En Suède, j’ai bénéficié du congé parental d’un an… et j'ai détesté
18 nov. 2020
7min
Journaliste indépendante
Alors que la France se réjouit d’avoir voté l’allongement du congé paternité, passé de 14 à 28 jours (dont 7 obligatoires), en Suède, cela fait un peu plus de quarante ans que les jeunes parents bénéficient d’un congé indemnisé de 480 jours, dont trois mois obligatoires par parent. Considéré comme précurseur dans la promotion de l’égalité hommes-femmes, le modèle suédois est souvent loué par ses voisins européens, qui voient dans sa politique familiale généreuse une façon bien plus saine d’équilibrer vie de famille et vie professionnelle. Pourtant, si vu de l’extérieur le système suédois peut sembler séduisant, bénéficier d’un congé parental aussi long n’est pas la panacée pour tout le monde. Elise, française expatriée en Suède depuis cinq ans, a bénéficié d’un an de congé parental à la naissance de son petit dernier et préférerait ne jamais revivre cela.
Des débuts compliqués
Nous sommes arrivés en Suède en novembre 2015. Mon mari est professeur de littérature britannique à l’université, et moi, traductrice indépendante. Auparavant, nous avions vécu à Bruxelles, puis à Manchester, où mon premier fils est né. Quand nous avons déménagé pour Göteborg, seconde ville de Suède après Stockolm, j’étais enceinte de mon deuxième enfant, Joseph, et mon aîné, Andrei, avait alors dix-huit mois.
La première étape fut de trouver une crèche pour Andrei. En Suède, il faut savoir que toutes les crèches et les maternelles, rassemblées ici sous le nom de pre-school, sont gérées par les communes. Il n’existe quasiment pas de nourrices, tout est géré collectivement, et l’enfant ne peut pas aller à la crèche avant ses douze mois.
Étant travailleuse indépendante, tant que mon statut d’auto-entrepreneure suédois n’était pas validé, Andrei n’avait pas le droit d’aller à la crèche à temps plein. Je me suis donc retrouvée en début de grossesse avec des nausées, mon aîné à gérer une partie de la semaine, les statuts de mon entreprise à transférer de Manchester à Göteborg… Bref, un démarrage pas évident.
Se retrouver avec plusieurs enfants à gérer
Mais ce qui a vraiment été difficile à encaisser, c’est quand on a appris qu’à la naissance de notre deuxième enfant, on ne pourrait plus mettre l’aîné à la crèche tous les jours. C’est un système qui s’applique à tous les parents qui touchent des allocations de congé parental en Suède : les autres enfants de la fratrie n’ont pas le droit d’aller à l’école à temps plein si l’un des parents est en congé parental. Or, sachant qu’aucune structure n’accueille d’enfant avant ses un an, et qu’il y a très peu de nourrices, presque tous les parents prennent le congé parental à la naissance, au moins pendant les douze premiers mois. Résultat, en cas de fratrie, les parents se retrouvent avec le nouveau-né plus les frères et sœurs une partie de la semaine.
Début 2016, nous avons donc appris qu’à partir du mois d’août, sachant que la naissance de Joseph était prévue en juin, Andrei n’aurait le droit d’aller à la crèche que 15 heures par semaine, selon un planning choisi par l’établissement, en l’occurrence 3 journées de 5 heures. Quand Joseph est né, ça a été l’enfer. Dieu merci j’ai eu des bébés super faciles, mon accouchement s’est bien passé et je n’ai pas eu de post-partum compliqué ! Parce que tous les jours, il fallait s’occuper du bébé, et ensuite aller à 14h chercher le grand, qui avait deux ans et demi et sortait de la sieste en pleine forme.
L’aspect le plus difficile en fait, et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour la plupart des familles pendant le premier confinement en France, a été de s’occuper des besoins différents de plusieurs enfants, dont un ou plusieurs qu’on a retiré du système scolaire, et qui avaient commencé à sociabiliser. La plupart des Suédois peuvent compter sur des relais familiaux, des grands-parents par exemple, qui peuvent les soulager un peu en gardant les enfants une ou deux fois par semaine, mais nous on était isolés. En tant que Français, on n’est pas culturellement câblés pour ça : il ne viendrait à personne l’idée de déscolariser un enfant qui a commencé l’école maternelle.
Un congé parental pas si paritaire que ça
À cette difficulté s’est ajouté le fait que j’étais auto-entrepreneure, donc j’avais besoin de travailler, je ne pouvais pas me permettre de refuser toute commande pendant un an, sans quoi je n’aurais plus eu de commandes du tout. Heureusement, comme mon mari fait de la recherche en littérature, il n’avait pas besoin d’être tout le temps au bureau pour son travail. Du coup il pouvait bosser de la maison, et me relayer un peu.
En soit, la répartition du congé parental en Suède est très souple : trois mois pour la mère, trois mois pour le père, dont 30 jours en commun, et le reste à se répartir comme on le souhaite. Tout est fractionnable à l’envie : on peut prendre une demi-journée par-ci par-là, on n’est pas obligés de tout prendre en continu.
Et malgré cette répartition du congé très flexible, ce que je constate parmi les Suédois que je fréquente, c’est que les hommes se retrouvent toujours avec les bons créneaux. C’est-à-dire les lundis et les vendredis, pour pouvoir emmener tout le monde en weekend. Il y a des cas où les hommes prennent 6 mois, mais souvent ce ne sont pas les 6 premiers mois, car il y a cette période incompressible de la toute petite enfance, où la mère doit être présente, que ce soit pour allaiter, ou ne serait-ce que pour se remettre du post-partum.
