Comment appréhender la retraite quand on finit sa carrière sur un échec ?
27 nov. 2023
5min
Journaliste indépendante
Quitter un emploi dans lequel on s’est beaucoup investi n’est jamais chose aisée. D’autant plus lorsqu’il s’agit du dernier poste que l’on occupera au cours de sa carrière. En effet, quand cette dernière ne s’achève pas comme on l’avait prévu, le contrecoup peut être très difficile. Comment appréhender sereinement les premiers temps de la retraite, quand sa carrière s’est soldée par un échec ? Nos conseils pour ne pas ressasser et profiter pleinement de cette nouvelle période qui s’ouvre.
Se détacher d’une partie de son identité
« Quand on met beaucoup de soi dans son travail, on a besoin que ce soit reconnu. Et quand ce n’est pas le cas, ça laisse un sentiment d’inachevé, et beaucoup de frustration… » Patrice, 66 ans, conserve un goût amer de son passage à la retraite. Après dix-huit ans de bons et loyaux services, cet ancien responsable informatique s’est retrouvé licencié du jour au lendemain, sans sommation. « Je suis arrivé un matin, et je me suis retrouvé convoqué dans le bureau de mon responsable. Là, on m’a expliqué que soit on diminuait mon salaire de façon conséquente, soit on me mettait à la porte. J’avais alors 58 ans. » La raison invoquée ? La nécessité de réduire les coûts drastiquement, de préférence en sucrant les salaires des seniors, plus élevés.
En entreprise, pousser les plus âgés vers la sortie n’est pas un phénomène nouveau. En 2020, selon un article du Monde, les plus de 50 ans représentaient les deux tiers des ruptures de contrat enregistrées par Pôle emploi dans le cadre de plans sociaux. Aujourd’hui, les plans sociaux proposant pré-retraites et départs avantageux continuent de se multiplier, et si beaucoup de salariés quittent leur entreprise avant l’âge légal plutôt satisfaits, pour certains, l’heure de la retraite qui sonne plus tôt que prévu n’est pas bien vécue. « Le passage à la retraite est l’une des transitions identitaires les plus difficiles chez l’être humain, analyse le psychologue du travail Adrien Chignard. Notamment parce que le travail conserve une centralité très forte dans la vie des gens. Quand vient le jour d’arrêter son activité professionnelle, certains peuvent avoir l’impression de perdre une partie de leur identité. »
Selon le psychologue, pour partir heureux à la retraite, quelles que soient les conditions de son départ, il faut l’anticiper le plus possible. « C’est ce que l’on appelle la période d’anticipation cognitive qui dure environ 18 mois. C’est en général le temps nécessaire pour éviter de « subir la retraite », et de se retrouver démuni face à tout ce temps soudainement libre, dont on ne sait que faire ». D’où le fait que, lorsque la retraite intervient de façon soudaine, le choc est plus difficile à encaisser. Mais que l’on ait pu bénéficier ou non de ce temps d’anticipation, l’une des meilleures façons de préparer sa retraite reste encore de « multiplier les fils qui nous retiennent à la vie », selon Adrien Chignard. En d’autres termes, faire en sorte que, tout au long de sa carrière, le travail ne soit pas notre unique source d’épanouissement.
« Sans boulot du jour au lendemain, il m’a fallu environ cinq mois d’introspection intensive avant de me décider à m’activer, se souvient Patrice. Tout ce temps libre me donnait le vertige, je ne savais pas quoi en faire. Heureusement, j’ai toujours fait du sport et de la musique à côté de mon travail, c’était l’occasion d’y consacrer plus de temps. Je me suis inscrit à une formation de technicien du son, j’ai fait un stage dans un théâtre… j’ai rencontré plein de gens ! J’imagine que pour quelqu’un qui n’a pas de passions en dehors du travail, c’est plus difficile. Pourtant je m’investissais beaucoup au boulot, je faisais de gros horaires, mais il est vrai que j’ai toujours eu d’autres centres d’intérêt en parallèle, et c’est ce qui m’a sauvé. » Développer d’autres activités pour ne pas se retrouver perdu le jour où son travail s’arrête, est valable quel que soit le motif du départ en retraite. Mais pour ceux, qui, comme Patrice, se retrouvent mis à l’écart de la vie professionnelle sans avoir pu mettre un terme satisfaisant à leur carrière, c’est d’autant plus capital.
