Notre place dans la fratrie a-t-elle une influence sur notre carrière ?
22 sept. 2020
7min
Journaliste - Welcome to the Jungle
Connaissez-vous le point commun entre Elon Musk, Richard Branson et Jeff Bezos ? Au-delà du fait qu’ils soient tous milliardaires, ces CEO emblématiques sont tous les trois les aînés de leur famille ! À l’inverse, Jim Carrey, Céline Dion et Robin Williams, derniers de leur fratrie, se sont tous les trois illustrés dans les arts. Coïncidence ? Apparemment pas.
Depuis les années 1930, le psychanalyste autrichien Alfred Adler s’évertue à démontrer un lien entre l’ordre de naissance et le développement de notre personnalité. Tout au long du XXème siècle, il fut relayé par d’autres psychanalystes pour continuer d’ébaucher les “profils types” d’un aîné, d’un cadet, d’un benjamin ou encore d’un enfant unique. Et si cela pouvait avoir un impact sur notre comportement au travail et même sur notre orientation professionnelle ? Décryptage.
Chacun son caractère
L’aîné, leader dans l’âme
Mon premier est un leader né, naturellement autoritaire. Sérieux et consciencieux, il cherche l’approbation de sa hiérarchie. Dans sa quête de la perfection, il flirte avec l’anxiété lorsqu’un dossier n’est pas bouclé et digère difficilement l’échec. Vous le reconnaissez ?
Du psychanalyste Adler au psychologue et professeur Frank Sulloway, les théories sur l’aîné dressent sensiblement le même portrait : celui du doyen de fratrie qui, dès la naissance d’autres enfants, assume un rôle de “parent intermédiaire”. En veillant à ce que son petit frère ne s’étouffe pas avec un capuchon de feutre ou en tenant la main de sa sœur pour traverser la rue, il acquiert tôt des responsabilités, et développe ainsi plus facilement son autorité. D’ailleurs, 54% d’entre eux se diraient plus responsables que leurs petits frères et leurs petites sœurs, d’après une récente étude Yougov. Aussi, les aînés auraient un QI légèrement supérieur à celui de leurs frères et sœurs. Une différence biologique ? Non. Avant la naissance de puînés, ils bénéficieraient simplement de toute l’attention des parents qui les stimuleraient bien plus intellectuellement, favorisant ainsi le développement de leurs capacités cognitives. Cécilia, aînée d’une famille de trois enfants se souvient : « Mes parents ont toujours pris le temps de nous éveiller à plein de choses, mes sœurs et moi, mais c’est vrai que, en tant qu’aînée, ils m’ont beaucoup plus suivie à l’école. Ils ont, par exemple, pris le temps de m’apprendre à lire alors que j’étais encore à l’école maternelle alors que pour mes sœurs, c’est venu un peu plus tard, au CP. » Ces premières années passées seul avec les parents les rapprochent également des valeurs de la famille, les rendant plus traditionnels et conservateurs.
En contrepartie, d’après Sulloway, l’aîné, plus couvé par ses parents que ses frères et sœurs, serait plus angoissé face aux obstacles et plus sensible à l’échec. Enfin, animé par son besoin de reconnaissance et d’approbation par la hiérarchie, il serait sérieux, organisé voire perfectionniste.
Au travail, les aînés seraient plus aptes à occuper des postes de manager puisqu’ils préfèrent faire figure d’autorité plutôt que de la subir. C’est d’ailleurs pour être sa “propre patronne” que Cécilia a monté son entreprise il y a quelques années. Les cadets et les benjamins peuvent bien évidemment devenir manager, mais ils ne performeront pas de la même manière que l’aîné. D’après Ben Dattner, un professeur de psychologie à l’université de New-York, quand l’aîné essayera d’améliorer l’existant, les cadets et benjamins, eux, préfèreront tout détruire puis reconstruire pour innover. Enfin, pour le psychologue Kevin Leman, les aînés se sentiraient rassurés dans de grandes structures aux organigrammes bien définis. Ces environnements, moins propices aux gros changement où à des innovations radicales leur éviteraient de devoir s’adapter trop régulièrement.
L’enfant du milieu, médiateur hors-pair
Mon second est très sociable, il s’adapte rapidement à son environnement de travail et sait s’intégrer. Diplomate, il maîtrise parfaitement ses relations professionnelles et assure en négociation.
