Entretien d'embauche : comment sortir du syndrome de la bonne élève face au recruteur
07 mars 2023
4min
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
BADASS - Vous vous sentez illégitimes, désemparées, impostrices ou juste « pas assez » au travail ? Mesdames, vous êtes (tristement) loin d’être seules. Et puisque l’empowerment féminin est une thématique chère à notre experte Lucile Quillet, elle décortique pour vous comment sortir de la posture de la “bonne élève” qui arrange tout le monde (sauf elle), et enfin rayonner, asseoir votre valeur et obtenir ce que vous méritez vraiment. Au travail, comme ailleurs !
Vous vous êtes préparée. Vous avez travaillé votre présentation, anticipé toutes les questions que le recruteur pourrait vous poser, même les plus piégeuses. Vous pouvez dire, en véritable maîtresse de la langue de bois, pourquoi vous avez quitté votre précédent poste six mois après votre arrivée, justifier ce trou d’un an et demi dans votre CV, expliquer pourquoi vous pouvez gérer le marché chinois avec pour seul vocabulaire « Nǐ hǎo ». Vous vous êtes parfaitement coiffée, avez sorti votre sourire toutes dents dehors pour afficher votre envie de rejoindre la bande. Vous êtes prête, rompue à l’exercice, en bon petit soldat de l’entretien d’embauche… à mille lieux de suspecter que le vôtre va sans doute faire « pschitt ».
Le syndrome de la bonne élève… jusqu’en entretien d’embauche
Comme beaucoup de femmes, vous approchez le moment de l’entretien d’embauche au garde à vous, droite comme un « i », un peu comme si vous passiez un grand oral ou un examen. Certes, nombre de recruteurs jouent l’inquisition avec des questions intrusives qu’ils ne leur viendraient même pas à l’idée de poser à un homme (« Comptez-vous faire un enfant bientôt ? ») Parce que, globalement, le monde du travail nous fait bien moins de cadeaux (« Est-elle vraiment compétente ? A-t-elle vraiment les épaules ? N’est-elle pas trop émotive ? Avec ses enfants, peut-elle gérer les dossiers ? »), nous avons appris à nous mettre sur un mode défensif par défaut et montrer patte blanche.
Résultat : on se concentre sur nos points faibles (ceux qu’on va aborder avant même que le recruteur nous en parle), et surtout, on se met dans une posture de justification permanente et de disponibilité inconditionnelle qui déséquilibre le rapport de force. In fine, nous risquons de renvoyer l’image d’une personne en demande, moins solide, manquant de confiance en elle. Cerise sur le gâteau : par anticipation ou habitude d’un comportement différencié venant de notre interlocuteur, le risque est de perpétuer ces mêmes stéréotypes. Plutôt que de jouer les élèves parfaites, comment renverser la vapeur et rendre son profil plus attractif ?
Comment bousculer la posture de la candidate modèle
1. Rappelez-vous que « le bon profil » n’existe pas
Au lieu de vouloir cocher toutes les cases de « la candidate parfaite », vous gagnerez en assurance en comprenant qu’il n’y a pas « un bon profil » mais de bonnes rencontres potentielles. Évidemment, le recruteur a des critères et un cahier des charges. Bien sûr, tout le monde ne peut pas convenir pour un poste. Mais plusieurs personnes le peuvent (dont vous, sans doute, puisque vous avez été invitée). Parfois même les outsiders remportent la mise car ils apportent une valeur ajoutée inattendue.
Plutôt que de vouloir faire rentrer votre profil dans une matrice comme un enfant voudrait faire rentrer un rond dans un cube, n’essayez pas de vous travestir pour correspondre à une image idéalisée du candidat. Il n’y a pas de « mauvaise réponse » en entretien, juste votre singularité. Vous avez le droit à l’erreur, vous avez sans doute certaines lacunes et quelques pas de côté dans votre bagage, que vous pouvez assumer et aborder sans vous excuser. Ne jouez pas à quelqu’un d’autre, montrez que vous êtes intéressante comme vous êtes.
