10 événements qui ont marqué le travail en 2022… et feront 2023

26 déc. 2022

11min

10 événements qui ont marqué le travail en 2022… et feront 2023
auteur.e
Laetitia VitaudExpert du Lab

Autrice, consultante et conférencière sur le futur du travail, spécialiste de la productivité, de l’âge et du travail des femmes

À l’issue de cette année riche en rebondissements, il n’est pas évident de sélectionner des événements qui ne concernent que le travail. Après tout, les conférences RH de l’année et les nouveaux outils de SIRH n’ont qu’une portée limitée. Mais les grands événements qui frappent la société et la planète touchent aussi le monde du travail : il n’y a pas la guerre ou le réchauffement climatique d’un côté, et le travail, de l’autre. C’est d'ailleurs ce que est si passionnant à ce propos : il est au croisement de toutes les transformations sociétales et économiques.

Je ne vais pas prétendre à l’exhaustivité avec cette liste. Évidemment, il n’y a pas que 10 événements. Ceci est une sélection personnelle de moments ou de phénomènes qui me semblent symptomatiques de l’époque et dont je pense que les conséquences seront importantes en 2023.

1/ La guerre en Ukraine nous installe dans l’incertitude sur les chaînes d’approvisionnement

En février 2022, nous pensions pouvoir tourner la page d’une deuxième année d’incertitude marquée par la pandémie de Covid-19. Que nenni ! Voilà que la Russie envahit l’Ukraine et provoque en Europe une crise énergétique qui rappelle les chocs pétroliers des années 1970. Depuis 30 ans, on a pris l’habitude de favoriser les flux tendus et de rendre la production plus “agile” car on pense qu’on peut facilement faire venir de Chine et d’ailleurs tout ce dont on a besoin. En d’autres termes, on se repose sur des chaînes de production et d’approvisionnement mondialisées. Or, il est maintenant clair que ces chaînes sont fragiles. Tout ce que nous prenions pour acquis peut s’effondrer du jour au lendemain : notre monde fragmenté et incertain nous invite à repenser la souveraineté économique, les stocks, l’intensité en travail et en énergie de notre production.

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
Notre manie de profiter d’une main-d’œuvre pas chère à l’autre bout du monde ne tient plus. Le transport de ces marchandises est plus coûteux et/ou compromis par l’instabilité climatique et géopolitique qui peut y mettre un terme brutalement. Il faudra demain relocaliser certaines productions chez nous, embaucher davantage en interne plutôt que de dépendre de prestataires lointains, limiter le transport et les modes de production énergivores, accélérer la transition énergétique. Saurons-nous apprendre à transformer notre manière de produire pour être prêts quand la prochaine guerre / pandémie / catastrophe environnementale se produira ?


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2/ Le retour de l’inflation paupérise les travailleurs

En avril 2022, l’INSEE publie des estimations sur l’inflation française qui montrent une augmentation des prix à la consommation de près de 5%. En octobre, ce chiffre est revu à la hausse : il dépasse 6%. Le retour de l’inflation ne serait pas forcément un problème si tous les prix augmentaient dans les mêmes proportions : notre pouvoir d’achat ne changerait pas si nos revenus augmentaient de la même manière que nos dépenses. L’inflation, c’est une moyenne qui masque le fait que les cartes économiques sont rebattues : alors que le prix du blé, du bois, du poulet et du gaz ont augmenté davantage que l’inflation moyenne, la hausse des salaires a été environ deux fois moindre. Le résultat est une paupérisation relative des travailleurs.

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
Il y a plusieurs raisons qui expliquent le décalage entre la hausse moyenne des prix et celle des rémunérations : la faiblesse de la négociation collective et des syndicats, le fait que l’on ne négocie pas son salaire tous les quatre matins (il y a donc un décalage naturel), l’idée que l’inflation est provisoire et la culpabilisation des salariés (à qui l’on dit que les hausses de salaires accentuent l’inflation). Cela veut dire plusieurs choses pour 2023 : on demandera probablement davantage de hausses de salaires (et/ou les travailleurs seront plus pauvres et mécontents), on imaginera des manières de renforcer ou réinventer la négociation collective, il y aura probablement des grèves, les postes dont la rémunération n’évolue pas suffisamment seront moins attractifs et ne trouveront pas preneurs…


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3/ Les chiffres du burn-out sont alarmants