Toujours selon Adler, l’enfant du milieu aurait des difficultés à attirer l’attention des parents, concentrée sur le premier enfant et sur le petit dernier. Anna, enfant du milieu, peut en témoigner : « Disons que pendant plusieurs années, ma sœur aînée faisait plus de bêtises que moi et ma petite sœur était encore en train de se construire. De mon côté, je n’avais pas envie d’être une “préoccupation” en plus pour mes parents, alors je restais sage et discrète. Je remarque que ça m’a quand même donné plus d’autonomie, à la fois dans l’élaboration de mes projets personnels et professionnels mais aussi pour m’adapter à d’autres environnements, hors du cercle familial. » Le cadet serait effectivement plus sociable que l’aîné et donc plus empathique, altruiste, ouvert et innovant que ses frères et sœurs. Le cadet, plus ouvert à la nouveauté, serait d’après Frank Sulloway, particulièrement attiré par des expériences à l’étranger, c’est d’ailleurs le cas d’Anna qui s’est expatriée plusieurs fois en Espagne. Tout l’inverse de l’aîné donc, plus conservateur et proche de sa famille.
L’enfant du milieu aurait également tendance à faire la médiation entre les différents membres de la famille, lors de disputes par exemple. Un singularité qui se répercute dans le monde professionnel. Une fois encore, Anna est celle qui apaise les conflits : « Lorsqu’il y a une tension, un problème ou un débat, je remarque que je suis souvent la personne qui tranche et qui “arbitre”. On m’a souvent dit que j’étais une bonne médiatrice mais je ne saurais pas dire si c’est réellement lié à ma position de cadette. »
Enfin, toujours dans une logique de démarcation, l’enfant du milieu pourrait s’illustrer dans un domaine dans lequel ses frères et sœurs ne brillent pas. Une bulle bien à lui. « Quand j’ai choisi de faire des études dans l’hôtellerie et la restauration et que j’ai commencé à prendre goût au métier, je me suis rendue compte que c’était quelque chose que je ne connaissais pas du tout car j’étais la première de ma famille à m’aventurer dans ce secteur. J’avais le sentiment que c’était un choix d’orientation original, se souvient Anna. Moi qui avais toujours marché dans les clous, je me suis quand même orientée vers des métiers très animés, très vivants… C’est ma touche de folie à moi finalement ! Mais surtout, j’ai pu trouver ma place dans un hôtel, dans une hiérarchie, et ça c’est important à mes yeux. J’aime avoir un mentor, mais aussi pouvoir transmettre et être le mentor de quelqu’un. Finalement, même au travail, j’aime être “au milieu”. »
Le benjamin, la fibre artistique
Mon troisième est créatif, a du charisme, et il le sait. D’ailleurs, il en joue parfois pour tourner les choses à son avantage. Serviable, il n’hésitera pas à donner un coup de main à ses collègues et se rendra très accessible auprès de son entourage, professionnel comme personnel.