2. Préparez-vous sans chercher à vous « justifier »
« Venez comme vous êtes » certes, mais préparée tout de même. Pour autant, attention : se préparer ne signifie pas « préparer sa défense ». Certaines personnes anticipent tellement leurs points faibles ou le traitement différencié qu’elles s’apprêtent à reçevoir qu’elles se tirent elles-mêmes une balle dans le pied (cette fois où vous vous êtes entendue dire « J’ai deux enfants, mais je ne vais pas partir à 16h30, je vous rassure »). D’autres partent dans des tirades interminables en faisant elles-mêmes les questions-réponses, et jouent seules l’entretien catastrophe pour lequel elles s’étaient « préparées », façon prophétie auto-réalisatrice.
Parce que vous devez vous mettre en valeur dans un laps de temps réduit, vous devrez vous frotter à l’exercice incontournable du storytelling : mettre en valeur vos expériences les plus en lien avec le poste, appuyer vos compétences à l’aide d’éléments factuels, exprimer vos objectifs et votre motivation… La bonne préparation vous aide à être claire et pertinente, non pas à vous justifier comme si vous passiez devant un grand inquisiteur.
3. Souvenez-vous que personne ne vous fait une fleur
Nous abordons souvent l’entretien d’embauche tel un candidat de The Voice lors de son casting : ce serait la chance de notre vie, à ne surtout pas laisser passer. Nous devons faire nos preuves, ne pas chipoter et sourire grand, vu l’occasion en or qui nous est donnée. Quitte à se faire petit, ne pas parler salaire, comme si nous étions prêtes à tout accepter pour montrer au recruteur que nous sommes vraiment sur la même longueur d’ondes. Un peu comme face à un date qui vous sourit trop et abonde tout le temps dans votre sens, le recruteur peut vous trouver trop easy to get.
Au lieu de penser qu’on vous « donne votre chance », venez à l’entretien avec une réelle curiosité plutôt qu’avec un enthousiasme aveugle. Ne partez pas forcément du principe que vous voulez ce poste avant d’avoir rencontré le recruteur (vous pourriez avoir des mauvaises surprises). Vous venez à la recherche d’une bonne collaboration, d’un échange transversal : vous avez des compétences, l’entreprise a des besoins, est-ce que chacun peut y trouver son compte ? C’est donnant-donnant, gagnant-gagnant.
4. Faites, vous aussi, passer un entretien
Qui dit exigence dit… questions ! Pour ancrer ce rapport de réciprocité, faites vous aussi passer un entretien au recruteur. Parce que vous vous serez renseignée au préalable sur le poste et l’entreprise (cela va de soi), vous venez à l’entretien avec une liste de questions qui prouvera que vous êtes sérieuse et intéressée… et que vous avez aussi votre cahier des charges. Vous sortez alors de la posture de la bonne élève qui veut à tout prix satisfaire (quitte à s’oublier) pour vous positionner en professionnelle qui a son niveau d’exigence.
Comme toute personne qui a pu connaître des discriminations durant sa vie professionnelle, les femmes peuvent avoir tendance à anticiper le mal et s’auto-saboter en entretien. Ne pas s’excuser, ne plus se justifier et ne plus anticiper à la place des autres (même leurs comportements anormaux) nécessite un certain entraînement pour beaucoup d’entre nous. On ne peut avoir la charge du sexisme et des discriminations (nous n’avons que deux bras), mais il est possible de travailler sur sa façon de se présenter au monde et contrer ses biais. Peut-être, qui sait, que ce sera au recruteur de devoir justifier ces questions déplacées.
Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.
Inspirez-vous davantage sur : Lucile Quillet
Journaliste, conférencière et autrice spécialiste de la vie professionnelle des femmes
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