2022 aura été LA grande année du burn-out. En septembre, Malakoff-Humanis publiait son baromètre annuel de l’absentéisme : 42% des salariés se sont vus prescrire un arrêt maladie cette année, de plus en plus fréquemment pour des troubles psychologiques. Toutes les études confirment l’ampleur du sujet : selon le baromètre du cabinet Empreinte Humaine, ce sont 2,5 millions de salariés qui seraient en état de burn-out. La détresse psychologique et l’épuisement au travail ne cessent de progresser. Pour celles/ceux qui en souffrent, il devient plus difficile de s’extraire d’une spirale descendante, l’épuisement semble devenir chronique et le cynisme s’installe. On se détache de son travail et on se sent devenir de plus en plus inefficace.

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
Le burn-out des salariés devient un sujet primordial pour les entreprises, ressources humaines et management compris. 2022 marque une prise de conscience sur le rôle de l’organisation du travail, de l’équilibre des temps de vie et de nos usages numériques (excessifs). La qualité de vie au travail est un sujet plus global qu’on ne le pensait. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’on a tant parlé de la semaine de quatre jours en 2022. Elle n’est peut-être pas la solution miracle pour tout le monde. En revanche, les discussions que l’idée de la semaine de 4 jours engendre sont essentielles. Qu’il s’agisse des temps de repos, de déconnexion numérique, de réduction de la charge de travail, de la taille des effectifs et de l’absentéisme, les chantiers pour 2023 sont pluriels… et pressants.


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4/ Réchauffement climatique : les diplômés se rebiffent contre le monde d’avant

En juin 2022, alors que l’été français le plus chaud se profile à l’horizon, des jeunes diplômés de grandes écoles déclarent ouvertement leur refus de participer à un modèle de travail qui contribue à réchauffer la planète et détruire les ressources. La cérémonie de remise des diplômes est devenue une tribune pour appeler à répondre à l’urgence climatique. À AgroParisTech, on a appelé à « déserter l’agro-industrie » : « Nous ne nous considérons pas comme les talents d’une planète soutenable » ont clamé certains diplômés. À HEC, des « rebelles » ont invité leurs professeurs et les entreprises à « assumer leur position face à la crise écologique. » Les diplômés de Sciences-Po et Polytechnique ont embrayé. « Même si nous, polytechniciens, sommes bercés dans une foi en la rationalité, en la science et la technique, nous voyons bien (…) que la technologie ne va pas nous sauver », a dit une polytechnicienne.

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
Il serait faux de dire que toute une génération rejette un modèle de production et de croissance qui détruit la planète. Quelques diplômés issus des écoles les plus prestigieuses ne font pas toute une génération. Cependant, il est vrai que les jeunes (tout particulièrement les 18-35 ans) se disent plus préoccupés par le réchauffement climatique que les plus âgés. L’idée que le sujet est clé pour le recrutement des jeunes n’est donc pas fausse. Au-delà de la question du recrutement, les mouvements illustrés par la rébellion des diplômés pourraient rapidement changer les programmes d’enseignement dans les écoles et ensuite les pratiques en entreprise (quand ces diplômés y seront actifs). Pour ces diplômé·e·s, face à l’inertie du système, une autre forme d’engagement devient nécessaire.


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5/ La réforme des retraites préparée en 2022 questionne le taux d’emploi des séniors

Elle a été préparée en 2022 mais le gouvernement ne la mettra finalement au vote qu’en 2023 : la réforme des retraites annoncée (et crainte) arrive. L’âge légal de départ à la retraite sera repoussé progressivement de 4 mois par an jusqu’à atteindre 65 ans en 2031. Les détails de la réforme sont débattus depuis déjà plusieurs années (pénibilité, régimes spéciaux, parentalité, inégalités femmes-hommes, travailleurs qui ont commencé à travailler jeunes…) et promettent encore d’engendrer des contestations. La question qui aura dominé en 2022 est celle du taux d’emploi (faible) des séniors. S’il faut cotiser plus longtemps, encore faut-il pouvoir travailler et encore faut-il que les employeurs acceptent de vous donner du travail !Parmi les chômeurs de longue durée, la part des “séniors” reste élevée.

