« Pitié, arrêtez de dire que votre entreprise est "sympa" ! »

Publié dans BADASS

16 nov. 2022 - mis à jour le 16 nov. 2022

5min

« Pitié, arrêtez de dire que votre entreprise est "sympa" ! »
auteur.e
Lucile QuilletExpert du Lab

Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes

BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Et puisque l’empowerment féminin est une thématique chère à notre experte Lucile Quillet, elle décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment. Au travail, comme ailleurs !

« Ils sont sympas quand même, le montant des tickets restau a été augmenté », « Mon boss est cool, il a accepté que je pose ma récup ce jour-là », « La boîte de mon mec est top, il a pu prendre ses 28 jours de congé paternité sans souci », « L’entreprise est vraiment géniale, on a tous eu une prime cette année »… Qui n’a pas déjà dit ou entendu ces petites phrases-bonbons pleines de gratitude ? Elles sont synonymes de notre joie, notre satisfaction d’avoir trouvé une collaboration agréable où consacrer plus de la moitié de notre temps hebdomadaire… Sauf qu’en réalité, elles manifestent surtout ô combien nous avons intégré un rapport de force au travail bien trop asymétrique.

Évidemment, quand on entend toutes les histoires horribles qui circulent dans la jungle professionnelle (la copine mise au placard à son retour de congé mat, la boss harcelante de votre cousine, le quiet firing de votre oncle Michel, le burnout de votre BFF bonne élève qui essayait de faire plus sans plus de moyens…), on a envie d’apprécier sa situation, de se montrer reconnaissante et de se satisfaire de ce que l’on a. C’est bien, c’est louable, c’est sage… ou pas.

Il est où le respect ?

Le problème, c’est qu’à force d’avoir intégré que les comportements abusifs au travail peuvent être légion, on s’agenouille en levant les bras en mode “reconnaissance éternelle” pour ce qui devrait être le minimum syndical, la base de toute relation de travail équilibrée. C’est comme quand votre conjoint vous dit après avoir fait la vaisselle que vous avez du bol, quand même, d’être tombée sur lui (soupirs x 10 000). Je ne vous jette pas la première agrafeuse : je me suis moi-même déjà considérée “incroyablement chanceuse” d’avoir des employeurs simplement réglo (« Wahhh on me paie un mois après la publication, quelle chance ! »).

Dire combien “notre entreprise est sympa quand même”, c’est oublier que dans n’importe quelle relation professionnelle, le respect doit être acquis, le droit du travail appliqué, les intérêts et la satisfaction réciproques. Votre employeur ne vous fait pas de faveurs quand il vous embauche ou quand il vous laisse le choix de vos dates de vacances, il suit la loi de l’offre et de la demande. C’est-à-dire qu’il a un besoin et vous des compétences. Alors il va suivre les règles en vigueur pour que tout se passe bien (on dit merci aux gens qui se sont battus pour ça, sans toujours obtenir une grande reconnaissance). À force de se dire qu’il y a pire, on s’empêche surtout de progresser vers une meilleure situation. Quand vous dites que “vous avez de la chance”, vous minimisez votre valeur. Votre employeur dit-il, lui, qu’il a vraiment de la chance de vous avoir (à part quand vous faites du boulot en plus gratuitement) ? Non, alors qu’il devrait le répéter chaque fois que vous passez la porte, évidemment.

Comment remettre la gratitude au bon endroit ?

Alors comment distinguer l’acquis de ce petit supplément d’âme professionnelle et gommer nos tics de langage ? On fait le point.

1. Passer en mode “aware”

Remettons l’église au centre du village : les “chouettes avantages” spécifiques à votre entreprise ou branche vous sont dus car votre expertise s’avère précieuse (ça s’appelle la fidélisation des équipes). La prime de fin d’année n’est pas volée quand le chiffre d’affaires a bondi (ça s’appelle la redistribution des profits). La crèche d’entreprise se justifie très bien, surtout quand vous travaillez en horaires décalés (ça s’appelle la conciliation vie privée/vie pro). Quand au patron qui vous dit le vendredi à 18h « Allez, on boucle et on ne se reparle pas avant lundi », pas besoin de lui baiser les pieds : of course Jean-Mi, ça s’appelle le droit à la déconnexion. Non mais.

