5 enseignements à destination des RH pour l’après Covid-19
03 mai 2020
8min
Journaliste
Il y aura un avant et un après confinement. Méthodes de travail bousculées, risques psychosociaux exacerbés, responsabilités employeurs accrues et engagement des salariés en berne… Depuis quelques semaines, des tendances émergentes laissent entrevoir le monde du travail et la gestion des Ressources Humaines post-confinement. Pour le vérifier, Welcome to the Jungle a interrogé des salarié.e.s sur les conséquences du confinement sur divers sujets : leur engagement, leur désir de reconnaissance, de mobilité… Voici cinq enseignements, tirés de cette étude, utiles aux RH pour préparer la reprise.
Méthodologie : étude réalisée en ligne auprès de 1035 répondants entre le 7 et le 23 avril 2020. Les répondant.e.s appartenaient à 3 catégories de travailleurs : ceux en 100% télétravail, ceux en activité partielle et ceux en “activité essentielle” (sur le terrain). Pour cette dernière catégorie, les répondant.e.s n’étaient pas en nombre suffisant, les données ont donc été exclues des résultats de ce sondage.
1- Considérez que l’engagement de vos salarié.e.s a bel et bien changé
Qu’ils aient basculé en 100% télétravail ou en activité partielle, les salarié.e.s s’estiment moins engagés dans leur travail qu’avant le confinement. Un sentiment qui concerne 39% des télétravailleurs. En ce qui concerne les travailleurs placés en activité partielle, le désengagement est, sans grand étonnement, bien supérieur : 62% s’estiment moins impliqués ou beaucoup moins impliqués qu’avant le confinement. L’engagement au travail, tel qu’il est défini par l’Association Nationale des DRH concerne « l’ensemble des actions d’un salarié qui vont au-delà de la contribution demandée par le contrat de travail, qui renforce le sentiment de contribuer à un projet commun, dans le respect des valeurs de l’entreprise ». Si l’engagement (et sa mesure) est LE sujet pour les DRH depuis une dizaine d’années, il le sera d’autant plus post-confinement : seulement 10% des travailleurs interrogés s’estimaient désengagés avant le confinement. Ce changement de paradigme peut interroger sur les conséquences sur le marché du recrutement post-crise. 50 % des télétravailleurs déclarent avoir envie de changer d’employeur. Des chiffres qui s’envolent chez les répondants placés en activité partielle : 65 % déclarent vouloir changer d’employeur.
Comment inverser la tendance ? Les employés en télétravail donnent des pistes de réflexion :
Éclairage : « L’engagement d’un salarié ne peut pas être décorrélé de son bien-être psychologique »
Christophe Nguyen est psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine, un cabinet de conseil en qualité de vie au travail (QVT) et risques psychosociaux (RPS). Le cabinet a effectué un sondage pour mesurer l’impact du confinement sur l’état psychologique des travailleurs. Il en ressort l’existence d’une forte corrélation entre le sentiment de désengagement des équipes et la détresse psychologique ressentie par de nombreux travailleurs pendant le confinement.
« Environ 66% (selon le sondage d’Empreinte Humaine, ndlr) des salariés disent que leur engagement au travail lors du déconfinement dépendra de la façon dont leur entreprise se préoccupe de leur bien-être. Il n’y aura pas de déconfinement réussi sans une prévention des risques psychosociaux aboutie. Il faut à la fois que l’employeur ait une perspective légale d’évaluation des risques psychosociaux pour analyser correctement les nouvelles organisations du travail, mais qu’il n’oublie pas non plus d’accompagner le management et les équipes sur la compréhension des risques psychosociaux. L’engagement d’un salarié ne peut pas être décorrélé de son bien-être psychologique. »
« Les équipes ne pourront pas s’engager demain si elles sont fatiguées. Tout comme un sportif qui vient de finir un marathon ne peut enchaîner sur un sprint. »
Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine
« Les gens vont sortir du confinement fatigués. Il va falloir accompagner cette transition, mettre en œuvre des espaces de dialogue et de discussion qui ne soient pas gadgets, pour pouvoir organiser ce retour au travail autour du vécu et que ça ne devienne pas source de conflit ou de crispation. Ce qui pend au bout du nez des entreprises qui déconfinent sans transition ni prise en compte de la détresse psychologique ressentie par leurs employés, c’est une explosion des arrêts maladie et des contentieux. Dans notre étude, on note une détresse psychologique accrue chez les travailleurs confinés à qui l’entreprise a d’ores et déjà annoncé qu’ils allaient devoir travailler davantage après le confinement pour compenser la perte d’activité (55% selon le sondage). Il est encore trop tôt pour parler de ça : ceux qui ont reçu ce message sont 2,5 fois plus en détresse psychologique élevée que les autres. On sait bien que tout le monde devra redoubler d’efforts, mais il faut intégrer que les gens ne pourront pas le faire s’ils sont déjà épuisés. Il ne faut pas passer outre l’étape de transition : accompagner les personnes, les outiller, les laisser se ressourcer, leur donner les moyens du répit. Elles ne pourront pas s’engager demain si elles sont fatiguées. Tout comme un sportif qui vient de finir un marathon ne peut enchaîner sur un sprint. »
2- L’expérience candidat, plus que jamais stratégique.