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
Pendant trois décennies, face à un chômage de masse, on a poussé les séniors à partir à la retraite précocement. C’est pourquoi le taux d’emploi des 55-64 ans est plus faible en France (56%) que la moyenne de l’OCDE. Aujourd’hui, on assiste à un virage complet sur ce sujet. Or inverser cette tendance implique à la fois de se défaire de notre vision linéaire de la carrière et de l’âgisme omniprésent dans le monde du travail, d’apprendre à mieux valoriser des équipes multi-générationnelles et de commencer à collecter des données et se fixer des objectifs en la matière. C’est la raison pour laquelle on parle de plus en plus de la création d’un index sur l’emploi des séniors dans les entreprises.


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6/ Facebook, Twitter, Google et les autres licencient massivement. Ils ne sont plus l’eldorado du travail de demain.

Il y a encore quelques années, on présentait les “GAFAM” comme des employeurs attractifs capables d’offrir un environnement de travail ludique, des avantages en nature irrésistibles et une expérience de travail résolument moderne. En 2022, le déclin de ces entreprises a fait couler beaucoup d’encre. En novembre, Zuckerberg annonçait que Meta allait mettre à la porte 11 000 personnes. Puis Snap, Microsoft et d’autres lui ont emboîté le pas. Même Google a annoncé en décembre que 10 000 salariés « insuffisamment performants » seront licenciés. À cela s’ajoute la tumultueuse saga de Twitter sous l’égide du mégalo Elon Musk, où la moitié des effectifs ont été virés ou sont partis d’eux-mêmes.

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
Si tant est qu’on puisse parler d’un “âge d’or” du travail dans les entreprises de la Silicon Valley, cette période semble désormais révolue. Les quelques dizaines de milliers d’ingénieurs récemment licenciés n’auront sans doute pas beaucoup de mal à retrouver du travail. Mieux, ils/elles sont autant de “talents” que les entreprises plus traditionnelles se feront une joie de recruter. Plus profondément, il y a derrière le “tech backlash” la remise en question d’un certain modèle : le campus “totalitaire” façon Meta ou Google qui vise à maintenir constamment au travail les ingénieurs, les avantages en nature excentriques, l’infantilisation des salariés et la mégalomanie des dirigeants semblent appartenir aux années 2010. Ce modèle laisse la place au travail à distance, au désir d’autonomie et à davantage de sobriété.

7/ La Cour suprême américaine remet en question le droit à l’avortement, ce qui pousse les employeurs à prendre position

En juin 2022, la Cour suprême des Etats-Unis revient sur l’arrêt Roe vs Wade de 1973. Cette décision est une victoire de la droite religieuse : les États seront désormais “libres” d’interdire l’avortement. En seulement quelques semaines, plusieurs États mettent en place des restrictions et des interdictions concernant le droit à l’avortement, mettant ainsi en danger la santé de millions de femmes. Concrètement, une Américaine sur trois a perdu ce droit et a un accès restreint à la contraception. De nombreuses entreprises (Amazon, Bank of America, Buzzfeed, Patagonia…) se sont empressées d’en faire un sujet de marque-employeur en proposant à leurs salariées le remboursement des frais de voyage pour interruption de grossesse. D’autres ont interdit à leurs employé·e·s de parler d’avortement (dont Meta-Facebook).

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
Est-il seulement possible de gérer le sujet de l’avortement à l’échelle de l’employeur ? Probablement pas. L’année à venir sera celle de nombreux procès : les États qui ont interdit l’avortement pourraient poursuivre les entreprises qui aident leurs salariées à aller contre la loi. Cela pourra durablement réduire l’attractivité de ces États pour les entreprises qui recrutent des cadres et des ingénieurs. Mais cela risque surtout d’augmenter la polarisation du monde du travail et la précarité des travailleurs pauvres. En outre, les employeurs se sentent de plus en plus souvent obligés de prendre position et de devenir “activistes”. La neutralité paraît parfois impossible tant les sujets “politiques” (parmi lesquels l’avortement) touchent le quotidien des travailleurs.


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8/ Liz truss illustre la “falaise de verre” qui touche tant de femmes en position de leadership

Fin 2022, deux femmes britanniques prénommées Elizabeth sont entrées dans l’Histoire. L’une, la reine, est décédée après 70 ans de règne ; l’autre, Liz Truss, nouvelle Première ministre, a vu son gouvernement s’effondrer en seulement 44 jours. Liz Truss, choisie par le parti conservateur en temps de crise, alors que la situation politique était insoluble et les difficultés économiques insurmontables, incarne ce que l’on appelle dans le monde de l’entreprise la “falaise de verre” : quand il y a crise économique ou incertitude politique, on confie plus volontiers les rênes du pouvoir à une femme… pour ensuite mieux l’accuser de tous les maux et la faire chuter.