Se raconter une nouvelle histoire
« Suite à l’entretien où j’ai refusé une baisse de salaire, j’ai reçu une lettre de mise à pied pour cause de non-atteinte des objectifs. Trois semaines plus tard, je n’avais plus le choix : j’ai dû quitter l’entreprise. J’ai même été prié de faire mon préavis chez moi. J’ai ensuite attaqué mon entreprise aux Prudhommes, et obtenu, après un an et demi de procédure, une compensation financière pour licenciement abusif ». Ressentir de la colère suite à un départ à la retraite subi peut non seulement être légitime, mais peut même s’avérer bénéfique d’après Adrien Chignard. « La colère a une fonction : elle suscite en nous une énergie, qui peut être investie pour résorber le sentiment d’injustice. Certains vont l’utiliser pour balancer leurs quatre vérités à leur supérieur, d’autres pour se faire justice en allant aux Prudhommes, d’autres vont s’investir aux côtés des militants syndicaux… » Loin d’être paralysante, la colère peut alors être galvanisante, et être canalisée pour réparer un amour-propre endommagé par un départ à la retraite mal vécu.
Pour certains, le sentiment d’échec face à une fin de carrière professionnelle en demi-teinte peut être contré en s’investissant dans des activités aidant les autres. « Beaucoup de jeunes retraités compensent un mauvais départ à la retraite, en s’engageant dans des activités caritatives, observe Adrien Chignard. Cela permet de ne plus percevoir la retraite comme une valeur « par défaut » par rapport au travail, mais comme une participation active à des activités qui contribuent à redonner fierté et confiance en soi ». Parmi ces néo-retraités, on retrouve des salariés licenciés, comme Patrice, mais aussi des personnes qui ont été placardisées, une façon plus subtile (et fréquente) de diriger un salarié en fin de carrière vers la sortie. « À la fin de son parcours professionnel, on va ressentir cette mise à l’écart de manière plus difficile », expliquait Franck Morel, auteur d’un récent sondage pour l’Institut Montaigne sur la placardisation au micro de Radio France. S’investir dans le tissu associatif peut alors être un bon moyen d’enrayer un sentiment d’inutilité qui a pu naître à l’issue des dernières années professionnelles passées dans l’ombre.
Enfin, pour se remettre d’un échec professionnel survenu en fin de carrière, le psychologue insiste sur le fait de ne surtout pas succomber à la tentation de l’isolement et du repli sur soi. Au contraire, il serait important de continuer à voir d’anciens collègues avec qui les relations étaient bonnes, afin de se « raconter une autre version de l’histoire ». « On ne peut pas oublier les mauvais souvenirs, mais on peut les ensevelir sous de nouvelles bonnes expériences, explique l’expert. Se remémorer les bons moments de sa vie professionnelle permet de rééquilibrer la balance émotionnelle et cognitive, et se dire qu’effectivement, il y a eu de mauvais moments, mais qu’il y a aussi eu de supers instants. Réactiver ces souvenirs, se rappeler nos victoires, permet de rééquilibrer les choses, de normaliser ce que l’on vit ». Car lorsque les dernières années de la vie professionnelle sont liées à un sentiment d’échec, grande est la tentation de relire l’ensemble de sa carrière sous ce prisme. Restaurer un lien avec des collègues que l’on a connus et appréciés est alors d’autant plus précieux pour se rappeler qu’une carrière ne peut se résumer à ces dernières années.
Cultiver des centres d’intérêts en dehors de sa sphère professionnelle, se remémorer ses bons souvenirs et ses réussites aux côtés d’anciens collègues, s’investir dans des associations utiles, voire reprendre une activité professionnelle bénévole, sont autant de pistes pour adoucir un départ à la retraite difficile. Avec une seule idée en tête : ne pas voir l’ensemble de sa carrière sous le prisme de ce dernier échec.
Article édité par Aurélie Cerffond ; Photo Unsplash.
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