76% des répondants en recherche d’emploi avant le début de la crise expliquent avoir continué leurs recherches de manière active pendant le confinement. Or, ils sont nombreux (91%) à noter une dégradation de la première étape de l’expérience candidat : les candidatures, rendues plus difficiles pendant le confinement. Saint-Graal officieux des départements RH, l’onboarding est le point final à une expérience candidat réussie. Sur ce sujet, 40 % des répondants jugent le processus d’intégration « mauvais ou très mauvais » au sein de leur entreprise.
Un manque de visibilité pour les nouveaux arrivants ou les départs.
Si des méthodes existent pour créer une expérience d’intégration efficace à distance, quid de la visibilité pour ces nouveaux arrivants en interne ? Visiblement, il va falloir bosser sur le sujet : 49 % des répondants ne s’estiment pas suffisamment informés sur les derniers collaborateurs ayant rejoint (ou quitté) leur entreprise alors que 63% souhaiteraient disposer de plus d’informations à ce sujet.
Éclairage : L’onboarding, processus déterminant pour la satisfaction au travail
L’onboarding est le processus culturel et social qui a l’importance la plus déterminante pour la satisfaction au travail, la performance, l’engagement et la rétention à long terme. Les premières impressions comptent énormément : 33% des employés savent après leur première semaine si elles / ils souhaitent ou pas rester dans l’entreprise sur la durée. C’est donc LE moment-clé qui donne le ton pour l’engagement futur des nouvelles recrues !
Même au bureau, entouré.e de collègues bienveillants, l’onboarding est un moment souvent difficile : démarrer un nouveau travail, c’est beaucoup de stress, beaucoup trop d’informations, de nouvelles têtes, d’attentes…. Si ce stress est trop élevé et si le/la collaborateur/collaboratrice ne se sent pas assez soutenu et entouré, la probabilité pour qu’il / elle jette l’éponge et quitte l’entreprise augmente dangereusement. Parfois, c’est même à l’issue d’une première journée désagréable que l’employé décide de ne pas y rester. Sans surprise, l’onboarding, c’est encore plus difficile à distance. Les nouveaux/nouvelles arrivantes ne rencontrent pas suffisamment leurs collègues, qui se disent insuffisamment informé.e.s sur les nouvelles arrivées (et les départs). Même à distance, c’est essentiel d’apporter un soin particulier à ce moment où les liens entre collègues doivent se former. Comme le dit Daniel Coyle dans The Culture Code : The Secrets of Highly Successful Groups : « lorsque nous intégrons un nouveau groupe, nos cerveaux décident rapidement si oui ou non nous allons être connectés au groupe. Les cultures qui réussissent capitalisent sur les moments clés d’intégration pour créer une connexion forte. » Nouveaux rituels, nouveaux processus d’onboarding à distance, il est essentiel de susciter un sentiment d’appartenance et la sécurité affective indispensable pour que cette connexion soit forte dès le début et que les employés se sentent en position de contribuer à un projet collectif.
3- Ne cessez (surtout) pas d’informer
Communication des mesures sanitaires, puis des modalités pour continuer l’activité, jusqu’à la mise en place de nouvelles équipes… Les employeurs ont dû transformer très vite leurs méthodes de travail. Et surtout, il a fallu (bien) les communiquer. Sur ce sujet, les répondants sont plutôt positifs : 64 % jugent « bonne ou très bonne » la communication interne à leur entreprise pendant la crise du Covid-19. Des chiffres à nuancer en fonction de la typologie des travailleurs : les salariés placés en activité partielle jugent plus négativement la gestion de la communication interne de leurs employeurs que ceux dont l’activité a été maintenue en télétravail. Ils remettent en cause notamment une trop grande absence de leur employeur et un manque de transparence. Sans conteste, une attention particulière devra être portée aux salariés placés en chômage partiel, quant au ton employé lors de la communication des informations sur leur réintégration dans l’entreprise, et au choix des outils choisis.
Quid de la com sanitaire ?
Cette disparité entre le jugement porté par les salariés en 100% télétravail et celui des travailleurs placés en activité partielle se ressent également sur la question de la communication institutionnelle sur les questions sanitaires : 22% des salariés en chômage partiel estiment n’avoir pas été suffisamment informés par leur employeur sur les gestes barrières, contre 14% des salariés en télétravail.
4 - Améliorez la reconnaissance. Mais pas n’importe comment.