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
Que rien n’est jamais gagné en matière de féminisation du leadership. Ces dernières années, dominées par la crise, ont donné l’occasion à quelques femmes d’assumer des responsabilités nouvelles. Mais la falaise de verre menace la pérennité de leur leadership. Une étude intitulée You’re Fired!, publiée en 2020 (Journal of Management) a montré que le fait d’assumer un rôle de direction reste nettement plus risqué pour les femmes : elles ont plus de chances de perdre leur poste et de voir leur crédibilité démolie durablement. Le cas Liz Truss est une illustration grandeur nature d’un phénomène bien réel : elle est le produit de son parti et a hérité d’une situation créée par d’autres, mais c’est sa “nullité” à elle seule qui serait en cause. La vitesse avec laquelle elle est tombée a de quoi terrifier.


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9/ La Belgique permet le “travail à la carte” sur 4 jours au lieu de 5

En février 2022, le gouvernement belge a passé une loi sur le “travail à la carte” qui autorise les salariés belges à choisir de moduler leurs horaires de travail en fonction de leurs contraintes familiales et de faire leur semaine sur quatre jours au lieu de cinq. Pour le Premier ministre belge, Alexander De Croo, « la pandémie de Covid-19 a eu un impact négatif sur les salariés, mais elle nous aura au moins tous appris à travailler de manière plus flexible pour combiner nos contraintes professionnelles et familiales. Cela appelle de nouvelles manières de travailler ». Cette initiative enfonce le clou de la flexibilité des horaires à l’âge du travail hybride.

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
Le “travail à la carte” se banalise partout. Pour les salariés, assumer la même charge de travail en choisissant plus librement quand et où le travail est fait, ce n’est pas vraiment un cadeau, c’est une évidence. Mais la flexibilité des horaires ne règle pas les questions de la charge de travail, de l’épuisement et de la sur-connexion. À l’avenir, il pourrait n’être pas suffisant de permettre cette flexibilité : un employeur avant-gardiste pourrait se faire le garant du repos (week-end, congés, déconnexion) de ses salariés et mener un travail de fond sur la charge de travail. Le travail flexible hybride présente souvent le risque de renforcer la surcharge et de la faire durer : on en demande plus aux collaborateurs, ils/elles en font plus pour compenser la flexibilité qu’on leur donne et ont l’impression de ne jamais réussir à déconnecter.


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10/ La grève générale provoque le chaos au Royaume-Uni

En décembre 2022, (presque) tout le monde a fait grève au Royaume-Uni : après les cheminots, les infirmières, les postiers, les douaniers, les agents de l’Eurostar et les brasseurs de bière ont aussi rejoint la grève. Face à une inflation terrible (plus de 11%), amplifiée par le Brexit, la paupérisation de nombreux salariés s’est accélérée et la dégradation de nombreux services est devenue évidente : le NHS (National Health Service), le service de santé britannique, est sous-financé et sous-staffé depuis des années : après les démissions de masse, la grève provoque le chaos (il faut lire cet article-enquête passionant dans le New York Times où la journaliste a suivi une ambulance galloise pendant la grève).

Qu’est-ce que ça veut dire pour le travail ?
On pourrait penser que la “grève générale” est une chose du passé, un concept anarcho-syndicaliste datant du XIXe siècle. Théorisée par Aristide Briand, elle était synonyme de révolution puisque cesser toute activité productive devait conduire à l’effondrement du capitalisme. Mais malgré la faiblesse des syndicats au XXIe siècle, les grèves interprofessionnelles nationales de grande ampleur redeviennent aujourd’hui un moyen d’action. Cela traduit une paupérisation massive aggravée par la forte inflation et un certain désespoir face au délitement du service public et aux charges de travail devenues insoutenables. Pour le reste de l’Europe, le cas britannique sonne un avertissement. Et peut-être encore plus chez nous, en France, où cette fin d’année est marquée par la grève “autonome” de certains salariés de la SNCF…

Article édité par Clémence Lesacq ; photos : Thomas Decamps pour WTTJ

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