Celui qui prendra 28 jours de congé paternité
25 juin 2021
6min
Consultante, conférencière et formatrice sur le futur du travail, spécialiste de l’égalité professionnelle, des aspirations des jeunes générations et de la transition écologique
Vous l'avez entendu plus d'une fois, peut être même avez vous déjà prononcé cette phrase malheureuse : "On ne mélange pas pro et perso." Mais difficile (vous en conviendrez) de mettre en mute sa vie privée simplement parce qu'on passe la porte de l'entreprise. La charge mentale qu'implique un ou plusieurs enfants, ou encore un proche en situation de dépendance ou de handicap a forcément des impacts sur la vie, tout court. Dans cette série, notre experte du Lab Pauline Rochart revient sur les nombreux enjeux de l’accompagnement de la parentalité, pour des entreprises (enfin) family friendly.
Cela fait des mois que je prie pour accoucher après le 1er juillet. A cette date, le congé paternité passera de 14 à 28 jours. Récemment, le site www.servicepublic.fr a mis fin à mes angoisses : ce n’est pas la date de l’accouchement qui primera mais bien la date du terme ! Alléluia ! Car sur le papier, c’est le 3 juillet. De toutes façons, lorsque l’on parle conquête de droits sociaux, rien ne sert de prier : il faut lutter. Les associations féministes, des élu.e.s, des professionnel.les de la petite enfance et certaines entreprises ont bataillé pour obtenir cette avancée. C’est une excellente nouvelle, mais il faut aller plus loin. Beaucoup plus loin.
En France, 67% des pères prennent leur congé paternité et ce chiffre n’évolue pas depuis 20 ans. En outre, de fortes inégalités sociales apparaissent : 80% des salariés en CDI y ont recours, 88% des fonctionnaires mais moins de 60% de ceux qui sont en CDD. La réforme annoncée en septembre 2020 prévoit le doublement du congé paternité : de 14 jours (3 jours de congé naissance + 11 jours), on passe à 28 jours au total dont 7 obligatoires. Or, le gouvernement n’a pas suivi les recommandations de la « commission des 1000 premiers jours » présidée par Boris Cyrulnik, qui préconisait d’allonger le congé paternité à 9 semaines.
Co-parentalité : tout se joue les premiers mois
Tous les expert.e.s s’accordent pour souligner l’importance de la présence du père lors des tout premiers mois de l’enfant. D’abord, parce que la mère se remet doucement du marathon physique et émotionnel de la grossesse et l’accouchement, que le nourrisson nécessite des soins permanents, sans parler des démarches administratives qui s’empilent les premières semaines (ah, le pied d’envoyer des fiches de sécu chaque semaine !). L’allongement du congé paternité devrait donc alléger la charge mentale des mères et permettre une meilleure répartition des responsabilités familiales.
Car les bonnes habitudes se prennent tôt. Si le père retourne au bureau quelques jours seulement après la naissance, c’est la mère qui devient l’experte du triptyque « soins, repas, rendez-vous médicaux » et bien souvent, elle continue à réaliser ces tâches pendant des années. Ce qui a évidemment un impact non négligeable sur sa carrière professionnelle. Qui appelle-t-on à 15h lorsque le petit se casse le bras à l’école ? Qui gère la recherche du mode de garde et cale parfois des entretiens avec les nounous sur son temps de travail ? Pas de grosse surprise, ce sont en majorité les mères, même si les choses évoluent doucement. Il faut le souligner, les pères de ma génération sont largement favorables à l’allongement du congé paternité et nombreux sont ceux qui s’empressent d’apprendre les bons gestes : bercer, baigner, biberonner… Tant mieux, puisqu’il y a assurément un continuum entre le fait de s’investir en couple dans les soins du quotidien et la répartition plus équitable des tâches liées à la parentalité. Personnellement, je n’ai jamais coupé les ongles de ma fille de 3 ans (grand bien lui en fasse), ni géré les pots maison. Résultat, son père s’est chargé de l’inscription à l’école et je ne connais toujours pas le nom de la maîtresse (ne me lynchez pas). Pour autant, la révolution a-t-elle vraiment lieu ? A en croire les chiffres et les témoignages des salariés, ce n’est pas si simple.
Des entreprises qui ne dorlotent pas vraiment les jeunes papas
Thomas, 31 ans, consultant senior dans un cabinet « Big Four », est papa depuis février 2021. Juste après la naissance de son fils, il a pris ses 2 semaines de congés passées en un éclair. « Ce fut beaucoup trop court ! Même un mois je pense que c’est limite, il faudrait 2 mois minimum… Entre les soins permanents et les nuits entrecoupées pendant au moins 3 mois, on ne peut pas reprendre le travail au bout de 15 jours et feindre que cela n’a aucun impact sur notre niveau d’énergie ». L’employeur de Thomas n’a pas affiché de réticence lorsque celui-ci a posé son congé. « Le vrai problème, c’est le retour au travail !», s’enflamme-t-il. Quand il est retourné au bureau le 1er mars, aucun entretien managérial ne lui a été proposé et on l’a « staffé » sur une mission difficile chez un client très exigeant. « Pendant mon congé, j’avais reçu des SMS de mon chef pour me demander de me mobiliser sur la proposition commerciale. Ensuite, la mission a commencé le 1er jour de mon retour, je n’avais pas d’équipe, j’étais seul, la charge était énorme. Je suis sorti de cette mission lessivé », confie le jeune papa.
