Faut-il s’inspirer du « congé santé mentale » né aux États-Unis ?

25 avr. 2023

5min

Faut-il s’inspirer du « congé santé mentale » né aux États-Unis ?
auteur.e
Clémence Lesacq Gosset

Senior Editor - SOCIETY @ Welcome to the Jungle

contributeur.e.s

Aux États-Unis, l’idée d’un « congé santé mentale » a fait son chemin dans quelques grandes entreprises. En offrant une semaine ou quelques jours de repos supplémentaires pour souffler et renouer avec son équilibre psychique, les sociétés espèrent enrayer un des maux du siècle : l’explosion du nombre de burn-out liés au travail. Mais est-ce suffisant ? Et quid d’une réflexion proche en France ?

Un congé pour prévenir plutôt que guérir

Jamais depuis la pandémie, l’expression « santé mentale » n’a autant été considérée par les institutions, les médias ou encore les entreprises. Et pour cause, pas moins de 44 % des salariés français seraient aujourd’hui en situation de détresse psychologiqueselon un baromètre OpinionWay de mars 2023, réalisé pour le cabinet Empreinte Humaine. Et pour plus de 7 répondants sur 10, le travail constitue l’une des causes principales, partielle ou totale, de leurs symptômes de fatigue, de surmenage, voire de dépression. Nombreux sont celles et ceux à se sentir happés par la machine infernale du « toujours plus avec moins », raison pour laquelle ils perçoivent leur charge de travail et leur niveau d’épuisement en constante augmentation.

Un phénomène qui dépasse largement nos frontières. Aux États-Unis également, les burn-out explosent. À tel point que certaines structures ont envisagé la mise en place d’un « congé santé mentale ». Forbes recensait dès 2021 trois entreprises de taille à proposer un tel dispositif : LinkedIn, Bumble et Mozilla. L’idée ? Miser sur un congé pour préserver, et non pas « soigner » la santé mentale de leurs salariés, en offrant un nombre de jours de congés supplémentaires à celles et ceux qui sentiraient le besoin de souffler psychologiquement.

En France, le concept de « congé santé mentale » n’existe pas. Du moins, pas pour le moment. Mais nous bénéficions déjà d’un nombre non négligeable de congés payés (cinq semaines obligatoires contre en moyenne deux aux États-Unis). Reste que les nombreuses réflexions qui traversent actuellement notre société pourraient rebattre les cartes. L’avènement du télétravail et du travail hybride associés aux questionnements relatifs au temps et à la durée du travail, à travers notamment l’actualité autour de la réforme des retraites (7 salariés sur 10 ont ainsi « peur de ne pas pouvoir tenir avec le recul de l’âge de départ ») ou encore de la semaine de quatre jours (64 % des Français seraient prêts à sauter le pas pour bénéficier d’un meilleur équilibre pro/perso), mettent en lumière le besoin croissant de flexibilité des salariés, pour qui la valeur temps vaut désormais de l’or en considération de leur bien-être psychologique.

Une envie, voire un besoin à côté duquel n’est pas passé LinkedIn. Sa directrice des ressources humaines, Teuila Hanson, revient pour Forbes sur sa décision de congé santé mentale : « Nous voulions nous assurer que nous pouvions leur donner quelque chose de vraiment précieux, et ce que nous pensons être le plus précieux en ce moment : le temps. » Une mesure d’autant plus pertinente puisqu’elle vient offrir légitimement à chacun un temps dédié pour faire une pause, se recentrer sur soi et redonner la priorité à son propre bien-être. « L’idée est intéressante parce que ce congé est piloté par l’employeur ou le manager, reprend Christophe Nguyen. Le plus souvent, les hommes et les femmes qui sont au bord du burn-out ne s’en rendent pas compte. Le fait de créer des espaces explicitement dédiés à la santé mentale, sans culpabilisation de la part de leur hiérarchie, permet aux salariés de prendre conscience de leur situation et d’accepter de lever le pied au nom de leur mieux-être psychique. »

L’une des pierres d’un bien plus grand édifice

Mettre des mots sur la nature du congé, ce serait donc cela le secret pour « autoriser » les individus à prendre soin de leur santé mentale et à (enfin) lever le pied lorsqu’ils en ressentent le besoin ? Peut-être. La pratique semble néanmoins revêtir certaines limites. « Un tel congé est complexe à mettre en place parce que complexe à délimiter. Premièrement, qui pourrait en bénéficier ? Seulement celles et ceux qui ont une mauvaise santé mentale, ou également en prévention pour ceux qui sont en pleine forme, qui semblent équilibrés, heureux ?… Et puis, que ferait-on pendant ce congé ? J’imagine que l’idée serait de se ressourcer, se concentrer sur soi, prendre soin de soi… Est-ce que c’est faire de la balnéothérapie, faire du mindfulness, du yoga ? Aurait-on le droit de ne juste “rien faire” ? », questionne notamment le psychologue du travail.

