de la mission que tout roule, que tout marche, ce qui peut se retourner contre elles », analyse Sandra Fillaudeau.
- Le sensible : extrêmement compatissants, ces individus sont souvent hypersensibles aux émotions d’autrui, ce qui les rend vulnérables à être « contaminés » par les sentiments négatifs autour d’eux. « Leur forte sensibilité les expose à absorber le stress et l’angoisse de leur environnement, amplifiant leur propre stress », souligne le psychologue.
- L’individu à faible estime de soi : en proie à des doutes constants sur leurs capacités, ces personnes vivent leur charge de travail comme particulièrement accablante. « Leur insécurité les prédispose à percevoir leurs responsabilités de manière plus lourde et plus difficile, exacerbant le risque de burn-out », ajoute Christophe Nguyen.
Que l’on se rassure : présenter des traits de personnalité « à risque » n’est pas une traversée garantie vers le burn-out. Comme le souligne Christophe Nguyen, « il n’y a rien d’inéluctable, on peut avoir ces traits sans faire de burn-out. Tout dépend de la rencontre d’une personnalité avec un environnement ».
Facteurs environnementaux : l’ombre de l’excès de charge de travail
L’organisation du travail peut souvent contribuer de manière significative à l’épuisement professionnel des employés. Selon Sandra Fillaudeau, le cœur du problème se situe dans la charge de travail, qui écrase de plus en plus les salariés, et est bien souvent minimisée par les employeurs. « Ce que vous pensez devoir faire, ce que vous faites réellement, et ce que vous ressentez à propos de ce travail sont souvent trois choses complètement différentes », explique notre experte en équilibre au travail.
Pour mieux la comprendre, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), a formalisé trois dimensions de la charge de travail :
- La charge prescrite : dans un monde parfait, la charge prescrite est votre feuille de route claire (les objectifs, les tâches, les outils fournis…). C’est le travail tel qu’il est décrit lorsqu’on vous l’attribue, souvent avec une touche optimiste du genre « Ça ne prendra que deux minutes ! »
- La charge réelle : si la charge prescrite était un chemin de randonnée bien balisé, la charge réelle serait la version avec des racines traîtres et des pierres glissantes. Ce sont les imprévus, les ajustements de dernière minute, le soutien imprévu de vos collègues pour tenir les délais. C’est ici que le vrai travail se fait, souvent avec plus de sueur et de larmes que prévu.
- La charge vécue : la plus subjective des trois, la charge vécue est le reflet de vos sentiments intérieurs sur le travail. C’est votre expérience personnelle, teintée par vos émotions, votre stress, et parfois même votre satisfaction. C’est la partie de l’iceberg que même le manager le plus empathique peut avoir du mal à voir sans un dialogue ouvert.
Des pratiques de management qui ne tiennent pas compte de la charge de travail réelle ou qui poussent constamment les employés à leurs limites peuvent créer des environnements de travail stressants et démotivants. Sandra Fillaudeau alerte, par ailleurs, sur la nécessité d’une gestion attentive des projets. « Il est facile de rajouter un projet dans un outil de gestion de projet, sans se rendre compte de l’impact réel sur ceux qui doivent exécuter ces tâches. Cette déconnexion entre la planification et l’exécution peut créer un stress terrible pour les salariés », précise-t-elle.
Différences de genre et de rôle social : les femmes, ces cibles privilégiées
Le burn-out ne distribue pas ses foudres au hasard. Les femmes, souvent prises dans le tourbillon des responsabilités professionnelles juxtaposées aux exigences familiales, sont confrontées au redoutable « double shift ». La journée de travail terminée, une seconde commence à la maison avec son cortège de tâches ménagères et de soins aux enfants. Ce cumul de rôles sociaux a un coût élevé, intensifiant le stress et rognant sur les précieux moments de récupération.
À ce fardeau, s’ajoute « le poids des attentes sociétales, qui presse les femmes de briller dans tous les aspects de leur vie », les enfermant dans une quête épuisante pour être perçues comme inébranlables, que ce soit au bureau ou à domicile. Sur le lieu de travail, aussi « les femmes héritent des tâches ingrates et non rémunérées -organiser les team-buildings, gérer les cadeaux pour les collègues ». Bien qu’essentielles au bien-être collectif, ces tâches (et ce temps de travail dissimulé) sont rarement valorisées. Résultat : les femmes souffrent de leurs efforts invisibles mais constants plus que les autres.
Face à ce tableau alarmant, des initiatives comme L’BURN, la première maison d’accueil dédiée aux femmes victimes de burn-out, émergent. Ces espaces offrent un répit où les femmes peuvent échapper temporairement aux pressions quotidiennes et bénéficier d’un soutien spécialisé, marquant un pas vers la reconnaissance et la prise en charge de cette problématique de santé publique.
Profils à risque, que faire ?
Étape n°1 : s’auto-évaluer pour connaître les zones de risque
Identifier un risque personnel de burn-out peut être alarmant, mais prendre conscience de sa vulnérabilité est la première étape vers la prévention. Elle consiste à reconnaître et comprendre ses propres traits de personnalité. Êtes-vous un perfectionniste acharné ? Un travailleur compulsif qui ne sait pas s’arrêter ? Admettre ces tendances est crucial, car elles augmentent souvent votre vulnérabilité au stress.
