« J’ai toujours dit que j’étais gay » : François Bitouzet, DG de VivaTech
26 déc. 2022
7min
Journalist & Content Manager
François Bitouzet, Managing Director de VivaTech, n’a jamais caché son homosexualité ni attendu d’avoir un poste à responsabilités pour lutter contre les stéréotypes. Pour lui, le futur du travail rime avec inclusion et diversité. Rencontre.
À la tête de Vivatech, l’évènement tech le plus couru de l’année, François Bitouzet a posé en costard et bottes à paillettes à l’occasion du mois des fiertés organisé par Publicis en juin 2022, expliquant que l’une de ses plus grandes fiertés est d’avoir toujours été out au travail. Loin de vouloir s’ériger en rôle modèle pour la communauté gay, il nous explique pourquoi il a toujours décidé d’afficher son homosexualité au travail, et comment il entend faire avancer les questions de diversité depuis son poste à responsabilités.
Votre cheminement professionnel est très lié à votre vie personnelle, qu’est-ce qui a marqué votre adolescence ?
François Bitouzet : J’ai 45 ans et il est évident que lorsque j’ai démarré ma carrière, le contexte était différent pour les homosexuels. Je suis né dans l’Allier pendant les années 80. Certes, c’était un bel endroit pour grandir, mais objectivement, la population n’était pas encore ouverte sur les questions liées à l’homosexualité. Personne ne s’affichait vraiment. De plus, malgré les avancées de mai 68, on était dans une période très stigmatisante avec les années Sida. Quand je suis monté à Paris, j’ai commencé à m’investir dans des associations. Cela a été un grand soulagement de constater que je pouvais parler de mon homosexualité. À ce moment-là, je me suis fait la promesse de ne plus jamais me cacher car je ne voulais plus souffrir comme durant mon adolescence.
Vous avez fait de bonnes rencontres dans le monde professionnel, qui vous ont permis de vivre ouvertement votre sexualité ?
Effectivement, j’ai rencontré des personnes qui étaient en avance sur ces questions. Bien sûr, l’évolution de la législation a également fait évoluer les mentalités dans la société et donc, dans l’entreprise (PACS, mariage). Ce qui est intéressant, c’est d’observer le phénomène de manière plus large, pas seulement sur le traitement de la communauté LGBT. Les entreprises ont engagé un mouvement en faveur de la diversité au sens large. Pour moi, il ne s’agit pas de proclamer haut et fort que je suis gay, mais plutôt de considérer cela comme une force. D’ailleurs, je préfère parler de diversité plutôt que de différence, car il ne s’agit pas d’une forme d’opposition.
« Ces bottes ont marqué les esprits et créé une forme d’électrochoc. »
Lorsque vous avez démarré votre carrière, comment parveniez-vous à flairer les entreprises dans lesquelles vous pourriez vous épanouir ?
Quand on est candidat durant un entretien, il ne s’agit pas d’”évaluer” le potentiel homophobique d’une entreprise. Moi j’ai toujours été cash en disant directement que j’étais gay, et que c’était important pour moi de travailler dans un lieu ouvert sur cette question. Il m’est arrivé de ne pas aller au bout de certaines discussions car je sentais un petit blocage.
Une anecdote ?
Un jour, un patron m’a contacté pour figurer dans le comité de direction. Initialement, il voulait une femme pour équilibrer le Codir (comité de direction). Mais il m’a dit que comme j’étais gay, cela pouvait être intéressant. Je n’ai pas donné suite, mais ce patron a eu le mérite d’être franc !
Il y a peu, vous apparaissiez sur LinkedIn chaussé de bottes à paillettes, toujours dans le cadre de la campagne des fiertés portée par Publicis. Avez-vous hésité avant de prendre la pause ?
Oui car je me suis demandé si cela n’était pas trop cliché et ne sortait pas démesurément du cadre du travail. Vous savez, comme lorsqu’un journaliste demande à une femme CEO comment elle gère ses enfants après qu’elle ait présenté son plan de croissance. Au final, je ne le regrette pas car ces bottes ont marqué les esprits et créé une forme d’électrochoc. D’ailleurs, je suis un peu jaloux de ces bottes : si je ne les porte pas, j’intéresse beaucoup moins les gens (rires).
« Je ne suis pas un rôle modèle. Je trouverais ça très prétentieux de ma part ! »
Ce qui est d’autant plus inspirant dans votre parcours, c’est que vous occupez un poste de direction à haut niveau. Avez-vous eu, dans le monde professionnel, des personnes qui vous ont inspiré de la sorte à des grades hiérarchiques élevés, ou avez-vous l’impression d’ouvrir la voie ?
Déjà, il est important pour moi de dire que je ne suis pas un rôle modèle. Je trouverais ça très prétentieux de ma part ! En revanche, des personnes comme Amélie Mauresmo, RuPaul ou Gabriel Attal, dans des styles très différents, me semblent être des figures plus intéressantes. Pour ma part, j’ai toujours vécu le fait d’être gay comme une grande liberté du fait qu’il n’y avait pas de modèle écrit et que la page était blanche. Bien sûr, cela me donnait parfois le vertige, surtout à la fin des 90’s. Car sans tomber dans le pathos, c’est vrai que les générations au-dessus de nous qui auraient dû ouvrir la voie n’ont pas pu jouer ce rôle à cause du Sida. Du coup, la mienne a été davantage dans la construction que dans le suivi d’une inspiration ou d’une route tracée.
Est-ce que être out, c’est encore plus difficile quand on est à des postes haut gradés ?