Pour être vraiment utile, la principale condition de cette réserve de congés serait donc de ne pas nécessiter de justification. Un principe suivi notamment par le site de recrutement américain Monster qui fait figurer sur la section Culture d’entreprise et Relations avec les employés de son site carrière : « Les jours santé mentale à l’échelle de l’entreprise sont généralement l’option la plus sûre, surtout si certains travailleurs hésitent à admettre qu’ils ont besoin d’une pause. Allouez deux ou trois jours par an aux employés pour qu’ils puissent souffler, sans avoir à se justifier. »

Mais au-delà d’un nouveau congé - en tout cas dans l’Hexagone - ne faudrait-il pas plutôt se concentrer sur les déterminants qui font que la santé mentale est actuellement dégradée au travail ? « Deux ou trois jours de repos, quand on est au bord du burn-out, ce n’est clairement pas adapté… », témoigne Christophe Nguyen. L’augmentation des temps de pause est certes nécessaire. À ce titre, une étude conjointe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Organisation internationale du travail (OIT) s’inquiète du fait que les gens travaillent de plus en plus longtemps, ce qui les expose davantage au risque d’une mort prématurée. Mais leur offrir quelques jours de congé est-il vraiment la solution ? Ne vaudrait-il pas mieux agir directement sur leurs facteurs de stress, d’anxiété et de mal-être au travail ?

« Nos études révèlent que ce qui manque aux salariés, ce sont des interactions qui font du bien à leur santé mentale : le fait d’échanger positivement avec leurs collègues, de prendre le temps de parler de ce qu’ils font et des bonnes manières d’améliorer le travail collectif… Quand on parle de “temps de travail”, les salariés demandent surtout une amélioration du temps passé au travail pour être plus durablement efficaces », remarque Christophe Nguyen. Le psychologue du travail est clair : seuls les changements structurels permettent d’éviter les situations de stress intense, de mal-être et d’épuisement professionnel, de telle sorte que l’organisation du temps de travail dans l’entreprise mérite d’être repensée. Et si les congés sont une composante essentielle, à commencer par garantir des temps de repos tout au long de l’année pour tous avec de vrais week-end déconnectés pour investir sa vie privée, ils ne font pas tout ! Un constat partagé par le docteur en neurosciences Albert Moukheiber : « Évidemment, il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut pas avoir de vacances annuelles de deux ou trois semaines, voire davantage on peut rêver. L’important est de comprendre que ce n’est pas suffisant. Si vous attendez les vacances en apnée, elles seront autant sous pression que votre travail.
Nos rythmes sociaux méritent donc d’être repensés à nouveau : on a besoin de vacances quotidiennes en plus de ce temps de déconnexion, pour qu’il le devienne vraiment.
»

Quelle stratégie faut-il alors envisager pour prendre soin de sa santé mentale sur la durée ? « C’est au quotidien dans le travail qu’il faut agir, pose encore le président du cabinet Empreinte Humaine. En répartissant la tâche de travail mais également en agissant sur les curseurs des agendas : par exemple en instaurant des journées ou demi-journées sans réunion, afin que chacun reprenne la main sur ses tâches personnelles. Se sentir en contrôle et serein est la clé. Sans oublier qu’il faut instaurer une pédagogie à destination des salariés. Moins d’un quart d’entre eux savent quoi faire pour être bien psychologiquement au travail ! »
Si la mise en place d’un congé peut se révéler bénéfique à certains égards, notamment en ce qu’elle légitime la prise en considération de la santé mentale entre les murs de l’entreprise, son instauration ne saurait suffire. Aux grands maux (et les atteintes à la santé mentale en sont un), les grands remèdes. Plus grand que d’offrir à crédit quelques jours de congés…

Article édité par Mélissa Darré, photo par Thomas Decamps.

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