Visio, bécot, dodo : « Ce que j'ai appris sur mon/ma partenaire en télétravail »

13 mai 2020

6min

Visio, bécot, dodo : « Ce que j'ai appris sur mon/ma partenaire en télétravail »
auteur.e
Marlène Moreira

Journaliste indépendante.

Vous deviez supporter ses petites manies au réveil, et voilà que maintenant, il faut les vivre toute la journée. Si avec la généralisation du télétravail et les confinements à répétition, de nombreux couples ont dû partager le même espace de travail du jour au lendemain, peu d’entre eux connaissaient réellement leur compagnon dans leur contexte professionnel. D’après un sondage Ifop pour Charles.co réalisé lors du premier confinement, 11 % des Français souhaitaient carrément prendre des distances avec leur partenaire à l’issue de la quarantaine, et 4 % envisagaient même de rompre. Mais pour une majorité, heureusement, l’expérience n’a pas été si catastrophique !

Témoignages sur cette cohabitation imposée, et ce que l’on peut apprendre sur son couple.

Quand on réalise que les années ont passé

Carole, 25 ans, webdesigner en start-up… confinée avec Rémi, 26 ans, auditeur junior

Rémi et moi, on s’est rencontrés à la fac, il y 6 ans. Pour moi, il a toujours été le mec qui a écrit sa première lettre de motivation en employant le tutoiement. Pour un peu, il postulait avec une adresse Caramail ! Alors le découvrir aujourd’hui hyper sérieux et organisé, ou l’entendre animer des réunions en parlant de “deadline” et de “process”… ça fait un choc !

On est très contents d’avoir l’occasion de travailler côte à côte presque tous les jours en télétravail, même s’il nous a fallu un peu de temps pour nous ajuster. Dans ma tête, quand le premier confinement a été annoncé, j’imaginais que l’on pourrait prendre le temps de faire un bon petit-déjeuner le matin, faire nos pauses ensemble sur le balcon. C’était sans compter son professionnalisme à toute épreuve ! Rémi est concentré à 100%, et toute la journée. Il ne fait pas de pause, et prend à peine le temps de manger. Alors que moi, je dois bien l’avouer, j’aime parfois travailler de mon lit, encore en pyjama. Alors il m’est arrivé d’avoir un peu peur qu’il me “juge”, j’avais l’impression d’être la mauvaise élève de l’appart’ !

Travailler ensemble nous a aussi fait prendre conscience que l’on avait un rapport au travail très différent lui et moi. Je suis dans une jeune entreprise, mes collègues ont mon âge, on rigole beaucoup et on fait des pauses clopes en visio en partageant un peu de nos vies perso. Un vrai monde de Bisounours ! De son côté, c’est plutôt l’inverse. Il est dans un univers assez dur, dans lequel il faut faire ses preuves sans montrer d’éventuelles faiblesses. Il a bâti une vraie frontière entre sa vie perso et sa vie pro. Elle est poreuse dans un sens car il me partage ses histoires de boulot, mais elle est trèèès hermétique dans l’autre. Alors que moi je rigole quand il passe derrière ma caméra et dit bonjour à mes collègues, c’est inenvisageable que j’en fasse autant ! Je pense qu’il a peur que ça compromettre son image. D’ailleurs, on a frôlé le drame le jour où je me suis fait couler un café quelques minutes avant sa visio du matin… il avait peur que je sois encore dans le salon quand la réunion allait démarrer, j’entendais presque le tic-tac dans sa tête !

Au fond, on en rigole. Mais j’ai compris qu’il était dans une véritable quête de crédibilité. Aujourd’hui, je mesure davantage son ambition. Je réalise qu’il a un plan professionnel très clair dans sa tête et je comprends mieux pourquoi il se met parfois la pression. Mais surtout, ça nous a permis de découvrir une nouvelle facette de nous et de partager davantage le “quotidien” de nos vies professionnelles qui était moins au centre de nos conversations avant le premier confinement : les petits accrocs entre collègues, les doutes, les incompréhensions. Je me confie plus à lui et il m’offre un point de vue différent, plus sage car il a plus de recul que mes collègues, par exemple, avec qui j’avais tendance à beaucoup partager.

Bref, on réalise que l’on est devenus des adultes. Et dire que quand on s’est rencontrés, on savait à peine faire cuire des coquillettes…

« On réalise que l’on est devenus des adultes. Et dire que quand on s’est rencontrés, on savait à peine faire cuire des coquillettes… » Carole

Quand il faut gérer une relation secrète

Antoine - 35 ans, ex-consultant, devenu comédien… confiné avec Claire, 31 ans, customer success manager

On a travaillé dans la même entreprise pendant un an avant que je décide de changer complètement de métier. Quant à Claire, elle y travaille toujours. Ça fait donc quelques années que l’on se connaît, mais seulement un mois que l’on a entamé une relation. Elle était en déplacement à l’étranger quand on a appris la nouvelle du confinement. Il a fallu prendre une décision rapidement : se confiner ensemble, en sachant que c’était un peu tôt dans la relation, ou séparément, au risque de ne pas se voir pendant plusieurs semaines. On a choisi la première option !