Cela peut être très difficile dans tous les cas. Si par exemple on travaille à l’usine dans un contexte où l’homosexualité est encore un vrai sujet, on peut ne pas vouloir parler de sa vie privée. J’ai rencontré des gens précautionneux pour ne pas dire effrayés à l’idée de perdre leur job. C’est très important pour moi de dire qu’il faut respecter le choix de chacun, et ne pas porter de jugement. La question est plutôt de se demander comment faire pour que ces personnes ne se retrouvent plus dans cette situation. Pour en revenir à l’interrogation initiale, j’ai aussi rencontré des gays qui ont souffert à des postes à responsabilités, davantage pour des questions diplomatiques, et ont préféré taire leur homosexualité jusqu’à ce que la situation devienne intenable.
Occuper un poste à responsabilités, c’est malgré tout l’occasion de changer les choses ?
Oui, clairement. Au-delà d’être une joke, la photo de moi en bottes à paillettes est aussi une manière de pousser ce sujet qui me tient à cœur. J’ai la possibilité de porter un message positif. Ce n’est qu’un petit pas, mais la somme de tous ces petits pas peut avoir une grande résonance. L’enjeu est de montrer qu’il est finalement plus facile d’être out et de s’assumer que de vivre avec une forme de pression et de malaise. Encore une fois, il ne s’agit pas de dire à tous les gays qu’ils doivent être militants. Mais simplement de leur prouver qu’il existe des endroits où les choses pourraient être différentes et où ils n’auraient pas à s’infliger tout ça. Je ne veux pas non plus devenir le « pédé de la tech », simplement faire avancer la discussion.
« La multiplicité des regards est centrale. À l’inverse, quand une entreprise considère qu’elle sait, elle est en danger. »
Quels sont les chantiers que vous allez mener auprès de vos équipes et au sein de VivaTech, en faveur de la différence ?
La diversité, l’égalité et l’équité entre les hommes, les femmes, les homos, les hétéros, les origines… C’est un combat qui se vit au quotidien. Chez VivaTech, j’ai la chance de travailler avec des gens qui ont une moyenne d’âge assez jeune, et pour qui il s’agit d’une préoccupation importante. Du coup, je suis vraiment au bon endroit !
Quels conseils managériaux donneriez-vous pour diriger les équipes dans un véritable esprit de diversité ?
Je dirais déjà qu’il faut travailler avec des gens inspirants. Ce conseil m’a été donné il y a longtemps et je le trouve toujours aussi pertinent. La multiplicité des regards est centrale pour une entreprise. À l’inverse, quand une entreprise considère qu’elle sait, elle est selon moi en danger. Il faut demeurer ouvert à la créativité, lutter contre les silos. C’est d’autant plus important que le cycle des entreprises est de plus en plus court : une bonne idée ne le restera pas pendant 20 ans. Alors, aux personnes qui prétendent avoir cherché des femmes à des postes stratégiques ou pénuriques, et ne pas les trouver, je leur réponds que la moitié de l’humanité ne se cache pas dans la forêt. Quand on veut vraiment un talent, on se bat pour l’avoir ! Ensuite, d’un point de vue RH, c’est très important d’objectiver les choses (grilles salariales, organigramme..) pour que l’on puisse regarder la vérité des chiffres et non pas se baser sur des sentiments ou des estimations à la louche. Ensuite, c’est au dirigeant de trancher. Et puis il ne faut pas non plus oublier que l’entreprise est un organisme vivant : les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain, c’est pourquoi il faut fixer un cap et développer une vision à long terme.
Vous êtes également aux premières loges pour traiter ce sujet dans l’univers de la tech. Comment est accueillie la communauté LGBT dans ce secteur, et reste-t-il des axes d’amélioration ?
Il n’y a pas de raison de penser que la tech a moins de préjugés. Par contre, c’est certain que de grandes entreprises du secteur, notamment sous la houlette de personnalités comme Tim Cook, ont fait de ces enjeux des axes stratégiques. Étant de grandes consommatrices de talents, elles devaient pouvoir s’adresser à toutes les franges de la population.
« Si une organisation affirme des choses qu’elle ne met pas en place dans la réalité, cela se retourne vite contre elle. »
Comment s’assurer que les prises de position des entreprises ne sont pas factices ?
On parle ici de pinkwashing. Pour ma part, je préfère une entreprise qui se positionne publiquement de cette façon plutôt qu’une autre qui ne fait rien sur le sujet. De plus, je crois qu’aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, si une organisation affirme des choses qu’elle ne met pas en place dans la réalité, cela se retourne vite contre elle. Je crois au darwinisme des collaborateurs qui savent distinguer les simples effets d’annonce des avancées concrètes. C’est aux entreprises de faire maintenant leur coming out !
Si l’on parle de diversité au sens large, quels sont selon vous les prochains combats à mener ?
Je pense que l’on n’est pas du tout au bout du chemin. Qu’il s’agisse du monde de la politique, de la culture, du milieu associatif ou sportif, des personnalités ont posé les bases d’une vision de la société qui se nourrit de la diversité. Mais il faut mettre en œuvre cette vision, et rien n’est gagné. Le premier des combats, c’est de faire appliquer la loi contre l’homophobie qui s’exprime chaque jour à travers des millions de messages sur les réseaux sociaux. Cela dit, je suis un grand optimiste et je crois que – malgré tout ce qui peut se passer de négatif – nous allons vers une société plus intelligente et ouverte. En tout cas, je l’espère !
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Article édité par Ariane Picoche, photo : Thomas Decamps pour WTTJ
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