Toujours d’après Alder, le “chouchou” des parents subirait moins de pression que ses aînés et recevrait beaucoup de soins et d’attention de la part de toute sa famille. Moins enclins à crouler sous les attentes des parents, les benjamins seraient plus libres de suivre leurs propres rêves en matière d’orientation professionnelle. D’après Michael Grose, spécialiste en éducation, ils seraient également les plus créatifs de la fratrie. Coïncidence ou non, les métiers artistiques ont longtemps attiré Alice, dernière d’une famille de trois sœurs : « Quand j’étais plus jeune, j’ai voulu être photographe, réalisatrice, commissaire priseur, etc. J’ai fait des études pour m’orienter vers les métiers de la culture et depuis, il est primordial pour moi de retrouver une dimension créative dans mon poste. »
Alors, les “petits derniers” sont-ils naturellement dotés d’une grande créativité ? Pas exactement. Leur grande sensibilité les aiderait à bien cerner leur entourage et à mieux décrypter les émotions. Cette clairvoyance peut d’ailleurs les rendre un brin manipulateurs, puisqu’ils savent quelles ficelles tirer pour charmer leurs proches et obtenir ce qu’ils veulent, mais elle les rend aussi très sociables : « Pendant longtemps, j’ai pu observer les interactions de mes sœurs et de mes parents avec le monde extérieur et j’ai vraiment eu le sentiment de les avoir “imités” pour initier des conversations par exemple. Aujourd’hui j’ai l’impression de pouvoir me fondre dans des environnements différents grâce à ça. »
Grâce à une éducation moins “stressante”, 40% d’entre eux se perçoivent globalement comme des personnes détendues et faciles à vivre. « Dans la famille, avec la cadette, je dirais qu’on a tendance à être plus optimistes et moins nerveuses au quotidien, confie Alice. Disons qu’en observant l’histoire de mes parents et de mes sœurs, je me rends compte que, même lorsque l’on traverse des obstacles, les choses finissent souvent par s’arranger. Et nous, en tant que “dernier” de la fratrie, quand on rencontre un problème, il y a des personnes plus expérimentées pour nous aider alors, forcément, c’est un atout ! » Plus épaulés, ils seraient aussi moins débrouillards et indépendants que les autres membres de la famille mais également moins enclins à occuper des postes à responsabilités et plus égocentriques. Ils seraient en revanche très persévérants, motivés par l’envie de surpasser les frères et sœurs…
L’enfant unique, créatif et intelligent
L’enfant unique connaît un développement similaire à celui de l’aîné : il aurait un grand besoin de reconnaissance, d’attention et serait, lui aussi, plus apte à “leader”. D’après une étude menée par une équipe de neuroscientifiques de l’Université de Chongqing en Chine, les cerveaux des enfants uniques seraient même différents. Le fait de devoir jouer seul dès leur plus jeune âge les rendrait plus créatifs et flexibles que les autres enfants. En revanche, les analyses révèlent moins de matière grise dans la zone dédiée à la régulation des émotions, signe d’une sociabilité plus faible. Sébastien, fils unique, a pu l’observer sur son lieu de travail : « Je pense que je sais facilement aborder quelqu’un et entamer une discussion, en revanche, je préfère avancer seul, de manière autonome. Au travail, j’ai l’impression que la collaboration peut même me ralentir et je n’ai pas toujours la patience nécessaire. »
Les enfants uniques feraient plus d’études que ceux ayant des frères et sœurs et accèderaient également à des métiers perçus comme plus prestigieux (droit, ingénierie, médecine, etc.). D’après une étude allemande réalisée en 2009, ils bénéficieraient même d’un QI supérieur aux derniers enfants des fratries. En revanche, le cliché selon lequel les enfants uniques seraient narcissiques a été invalidé par l’étude The end of a stereotype : only children are not more narcissistic than people with siblings. Les degrés “d’admiration narcissique (la propension à se mettre en valeur) et de “rivalité narcissique” (le fait de se comparer aux autres pour se rassurer) étaient même inférieurs à ceux d’enfants ayant des frères et sœurs.
Alors, tout se joue dans le berceau ?
Si notre place dans la fratrie affecte tant notre personnalité, pourquoi Cécilia, aînée, et Sébastien, enfant unique, fuient-ils la hiérarchie alors qu’ils sont censés vouloir l’impressionner ? Et pourquoi Anna, enfant du milieu se sent-elle parfois moins sociable que ses sœurs ? Tout simplement car ces données, bien que parlantes dans certains cas, sont à prendre avec des pincettes. Il est en réalité difficile de prouver l’influence de l’ordre de naissance sur notre personnalité. Si bien que les travaux de recherches menés ces dernières années ont échoué à le démontrer de manière probante. En effet, pour que les résultats soient pertinents, il faut prendre en compte de nombreux critères difficiles à cumuler et analyser en même temps tels que : la culture, l’ethnie, le niveau de vie, le genre, l’âge etc. Finalement, les aînés ne sont-ils pas plus responsables car… plus âgés, tout simplement ?
Gardons en tête qu’au travail et dans la vie de tous les jours, même si notre ordre de naissance peut avoir une influence, notre personnalité est surtout la somme d’une multitude de critères : notre histoire, nos choix, nos rencontres, nos inspirations, notre expérience etc. Et rassurez-vous : un aîné pourra très bien partir à l’étranger et un “petit dernier” manager une équipe avec brio dans une grande entreprise. Ne vous fermez aucune porte !
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Photo by WTTJ
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