On s’est retrouvés face à plusieurs défis, et pas des moindres : passer d’une relation “casual” à une vraie vie à deux, rester 24h/24 ensemble, travailler dans de bonnes conditions… tout en gardant notre relation secrète. Car oui, aucun de nos collègues/anciens collègues n’étaient au courant. Or, Claire passe 75% de son temps en visio… Il fallait donc faire en sorte qu’ils ne reconnaissent pas l’appart et qu’ils n’entendent pas ma voix en arrière-plan. Un vrai film de James Bond, les gadgets en moins ! On a tenu notre couverture pendant une bonne semaine avant de se faire griller. Je n’avais pas remarqué qu’elle était en call, je suis passée derrière elle (torse-nu, tant qu’à faire)… On a dû révéler à tous que l’on était “confinés ensemble”. Chacun en conclut ce qu’il souhaite. Il faut dire que mon appartement est composé de deux pièces, donc pour ne pas que l’on m’entende j’ai dû passer beaucoup de temps dans la salle de bain. Une période très… humide.

Finalement, on a juste eu quelques ajustements “logistiques” pour travailler dans de bonnes conditions. Au-delà de ça, j’ai vite compris qu’elle était la même personne en privé et au travail : très à l’écoute, pertinente, pédagogue, réfléchie. De son côté, quand elle m’a vu travailler sur mes pièces, répéter avec mes amis comédiens - avec toute la liberté et la créativité que cela m’apporte - ça l’a fait beaucoup réfléchir. Elle a toujours été passionnée de cuisine et hésite à se lancer, peut-être qu’elle sautera le pas elle aussi ?

« Quand elle m’a vu travailler sur mes pièces, répéter avec mes amis comédiens - avec toute la liberté et la créativité que cela m’apporte - ça l’a fait beaucoup réfléchir » Antoine

En tout cas, le confinement a été une belle parenthèse pour nous. Puis on a dû revenir à notre “ancienne vie”, car elle est partie en mission pendant 3 mois dans le sud de la France. Ça nous a aussi permis de laisser le temps à notre relation d’évoluer dans un cadre “normal”. Pour autant, on est contents de savoir que le jour où on décidera de s’installer ensemble pour de bon, on sera capables (et heureux) de se supporter !

Quand on était déjà presque collègues

Justine, 28 ans, recruteur… confinée avec Bastien, 27 ans, chef de projet marketing

Je travaille dans un cabinet de conseil, c’est là-bas que j’ai rencontré Bastien il y a 5 ans. On ne bosse ni sur le même métier, ni dans la même équipe, et on est finalement rarement amenés à se voir dans le cadre du boulot. D’ailleurs, on parle très peu de nos vies pro habituellement, et encore moins depuis le premier confinement.

Ce qui a changé pour nous, c’est surtout la frontière entre nos vies professionnelles et nos vies personnelles. Enfin, surtout, le regard de nos collègues respectifs sur notre couple. Jusqu’ici, tout le monde savait que l’on était ensemble… mais en mars 2020, c’est devenu tout à coup très “concret” pour eux. Depuis, l’intimité que l’on avait réussie à préserver jusqu’ici est sérieusement malmenée ! Mais au fond, ce n’est pas très grave, car tout le monde est très bienveillant. Et ça a plutôt conduit à des situations amusantes. Le jeu préféré de ses collègues ? Répondre aux questions que je pose à mes candidats, quand ils m’entendent faire passer des entretiens à l’autre bout du canapé : « Un défaut ? Je dirais que je suis une personne bien trop perfectionniste et dynamique chère Justine. » Difficile de se concentrer, mais j’ai beaucoup rigolé.

Et il faut dire que c’est bien mérité, car je parle parfois assez fort. Il nous a d’ailleurs fallu une bonne engueulade pour que l’on parvienne à accorder nos violons ! Bastien est sur un métier qui demande beaucoup de rédaction, de recherche, de capitalisation. Il a besoin de silence et de concentration. Moi je suis en visio ou au téléphone toute la journée. Deux modes de travail difficilement compatibles quand on a un petit appartement. Mais finalement, on a trouvé notre rythme !

En tout cas, c’est sympa de le voir dans son contexte professionnel. Je savais déjà que c’était quelqu’un de très carré, d’intelligent, de sérieux (je ne suis pas RH pour rien), mais là, j’ai pu l’observer de mes propres yeux. Et maintenant que l’on est organisés, que l’on connaît les limites et les habitudes de l’autre, c’est très agréable de travailler ensemble. Surtout dans un contexte aussi inhabituel et tendu. Je pense que l’on en est déjà ressortis plus forts, mais ce n’est pas fini…

« Maintenant que l’on est organisés que l’on connaît les limites et les habitudes de l’autre, c’est très agréable de travailler ensemble » Justine

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Photo d’illustration by WTTJ

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