« Les équipes ont effectué un marathon », analyse Christophe Nguyen. Quelle médaille les attend à l’arrivée ? Les DRH et managers ont le choix entre 4 types de reconnaissance : celle qui récompense les résultats (mesurables), celle qui récompense les compétences (autonomie, créativité etc.), celle qui récompense l’investissement et enfin la reconnaissance dite existentielle, qui salue l’individu en tant que tel. Si les formes sont très variables, (d’un simple merci exprimé par les collègues à une prime pour récompenser l’effort) tout type de reconnaissance joue un rôle primordial sur la motivation des salariés. Les employeurs ont-ils manifesté davantage de reconnaissance à leurs équipes pendant le confinement ? Seulement 14% des répondants le pensent. Une grande majorité (62%) estime que rien n’a changé. « La reconnaissance, ça se prépare, ça se travaille, et ça se conditionne. Il y a plusieurs formes de reconnaissance (cf, les travaux de Jean-Pierre Brun) et après le confinement, il ne faudra pas privilégier uniquement les primes, mais aussi la reconnaissance dite existentielle sur les qualités des salariés. Remercier leur apport, les pratiques de travail, l’investissement et les efforts plutôt que leurs performances. Il va falloir reconnaître et faire reconnaître aussi quand il y eu un travail de qualité, malgré la situation. Ça passe par de nombreuses actions : l’équité, la participation aux décisions, l’écoute, le sens donné à ce que l’employé fait… ce sont des leviers managériaux qui ne coûtent rien mais qu’il faut actionner dès maintenant car les gens ont beaucoup donné » détaille Christophe Nguyen.
Qui doit dire merci ? Globalement, tout le monde. Dans le détail, les employé.e.s confiné.e.s sont d’abord sensibles à une reconnaissance de la part de leur entreprise (38%), puis de leur manager (36%), et enfin de leurs collègues (25,5%).
Éclairage : Comment faire preuve de reconnaissance lors de la reprise?
« Faire confiance est la plus grande preuve de reconnaissance »
Nous avons interrogé Faustine Duriez, la fondatrice de Cocoworker, une plateforme de reconnaissance collaborative. « Entre le risque d’épuisement professionnel, d’isolement, et le syndrome du bullshit job, le désengagement des équipes post-confinement est bien réel. D’où l’importance pour le RH et le management d’adapter leur reconnaissance à la situation et de valoriser les salariés sur ce qu’ils sont et ce qu’ils apportent de spécifique à l’entreprise. Faire le lien avec le pourquoi de l’entreprise permet aussi de redonner du sens et de la valeur aux contributions de chacun. Aller au-delà des résultats en reconnaissant leurs comportements, leurs qualités, leur investissement, ce qui les rend unique. De façon très pratico-pratique ça se traduit en les intégrant à des prises de décisions - leur demander de partager leur point de vue, comment ils s’y seraient pris pour régler tel problème – et de ne pas retirer cette confiance qui s’est nécessairement imposée quand on a dû travailler dans l’urgence et à distance par exemple. »
« Les employés souffrant d’un manque de reconnaissance au travail sont 4 fois plus susceptibles de souffrir de détresse psychologique grave. »
Faustine Duriez
« La situation a créé énormément d’isolement, renforcée par le fait que de manière globale, les employés souffrant d’un manque de reconnaissance au travail sont 4 fois plus susceptibles de souffrir de détresse psychologique grave. Ce qui va faire défaut à la reprise, c’est principalement la reconnaissance quotidienne. Pour pallier cela, on peut actionner 4 leviers :
- D’abord, sortir d’un système de reconnaissance uniquement vertical (jugé peu fiable et biaisé, car une seule personne juge l’effort) en favorisant la reconnaissance par les pairs.
- Formaliser davantage la reconnaissance pour éviter les incompréhensions, en créant des moments spécifiques, ou de nouveaux rituels autour de la reconnaissance. Un rendez-vous régulier dédié à cela, instauré par les managers / RH, par exemple.
- Remettre à l’ordre du jour la raison d’être de l’entreprise au travers de la reconnaissance. Rappeler formellement ce qui s’inscrit dans l’ADN de l’entreprise et valoriser les efforts des salariés qui sont en phase avec ces valeurs.
- Faire confiance : c’est la meilleure preuve de reconnaissance, celle qui a le plus d’impact. »
5. Renforcez la cohésion inter-équipes, fortement impactée par la crise
Assignés à résidence, les membres des équipes se sont séparés physiquement… et mentalement. 1 salarié sur 2 s’estime moins connecté à ses collègues depuis le début de la crise. On le sait, le sentiment d’appartenance à une équipe influe sur la motivation et la performance. « Les meilleures choses qui arrivent dans le monde de l’entreprise ne sont pas le résultat du travail d’un seul homme. C’est le travail de toute une équipe. » disait Steve Jobs à ce propos. Qu’en est-il concernant la connaissance des autres équipes de son entreprise ? Seuls 23% des répondant.e.s déclarent connaître les fonctions de tous leurs collègues, et 44% ne sont pas suffisamment informé.e.s sur ce qu’il se passe dans les autres équipes. Une connaissance des autres équipes peut-elle avoir un impact positif sur le travail des collaborateurs ? 93% des travailleurs estiment que oui.
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