« Il ne fait rien de ses journées » : ces couples qui partent à la retraite en décalé

05 juin 2024

5min

« Il ne fait rien de ses journées » : ces couples qui partent à la retraite en décalé
auteur.e
Pauline Allione

Journaliste independante.

contributeur.e

Après des années de dur labeur, le moment de la retraite, parfois attendu, parfois redouté, prend le relais. Mais dans un couple, à moins d’avoir le même âge et un nombre identique de trimestres validés, il n’est pas rare de prendre congé en différé. Le premier découvre la saveur du quotidien de retraité en avant-première, pendant que l’autre continue de bouder les grasses matinées pour aller bosser. Comment s’adapte-t-on, au sein du couple, à ce changement de rythme majeur et surtout, désynchronisé ? Des personnes retraitées ou en activité, ont accepté de nous raconter leur expérience de l’amour à deux quand la retraite se vit d’abord en solo.

« Je le voyais ne rien faire à la maison, donc j’ai commencé à déléguer », Liliane, 61 ans, aide-soignante

Cela fait 5 ans que mon mari est officiellement retraité de la RATP. Mais pour éviter de partir à la retraite trop brusquement, il a enchaîné sur un petit job à mi-temps pour lequel il conduisait des enfants dans des centres de rééducation. Forcément, cela a impacté notre quotidien : avant sa retraite, on partait tous les deux chaque matin pour se retrouver le soir et on avait beaucoup de moments seuls, chacun de notre côté. Le retrouver tous les jours à la maison a surtout été compliqué pour moi, car j’ai rapidement eu tendance à déléguer et à lui demander plus d’investissement dans les tâches ménagères. Je travaillais et lui était à la maison où il ne faisait « rien ». Ça a rapidement créé des tensions entre nous puisque je ne comprenais pas qu’il ne s’investisse pas plus, pendant que lui avait l’impression que je le voyais comme un bon à rien depuis qu’il ne travaillait plus. Je suis une personne très active qui a toujours besoin de s’occuper, et je ne me suis pas rendue compte tout de suite de la pression que je lui mettais. J’ai dû m’adapter à cette nouvelle organisation, accepter que ce n’est pas parce qu’on est à la maison que l’on doit être continuellement productif, et on a appris à respecter nos moments individuels respectifs. Il s’investit davantage dans les tâches ménagères depuis qu’il est retraité, mais il n’y consacre pas tout son temps non plus. Et s’il m’arrive de le voir tourner en rond, je l’accepte : il tourne en rond lorsqu’il a fait sa part des choses à la maison.

« Je veux prendre le temps de savoir ce dont j’ai envie, avant d’être à deux », Johanna(1), kinésithérapeute en libéral, 61 ans

Après 40 ans à m’occuper des autres et quelques problèmes de santé qui pointent le bout de leur nez, je m’apprête à prendre ma retraite avant l’heure : dans quelques semaines, j’arrête mon activité et je vivrai du salaire de mon mari en attendant de toucher officiellement ma retraite. Prendre cette décision n’a pas été évident parce que j’aime mon métier, mais il m’a pris beaucoup de temps et d’énergie, et je n’ai jamais pu me consacrer à d’autres activités parallèles. Un médecin me disait : « Je n’ai pas d’amis, je n’ai que des patients », c’est-à-dire que c’est un métier qui est tellement chronophage qu’on n’a pas ou peu le temps de développer son réseau personnel. Mon mari, qui est publicitaire et devrait prendre sa retraite dans deux ans, est quant à lui hyperactif et très engagé dans l’associatif. C’est précisément pour cette raison que je préfère partir à la retraite avant lui : je ne veux pas me laisser engloutir dans ses activités à lui. D’abord parce qu’après des années à m’occuper des autres je veux m’occuper de moi, ce pour quoi le bénévolat n’est pas une option pour moi, mais aussi parce que pour m’occuper de moi, j’ai besoin de savoir ce dont j’ai envie. Dans l’idéal, j’aimerais trouver une activité physique à pratiquer régulièrement et occuper ce nouveau temps libre à me cultiver en assistant à des conférences à l’université populaire. J’espère que ce départ à la retraite, en solo dans un premier temps, sera bénéfique de ce point de vue-là. Les craintes de m’ennuyer et de devenir la bobonne de service sont également présentes donc je suis préparée à lutter, mais on verra… Ce sera très empirique !

« Voir son conjoint s’arrêter alors qu’on en a très envie, c’est compliqué », Agnès, 63 ans, préparatrice en pharmacie retraitée

Mon mari est parti à la retraite à 60 ans et moi deux ans plus tard. C’est le triste sort des femmes : j’ai travaillé toute ma vie depuis mes 16 ans et lorsque je me suis arrêtée trois ans pour un congé parental pour mon troisième enfant, j’ai été pénalisée sur mon nombre de trimestres. J’ai donc dû travailler plus longtemps que prévu, ce que je trouvais injuste, d’autant plus que j’avais un ras-le-bol du boulot. Quand on voit son conjoint s’arrêter alors que l’on en a très envie aussi, c’est dur moralement. J’ai donc réduit mon temps de travail sur la période restante ce qui m’a permis d’aborder les choses plus légèrement. On a toujours fait énormément de sorties, de randonnées, ce qu’on a pu faire en semaine, tandis que j’ai repris des cours de poterie et que j’ai appris à passer plus de temps avec mes six sœurs, sans mon mari. Mon départ à la retraite en différé a finalement été bien absorbé surtout que mon mari, après être passé par là, a pu entièrement s’occuper de ma paperasse lorsque ça a été mon tour ! Il a eu de la patience : on a eu des litiges avec différentes caisses de retraite, mais il m’a soulagée d’un gros poids.

« Je partais plusieurs mois en croisière et elle me rejoignait quand elle le pouvait », Michel, 73 ans, prof de gym puis consultant retraité

Je suis retraité depuis 13 ans déjà mais ma compagne Agnès, qui a 10 ans de moins que moi, ne prendra sa retraite que cette année. C’était dans la continuité de notre différence d’âge : elle comme moi savions très bien que j’arrêterai de travailler bien avant elle. Pour moins sentir cette différence et parce que nous aimions voyager en voilier, Agnès s’est mise en temps partiel annualisé quelques années plus tard pour que nous puissions passer le plus de temps ensemble et partir en bâteau sur la Méditerranée, en Grèce, en Turquie, en Croatie… Je partais souvent plusieurs mois avant elle avec des amis, et je réservais la période pendant laquelle elle me rejoindrait pour que nous passions du temps tous les deux. Les mois ou semaines où nous étions séparés ont parfois été plus difficiles pour Agnès : elle avait été mutée et travaillait à 100 kilomètres de notre domicile, elle avait encore le travail à gérer, ma maman qui est âgée… Quand je n’étais pas en croisière, je venais régulièrement la voir dans son appartement pour que nous puissions continuer à vivre ensemble. Les choses se sont compliquées lorsqu’il y a eu des changements dans la direction d’Agnès et que la nouvelle équipe s’est montrée moins favorable à son organisation à temps partiel qu’elle avait mis en place. Elle a finalement choisi d’être licenciée dans le cadre d’un plan social, avant d’enchaîner sur des petits boulots pour cumuler le maximum de trimestres tout en s’organisant comme elle le souhaitait. Elle me rejoindra en octobre prochain et d’ici là, on continue de voyager dès qu’on le peut : en ce moment même, on fait la Norvège en camping-car !

(1) Le prénom a été modifié.


Article écrit par Pauline Allione, édité par Gabrielle Predko, photo de Thomas Decamps.

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