Il vous faut apprendre à porter de nouvelles lunettes pour voir tous ces “privilèges”, sur lesquels les RH adorent se répandre, pour ce qu’ils sont : des trucs absolument normaux. À chaque envie de louer le dieu Travail, vous pouvez jeter un œil sur le droit du travail, la convention collective de votre secteur et les publications du Comité social et économique (CSE, ce truc qui représente le personnel de l’entreprise, donc vous) de votre boîte. Ça ne vous empêche pas d’apprécier ces acquis, certes, mais pas besoin d’en faire des tonnes non plus.

2. Apprécier le vrai cool

Mais alors, qu’est-ce qu’une “vraie” entreprise sympa ? Celle qui accepte, accompagne, tolère les choses qui dépassent le cadre des règles. Un cadre qui, on le sait, passe parfois à côté de la réalité de la vie et des inégalités femmes/hommes persistantes.

C’est par exemple votre boss qui ne vous demande pas de poser un demi-jour de congé quand vous avez une crise d’endométriose et que vous ne pouvez pas aller chez le gynéco obtenir un certificat médical (puisque vous avez trop mal). C’est quand on vous dit ok pour un jour de télétravail improvisé quand votre enfant vomit ses tripes et que l’école/le père/les grands-parents n’en veulent pas. C’est quand votre salaire se voit automatiquement augmenté selon le barème commun, sans que vous ayez besoin de devenir votre propre agent et négocier manches relevées. En d’autres termes, une entreprise “sympa” est celle qui fait preuve d’un management humain, intelligent et juste, alors que rien ne l’y oblige.

Je suis d’accord avec vous : dans un monde idéal, tout ceci devrait être NORMAL. Mais le monde du travail étant ce qu’il est, il faut encore attendre pour que cela soit la norme partout. Dire combien ces mesures sont appréciables et profitables à tous (vous êtes d’autant plus investie) constitue une bonne stratégie : vous répandez la bonne parole et les bonnes pratiques.

3. Prendre conscience de sa valeur avec la loi de l’offre et de la demande

Derrière la gratitude que vous manifestez pour votre employeur, il y a sans doute une partie de votre valeur que vous sous-estimez, une sorte de trésor caché que vous ne voyez pas (eux le voient mais se gardent bien de vous le dire héhé).

Pour voir net, il faut prendre conscience du seul vrai paramètre (ou presque) qui régit le rapport de force entre employé et employeur (que l’on soit salarié ou freelance) : la loi de l’offre et de la demande. Vous n’êtes pas à la merci de votre employeur, tout comme il n’est pas à votre service : vous avez des compétences, il a des besoins, vous échangez de façon horizontale. Aussi simple que ça.

Comment vous situez-vous dans votre secteur ? Quelle valeur ajoutée amenez-vous ? Quelle expertise spécifique possédez-vous ? Interrogez votre capital et votre potentiel professionnel mais aussi ceux de votre employeur. Régler ses paramètres selon la loi de l’offre et de la demande vous oblige à questionner régulièrement la valeur de votre travail, pour le meilleur.

Attention, le but de l’opération n’est pas de ne plus savourer sa situation ou de passer en mode complainte permanente (qui ne saute pas n’est pas français hé). La joie professionnelle se trouve être une chose rare et merveilleuse, mais elle ne doit pas vous aveugler ni vous plonger dans une forme de candeur. La chance, la vraie, consiste surtout à avoir une bonne acuité du monde professionnel et une grande confiance en soi pour savoir que tout ce qui vous arrive de bien dans votre carrière est surtout votre mérite. Et que le premier destinataire de votre gratitude devrait être avant tout vous-même.

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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