Dans ce type de structure où la compétition règne, les RH ont beau signer des « chartes de la parentalité », les pratiques managériales ne sont pas toujours bienveillantes ni attentives à la nouvelle situation du jeune père. « Ce qui compte, c’est de vendre des dispositifs rentables. Si tu ne consens pas à suivre le rythme effréné, tu es perçu comme quelqu’un de fragile », livre Thomas. Il y a donc encore du chemin à faire. Si certains pères ne posent pas leur congé, c’est en partie à cause de ce genre de comportement qui persiste en entreprise : une pression managériale insidieuse qui pousse les parents à prouver qu’ils sont toujours aussi productifs qu’avant la naissance de leur enfant – malgré le manque de sommeil, le bouleversement émotionnel etc…
Le caractère pernicieux d’un congé en partie optionnel
C’est pourquoi je pense qu’il aurait fallu rendre ce congé paternité obligatoire ! Si seuls 7 jours sont obligatoires, cela confère aux jours suivants un caractère optionnel, comme si le message sous-jacent était « la mère pourra toujours s’en occuper ». Tous les pères salariés n’évoluent pas dans des entreprises « parents friendly ». Alexis, 28 ans, est ouvrier et « posté » (il fait les 3/8) dans une usine agro-alimentaire dans les Hauts-de-France. A la naissance de sa fille en janvier dernier, il a posé ses 14 jours et a pleinement pris conscience de l’intérêt d’être auprès de sa compagne lors de cette période décisive. S’il a la chance d’être employé dans une entreprise « tournée vers le social » selon ses mots, il n’est pas naïf : « dans mon métier, certains de mes collègues ne sont pas internalisés, ils enchaînent les CDD et les contrats d’intérim. Je comprends que certains n’osent pas poser l’intégralité de leurs congés paternité car ils craignent que ce soit mal perçu par l’employeur ».
Si j’ai le sentiment que les choses évoluent dans le bon sens, que les jeunes pères et certaines entreprises s’engagent concrètement pour faire sauter les freins culturels, malheureusement certaines informations viennent régulièrement diminuer mon niveau d’enthousiasme. Ce récent sondage par exemple semble démontrer que près de 61% des salariés trouvent que l’allongement du congé paternité « n’est pas une bonne idée » et que « prendre un congé paternité d’un mois serait « abusif » à une période où les pères peuvent profiter du télétravail ». Après 1,5 an de confinement et l’expérience généralisée du télétravail avec enfant, ces résultats m’étonnent profondément. Il faudrait pouvoir creuser la méthodologie du dit sondage et analyser le profil des répondant.e.s avant de tirer des conclusions hâtives. Quoiqu’il en soit, la mesure fait encore débat en France et on est loin de la situation de certains de nos voisins européens. Rappelons seulement qu’en Espagne, les pères comme les mères peuvent bénéficier de 16 semaines de congés rémunérés à 100% depuis le 1er janvier dernier…
Ne nous laissons pas (trop) bercer par cette avancée
En février 2020, une centaine d’entreprises avaient communiqué haut et fort sur leur engagement en faveur de l’allongement du congé paternité. Via la signature du « Parental Act », elles annonçaient octroyer à leurs salariés un congé d’un mois 100% rémunéré par l’employeur. Elles étaient donc en avance sur la législation. Pierre Monclos, DRH engagé chez Unow, a rejoint cette communauté en octobre 2020. Pour lui, cela ne fait aucun doute : « les entreprises peuvent être motrices dans les changements sociétaux et contraindre le législateur à les suivre ». Dans sa PME dédiée à la formation en ligne - d’une moyenne d’âge de 30 ans - Pierre Monclos songe même à aller plus loin : « il faudrait encore allonger le nombre de jours, envisager une répartition entre les 2 parents comme cela se fait dans les pays scandinaves et offrir aux salarié.e.s la possibilité de reprendre le travail à mi-temps payé 100 % ». Ces solutions RH qui offrent souplesse et flexibilité aux nouveaux parents permettent en effet d’asseoir l’idée selon laquelle s’occuper d’un enfant prend du temps.
Investi dans plusieurs clubs de DRH, Pierre Monclos précise qu’il a tout de même rencontré quelques homologues réticents à l’allongement du congé paternité : « certains redoutent que les managers opérationnels perçoivent cette réforme comme une « faveur » accordée aux pères et non comme un moyen de rattraper un retard ». En effet, certains managers font preuve de mauvaise volonté et n’anticipent pas suffisamment les conséquences de l’absence du salarié sur l’organisation du travail (comme ils le font pour les mères d’ailleurs !). Or, si le congé est anticipé, qu’il n’est pas perçu comme un simple « break » et que les impacts sur l’organisation sont pensés en collectif suffisamment à l’avance, il n’y a pas de raison que cela soit particulièrement « compliqué » à mettre en œuvre. Sur ces sujets, Pierre Monclos pense que l’entreprise doit s’engager publiquement : « *le fait de communiquer clairement ses prises de position progressistes en matière sociale est une manière de prévenir les discriminations. Les managers tentés de faire pression sur leurs équipes se sentent moins autorisés à le faire si la boîte a signé publiquement une charte d’engagement* ». Espérons-le ! En attendant, Thomas, Alexis et Pierre m’ont redonné confiance. Je m’absente quelques mois, sereine à l’idée que de jeunes pères et RH engagés soient prêts à prendre le relais dans la lutte en faveur de l’égalité.
Photo par WTTJ
Article édité par Paulina Jonquères d’Oriola
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