Étape n°2 : surveiller les signaux d’alerte
Une fois conscients des traits et signaux, comment peut-on réagir efficacement ? Pour Christophe Nguyen, l’auto-surveillance est la clé. Dit autrement, cela revient à surveiller l’apparition des premiers signaux d’alerte.
Ces derniers peuvent varier d’un individu à l’autre, mais certains indicateurs sont largement acceptés comme précurseurs :
- Les changements d’humeur notables : « Un changement notable dans l’humeur, surtout chez quelqu’un qui était auparavant jovial, peut indiquer une lutte intérieure contre le stress accru », explique Christophe Nguyen.
- L’isolement social : « Si quelqu’un commence systématiquement à éviter les déjeuners d’équipe ou à se retirer des interactions habituelles, cela peut être le signe d’une personne submergée », ajoute le psychologue.
- Les horaires de travail extrêmes : « Si quelqu’un vous envoie des emails tard dans la nuit ou très tôt le matin, cela peut signaler une incapacité à se déconnecter du travail, ce qui est un indicateur fort », précise Sandra Fillaudeau.
- Les symptômes physiques : « La fatigue persistante, les maux de tête fréquents ou les troubles du sommeil… Ces symptômes physiques sont souvent négligés jusqu’à ce qu’ils deviennent sévères, et ils indiquent que le corps lutte pour gérer le stress. »
Étape n°3 : prévenir plutôt que guérir
Pour ceux qui sentent la tempête approcher, il est temps de fixer des limites claires. Apprenez à dire non, à déléguer et à reconnaître quand vous êtes trop chargé. Comme le suggère Sandra Fillaudeau, « prioriser le bien-être n’est pas un luxe, mais une nécessité pour maintenir le cap dans un environnement de travail exigeant ». Pour cela, elle conseille de s’engager dans des activités qui renforcent votre résilience : la méditation, l’exercice régulier, et des passe-temps qui vous éloignent du tumulte quotidien.
Enfin, le soutien des collègues, amis ou professionnels peut être le vent favorable qui vous aide à avancer. Échanger sur vos expériences et vos stratégies de gestion du stress crée un réseau de sécurité indispensable. Attention cependant à ne pas se fier qu’à soi même. Comme le souligne Christophe Nguyen, « les individus glissent vers le burn-out sans nécessairement voir les signes avant-coureurs ».
Mesures organisationnelles : la prévention à trois niveaux
C’est pourquoi il revient aussi (et avant tout) à l’organisation d’intervenir, à travers ses managers et collaborateurs, pour détecter et agir sur ces signaux avant qu’il ne soit trop tard. Pour lutter efficacement contre le burn-out, Christophe Nguyen conseille aux organisations de déployer des stratégies de prévention structurées à trois niveaux.
Prévention primaire : pour un milieu de travail sain
La prévention primaire vise à éliminer les sources de stress avant qu’elles ne provoquent un burn-out. Cela inclut :
- Former en continu : « Parler de burn-out en entreprise est souvent tabou. On se dit que si on forme à ce sujet, c’est que l’on en crée. Or, former les personnes à détecter les signaux, pour savoir s’en protéger, transforme la manière dont les risques sont gérés. »
- Lever le poids du travail : cela implique de s’assurer que les tâches et responsabilités sont réalistes et gérables, ajuster les objectifs pour qu’ils correspondent aux capacités réelles des employés. « Il faut se professionnaliser sur l’évaluation et la régulation de la charge de travail », ajoute le psychologue du travail.
Prévention secondaire : identifier et intervenir
Le niveau secondaire se concentre sur la détection précoce et l’intervention pour minimiser la sévérité du burn-out chez ceux qui présentent déjà des signes de stress :
- Surveiller : mettre en place des systèmes pour identifier rapidement les employés qui montrent des signes de stress accru, permettant une intervention rapide. « Le but n’est pas de catégoriser les employés en fonction de leurs traits de personnalité, mais de reconnaître qui sont les individus surinvestis dans leur travail. »
- Encourager : « Il faut encourager activement les employés à prendre des pauses régulières, à vraiment se déconnecter après le travail et à prendre des vacances. »
- Protéger : « Faire des managers des facteurs de protection, cela signifie qu’ils doivent non seulement surveiller la charge de travail de leurs équipes, mais aussi promouvoir activement et modéliser des comportements qui favorisent le bien-être. »
Prévention tertiaire : soutien et réhabilitation
Cette phase s’adresse aux employés qui ont déjà souffert d’un burn-out, afin de les aider à récupérer et à prévenir les récidives :
- Support psychologique : « C’est le devoir de l’organisation d’offrir un accès à des ressources de soutien psychologique. »
- Plans personnalisés de retour au travail : « Il faut imaginer un retour progressif, accompagné, changer les conditions de travail pour ceux qui reviennent d’un burn-out. »
Finalement, reconnaître sa vulnérabilité au burn-out est un premier pas crucial, mais intégrer cette conscience dans une démarche proactive au sein de l’organisation est la véritable clé pour naviguer dans le monde du travail en sécurité.
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Article rédigé par Sarah Torné et édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps
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