Il y a cette image d’Epinal de ces jeunes pères suédois branchés, et c’est vrai que sur l’égalité hommes-femmes, la Suède est très en pointe, mon accouchement a été super, on se sent écoutée, globalement les femmes sont très bien traitées par le système, mais il y a toujours ce biais favorable qui fait que les hommes qui font plus de 10% des tâches à la maison sont des héros, alors que les femmes qui en font moins de 90% ont juste de « la chance ».
Un système pensé pour les salariés
« J’avais du boulot par-dessus la tête, je n’en pouvais plus d’aller chercher Andrei à 14h tous les jours, mon mari n’arrivait pas à bosser non plus… donc on s’est dit “tant pis, on arrête le congé.” »
Vers février-mars 2017, mon mari et moi n’en pouvions plus de ce rythme : moi j’essayais de bosser avec un bébé de 8 mois qui ne dormait pas du tout et ne faisait pas de siestes, j’avais du boulot par-dessus la tête, je n’en pouvais plus d’aller chercher Andrei à 14h tous les jours, mon mari n’arrivait pas à bosser non plus… Donc on s’est dit « tant pis, on arrête le congé », juste pour qu’Andrei puisse retourner à l’école à temps plein. Certes on avait toujours le petit, mais au moins on avait « que » le petit.
En temps qu’indépendante, le fait qu’Andrei retourne à la crèche m’a permis de pouvoir recommencer à facturer des clients. Car le problème avec le système suédois c’est qu’il est favorable pour un seul type de travailleur : les salariés, bénéficiant d’un entourage familial, et moi, en tant que freelance et expatriée, je ne rentrais pas dans ces cases-là. Une mère avec un travail salarié stable retrouvera son boulot sans trop de placardisation, dans des conditions à peu près identiques à celles qu’elle a quitté. Mais si elle sort du moule, que ce soit parce qu’elle a un CDD, peu de relais familiaux pour l’aider lors de son congé, ou à cause d’une naissance multiple, c’est compliqué.
Un consensus pesant
Si j’ai vraiment adoré passer du temps avec mes enfants quand ils étaient bébés, j’ai eu beaucoup de mal avec cette espèce d’impératif idéologique du bien-être en congé parental. Quand j’ai émis auprès de connaissances l’idée que ce n’était peut-être pas ce qu’il y avait de mieux pour Andrei de se retrouver de nouveau à la maison avec sa maman qui s’occupe de son petit frère toute l’après-midi, j’ai senti beaucoup de désapprobation. Ce n’est que lorsqu’on a commencé à rencontrer des parents expats comme nous, à qui on a pu parler un peu, notamment des femmes, avec qui j’ai évoqué cette pression du congé, que je me suis rendue compte que c’était très pesant pour certaines. Ce n’est pas parce que l’on est mère que l’on a envie de passer un an avec ses gosses.
Le problème c’est qu’ici toute critique contre l’État-providence est très mal perçue car c’est leur fierté. Cette culture de la conformité, le fait de ne pas avoir le choix de retravailler quand je le souhaitais, a été très dur. Il est absolument impossible d’exprimer un désaccord sur le système, on marche sur des œufs à chaque fois que l’on émet la moindre critique. L’idée de désocialiser mon gamin m’a agacé, et l’hypocrisie qui consiste à dire que c’est pour le bien de l’enfant encore plus. Il y a une grosse adhésion à ce que dit l’État, on part toujours du principe que c’est pour le bien des citoyens, a fortiori pour le congé parental : du coup, si on le vit mal, ce n’est pas normal. Quand on a essayé de négocier pour remettre Andrei à la crèche plus d’heures, on a même proposé de compenser financièrement l’État, mais c’était non négociable. Or ce n’est pas une bonne entrée dans la parentalité : dès le départ, on a déjà l’impression de ne pas être un « bon parent » du point de vue des standards locaux.
« Ce n’est pas parce que l’on est mère que l’on a envie de passer un an avec ses gosses. »
Une culture du travail différente
Le système est fait pour que les mères puissent se remettre retravailler sans perdre d’avantages certes, mais surtout pour qu’elles puissent s’occuper des enfants. Il y a une doxa qui est « l’enfant reste avec ses parents un an au moins, et ensuite tout le monde part en établissements collectifs ». Et si on n’est pas d’accord avec ça, ou qu’on a le malheur de s’ennuyer pendant son congé parental, ce n’est pas normal. En France on critique beaucoup mais au moins les choses sont dites, la Suède n’est pas une société qui dit.
C’est aussi lié au fait qu’ici, il y a moins cette culture de la performance et du présentéisme qu’en France. On n’attend pas d’un salarié qu’il s’implique à fond au boulot, donc le congé parental s’inscrit dans une culture du travail où les exigences ne sont pas les mêmes. En Suède, on a pensé la société pour la famille, il est donc normal d’être mère avant tout. Ça a aussi ses avantages, les attentes qui pèsent sur le corps maternel (sur ce que doit être un corps post-partum, sur la façon dont doit se dérouler l’allaitement…), sont beaucoup moins fortes qu’en France. Ça, c’est vraiment positif, je le reconnais. Il n’empêche que nous avons décidé que nous n’aurions pas de troisième enfant en Suède : je ne me vois pas recommencer un congé avec un nouveau-né et deux enfants en bas âge à la maison.
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